1.2.3.2. Les méthodes vidéo

Dès les années 80, suite à l’équipement en matériel audiovisuel d’une nouvelle génération (téléviseurs et magnétoscopes), l’apparition de l’image animée sous la forme de film vidéo montre que le courant audiovisuel n’est pas mort. La décennie est marquée par l’apparition de nombreuses méthodes vidéo sur le marché des langues étrangères et par de nouveaux documents utilisant le support vidéo. Le matériau audiovisuel comme matériau central de l’apprentissage apparaît comme l’objet rêvé tant il présente d’avantages. En effet, l’attente est forte face à ce nouveau matériel : il offre une image de qualité “télévisuelle”, grâce à un nouveau support, souple d’utilisation (côté pratique de la cassette vidéo qui offre tout en un), il rend possible grâce au magnétoscope un visionnement intégral ou segmenté. L’évolution est importante pour la pratique quotidienne (par rapport aux difficultés rencontrées avec les films fixes), le changement de matériel va réellement permettre la synchronisation du son et de l’image, apporter une qualité considérée comme élément motivant et facilitateur pour l’apprenant. Le support audiovisuel par sa nature de “concision”, c’est-à-dire la simultanéité de la perception, facilite l’apprentissage. Toutes ces méthodes vidéo ont en commun l’association conjointe du sonore et du visuel : on peut à nouveau parler d’intégration didactique autour du support audiovisuel.

Entrée Libre 125 est la première méthode à structure modulaire, c’est-à-dire qui peut être construite selon les besoins et contextes locaux. Son intérêt réside principalement dans sa structure composée de quatre éléments de formats différents : un feuilleton, un reportage, une publicité, une chanson. Carmen Compte126 voit dans l’imitation des différents formats télévisuels une idée intéressante en accord avec le besoin en documents authentiques. Malheureusement cette imitation est parfois “limitée à une façade qui cache mal le prétexte pédagogique” ; la méthode a été critiquée tant par les pédagogues qui n’y trouvaient pas assez de rigueur didactique, que par les amateurs de documents authentiques, déçus par la qualité télévisuelle.

Les concepteurs de Avec Plaisir, méthode de français pour un public allemand, mettent en avant le plaisir d’apprendre par divers moyens qui garantissent la motivation : “‘le vaste choix des moyens/médias (film, livre, cahier, cassettes son) garantit une transmission vivante de la langue française et un apprentissage varié et motivant.’”127

Ils insistent également sur le côté naturel du film qui est aussi divertissant qu’un bon feuilleton de télévision. Cependant, la beauté des images ne suffit pas à rendre la méthode efficace, et on peut reprocher aux images “leur manque d’intensité informative”. La structure de l’émission fait ressortir la place qu’occupe la pédagogie : résumé de l’épisode précédent, première partie du feuilleton, deuxième partie du feuilleton, séquences pédagogiques, séquences fonctionnelles. La méthode tente de concilier nouveauté et pédagogie traditionnelle, en fait la motivation apportée par les images ne sert que d’emballage filmique, qu’à faire passer la leçon didactique, ce qui n’est pas une situation vraiment novatrice. Une autre méthode de la période communicative Bienvenue en France met en avant le réalisme des images : “‘Elle permet de mettre les apprenants face à une situation réelle, un cadre authentique, des personnages se différenciant dans leur comportement et leur langage’.”128

Les auteurs misent sur la méthode vidéo pour renforcer la motivation, car “‘les images authentiques et mobiles procurent un plaisir qu’un texte ne peut apporter, surtout chez des débutants.’”129 En effet, selon eux :

‘“La compréhension va du sens à la langue, et non inversement comme cela était le cas dans les méthodes traditionnelles. L’élève comprend la situation avant de comprendre l’acte de parole, mais il fera automatiquement le lien entre la situation et l’acte de parole ce qui facilitera son réemploi par la suite.”130

L’image contextuelle apporte indéniablement des données extralinguistiques et culturelles à l’apprenant, et les images vidéo peuvent également apporter un contenu sémantique qui permette d’approcher le contenu linguistique. Cependant, le rôle des images est ici réduit à la mise en contexte, comme on le verra ci-après ; si elles facilitent la compréhension, on doute de l’aspect communicatif de l’ensemble. On rencontre selon les matériaux des images vidéo qui, sous l’apparence du professionnalisme, ne laissent que peu de place à la verbalisation et à l’expression de l’apprenant. Comme le fait remarquer Albert Fuß à propos d’une méthode vidéo pour l’apprentissage de l’espagnol, ‘“le professionnalisme filmique peut aller complètement à l’encontre des exigences didactiques.”’ 131

Au-delà des différences profondes dans les images des méthodes vidéo, on remarque aussi des innovations techniques mises au service de la compréhension comme l’utilisation du scripto-verbal, c’est-à-dire l’affichage de textes dans l’image. Deux méthodes d’apprentissage de l’espagnol et de l’italien font le choix de sous-titrer les dialogues, qui sont affichés en même temps que le texte parlé ; mais ceci laisse un temps de lecture très court et ne permet pas aux élèves de saisir visuellement le contenu, sans interrompre le visionnement. Une autre solution plus satisfaisante est de dissocier l’affichage et le son : le texte apparaît à l’écran seulement après avoir entendu le dialogue, de plus une pause est prévue pour la répétition.132 Pour les débutants, les didacticiens de la méthode vidéo ¡Qué Barbaridad! 133 insistent sur la phase d’imprégnation sonore en prévoyant trois possibilités de répétition, et en faisant afficher à l’écran des mots clés, puis les phrases complètes à répéter et à retenir. D’après les conclusions de Fuß, ces procédés se sont avérés efficaces pour former la prononciation de l’apprenant, et en même temps lui proposer des aides à la mémorisation. Ceci tend à montrer d’une part que l’écrit est un support nécessaire dans l’apprentissage, et ce dès le début, alors que les MAV avaient souvent négligé le texte écrit. D’autre part, cela montre que le scripto-visuel agit comme renfort du canal sonore, et peut être un des atouts didactiques de la technique vidéo qui serait à développer. Un renfort entre les divers supports visuel et scripto-visuel pour le film vidéo et écrit pour le matériel d’accompagnement va dans le sens d’une plus grande efficacité des supports d’apprentissage.

Notes
125.

Entrée libre 1 et 2 : méthode complète d’apprentissage du français en deux versions : 13 films de 15 mn (diffusion télévisée ou vidéocassette), un magazine (intégralité des textes ainsi que des illustrations des films) ; un cahier d’exercices (auto-correctifs pour un usage individuel en autonomie) et pour la classe, et trois cassettes audio, CLE , 1983. L’ensemble des matériaux est appelé “méthode multimédia” pour le deuxième niveau en 1985 ; on peut voir là par le choix du vocabulaire un effet de mode qui montre l’importance accordée au support.

126.

Carmen Compte, La vidéo en classe de langue, Hachette, 1993, p. 43

127.

Présentation de Avec Plaisir, Französischer Videosprachkurs, Guy Capelle, Albert Raasch, Langenscheidt, München, 1983 (Traduit par nous). Cette méthode réalisée pour le public allemand des universités populaires a tenté à la fois d’offrir un feuilleton (épisodes de la première partie) et un encadrement pédagogique traditionnel (leçons de vocabulaire de la deuxième partie).

128.

Bienvenue en France, Méthode de Français, Annie Monnerie, Hatier / Didier, 1991, Livre du professeur p. 4.

129.

Bienvenue en France, op. cit., p. 4.

130.

ibidem. Nous reviendrons sur ces affirmations et sur les liens entre les images et le linguistique ci-après dans l’analyse d’un extrait de la méthode, et dans la troisième partie à propos de la compétence de communication.

131.

“Die filmische Professionalität kann also durchaus den didaktischen Erfordernissen zuwider laufen.” A propos de la méthode vidéo Espana y América ¡ Al Habla! ,Denis & Loscot & Torralbo, J. (o.J.), Paris, Sediac, in Fuß : “Évolutions dans le cours de langue audiovisuel”, op. cit., p. 159.

132.

Ce procédé apparaît notamment dans Espana y América ¡ Al Habla! , op. cit., et In Italiano, Chiuchiu A., Minciarelli F. & Silvestrini M., Corso multimediale di lingua e civilità a livello elementare e avanzato; München, Hueber, 1990.

133.

Quelques nouveautés didactiques sont apportées par cette méthode vidéo qui répond ainsi au souci d’introduire des thèmes de civilisation et des textes d’un autre type : narratif et descriptif. ¡Qué Barbaridad! Einführung in die spanische Sprache, Fuß A., Jambrina F., Tübingen, Niemeyer, Bd. 1, 1981-Bd. 2, 1985.