-Analyse de la méthode vidéo : Bienvenue en France

Parmi toutes les méthodes existantes, nous avons fait le choix de Bienvenue en France, car c’est une méthode vidéo utilisée dans de nombreux centres de langue et en auto-apprentissage. Nous en analysons quelques extraits afin de voir si l’apport de la technique audiovisuelle est lié à une réelle évolution méthodologique, orientée vers la communication de l’apprenant.

Le matériel de la méthode est composé de “deux manuels (livre et cahier d’exercices), d’enregistrements et de deux cassettes-vidéo complémentaires qui reprennent des émissions télévisées”134 . L’enseignant et l’apprenant disposent d’un livre qui comprend des dialogues imagés, des explications grammaticales et des documents photos ou dessins, d’un cahier d’exercices et d’une cassette vidéo. En cas de contrainte économique, le film ne semble pas indispensable, car “les livres sont utilisables avec ou sans les films.”135 Les dialogues illustrés du livre offrent un raccourci visuel du film sous forme de dessins-vignettes - nous en présentons un extrait ci-dessous -. D’autre part, le film semble aussi un élément indépendant, prévu pour être diffusé à la télévision sous forme d’auto-apprentissage.

Si l’auteur reconnaît avoir fait le choix d’une méthode “structurée” avec une progression lente, adaptée aux apprenants débutants, la vidéo n’est cependant pas un outil exhaustif. Elle accompagne et enrichit les possibilités offertes par le livre et en propose de nouvelles. La cassette vidéo est constituée de treize épisodes, correspondant aux treize dossiers du livre. Chaque dossier est divisé en quatre parties, la cassette n’en reprend que deux : d’une part, les saynètes, qui renvoient aux dialogues et aux dessins du livre ; et d’autre part la partie “Savoir Dire” qui reprend “les situations de communication du dialogue” et “les structures élémentaires de la langue”136. Le film se présente sous l’apparence d’un feuilleton de treize épisodes qui introduit des personnages jeunes : Vincent Dubois et Françoise Charrier font l’apprentissage du métier de réceptionniste dans un hôtel parisien. On rencontre différentes situations types : à la réception, au restaurant, dans les magasins, dans un café, au téléphone...

Les lieux présentés (l’aéroport d’Orly, la ville de Paris, l’hôtel Concorde et la réception, le marché aux puces, Cannes et la Côte d’Azur pour ne citer que ceux-là) sont réels, le degré de réalisme est plus grand que celui des films fixes ou de tout document papier. On voit ainsi une séquence filmée en décor naturel sur la Côte d’Azur, (épisode 11) : l’hôtel Martinez à Cannes, le bord de mer entre Cannes et Nice. Les plans filmés sont suffisamment longs pour donner des impressions du paysage, ils introduisent des référents géographiques, touristiques, en un mot culturels, mais la fonction accordée à ces images semble purement illustrative. Du point de vue sonore, aucun commentaire linguistique ou dialogue n’accompagne la séquence, sauf un léger fond musical.

Du côté des personnages, ce sont des acteurs professionnels qui animent les situations : on rencontre le directeur, le chef du personnel, les stagiaires de l’hôtel, le chauffeur de taxi, et l’hôtesse de l’air. Les personnages principaux (Vincent et Françoise) que l’on voit évoluer pendant plusieurs semaines ont le rôle de stagiaire en hôtellerie. Ils sont montrés surtout par leur fonction, débutants dans la profession, et pris dans des situations qui ne laissent aucune place à l’improvisation, on peut caractériser leur comportement de stéréotypé. On note qu’au cours du film peu de liens s’instaurent entre les différents personnages qui restent sans caractère : ils ne font que jouer un rôle sensé ressembler à celui de la réalité quotidienne.

A titre d’exemple, nous prendrons la scène d’ouverture du film, Orly (épisode 1), qui introduit les deux “héros” et le début de la narration. Vincent va chercher Françoise, la nouvelle stagiaire, à l’aéroport, il ne la connaît pas mais il a sa photo. Il prend un taxi pour se rendre à Orly. Ce premier épisode du film correspond dans le livre à quatre pages de dialogue illustré (vignettes 1 à 13). Par commodité, nous reproduisons la méthode papier, la deuxième scène intitulée “A l’aéroport d’Orly” où Vincent cherche Françoise dans le hall d’arrivée, mais ne la voit pas, il ne la reconnaît que trop tard, au moment où elle monte dans le car (vignettes 5 à 7) :

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Les deux personnages sont filmés dans le hall de l’aéroport dans le même champ de la caméra, ils se croisent deux fois et pourtant ils ne se voient pas. Vincent qui possède la photo de Françoise hésite à la reconnaître (vignettes 5 et 7). Cette recherche est doublée au niveau du linguistique par un monologue intérieur réduit d’un côté à : “où est Françoise?”. Françoise est filmée en parallèle avec Vincent et se demande pareillement : “où est Vincent ?”, puis, dans un deuxième temps : “où est-il ?”, “où est-elle ?”.

Cette démarche correspond au choix de départ de la méthode qui veut entretenir “‘un rapport étroit de complémentarité entre les images et les dialogues : le message donné dans le dialogue est en relation directe avec l’image’.”137 Cependant, la longueur de la scène donne un côté pesant à la situation qui est accentué par la musique. La conclusion de la scène est que la rencontre échoue : les deux “héros” ne se voient pas dans le hall de l’aéroport, et ils partent chacun de leur côté, en taxi et en car. Finalement la présentation a lieu dans le bureau du directeur (vignette 13). Cette scène, qui présente par ailleurs des caractéristiques d’un scénario de fiction, développe une narration au niveau des images : départ précipité de Vincent en taxi, et montage en parallèle : Françoise dans l’avion qui survole Paris ; arrivée à temps à Orly, vaine recherche des deux personnages dans l’aéroport ; rencontre ratée et retour des deux personnages chacun de leur côté à l’hôtel. On retrouve dans l’organisation de l’épisode le modèle du scénario classique, du schéma narratif simplifié : une situation de départ, d’équilibre entre les deux héros, une péripétie qui vient la troubler, et une fin où la situation se dénoue. On note bien des “ouvertures” grâce à l’image, c’est-à-dire des éléments culturels (Orly, Paris et ses monuments), des scènes hors dialogues. Cependant, les dialogues ont bien peu de liens avec tout cela, ils ne suivent pas la mise en scène attendue. Les images créatrices de sens ne sont pas réellement facilitateurs de sens, car elles sont en décalage par rapport au contenu linguistique. Dans cet épisode, elles sont réduites à la mise en situation de mini dialogues axés sur l’interrogation du lieu et sur la présentation de soi (“Qu’est-ce que vous faites ?” répété trois fois). On voit ici que la mise en relation entre la situation et l’acte de parole n’est pas toujours “automatique”, comme l’affirment les auteurs.

Quand on s’intéresse aux dialogues, il ressort qu’ils ne sont pas spontanés, mais fabriqués et réduits à un strict minimum langagier. Même si l’on sait que dans un film tout est choix, ils sont ici épurés de toute trace d’oralité, non conformes à ce que l’on attendrait d’une situation de communication dans la vie courante. Dans un épisode avancé (épisode 11), Françoise se trouve à l’aéroport de Nice-Côte d’Azur pour son travail, mais elle a perdu/oublié son sac dans le taxi. Elle se rend alors à la police de l’air pour faire une déclaration de perte. On constate que les paroles du policier rédigeant la déclaration de perte du sac de Françoise reprennent exactement les verbes employés par Françoise, au passé composé, ils seront ainsi répétés deux à trois fois :

  • A la police de l’air (9)
    Françoise : On a volé mon sac
    Le policier : On l’a volé ou vous l’avez perdu ?
    Françoise : Je crois que je l’ai perdu. J’ai pris un taxi, j’ai payé, j’ai posé mon sac à côté de moi sur le siège et puis je suis descendue du taxi.
    Le policier (écrit) : Je crois que je l’ai perdu.
    Françoise : J’ai pris un taxi, j’ai payé.
    Le policier : J’ai pris un taxi, j’ai payé.
    Françoise : J’ai posé mon sac à côté de moi sur le siège et puis je suis descendue du taxi.
    Le policier : Vous avez pris un taxi, vous avez payé, vous avez posé votre sac à côté de vous sur le siège et puis vous êtes descendue du taxi. Eh bien, on va appeler le central des taxis.

Par la répétition, les paroles du film sont ressenties comme forcées ou imposées pour servir la finalité didactique. Le scénario fictionnel est ici au service du linguistique, les images sont situationnelles, et les objectifs sont d’abord d’ordre grammatical : introduire le passé composé. La fiche d’exploitation confirme cette priorité, le contenu des séquences vidéo est le suivant : “le passé composé : être ou avoir ? Adjectifs possessifs : mon, ton, son, son, votre”. La démarche propose d’ailleurs de commencer par l’étude du passé composé avec le livre, puis le visionnement intégral du film, enfin la “séquence grammaticale vidéo” vient renforcer l’étude commencée ci-avant : “‘les exemples extraits du film illustrent bien le cas d’emploi du temps étudié’.”138

Une autre stratégie proposée est le visionnement segmenté pour exploiter chaque scène. Un découpage en plusieurs segments ou situations est déterminé par le lieu : d’abord pour assimiler les dialogues, ensuite pour transcrire les actions des personnages. L’étape suivante est de mimer la scène. On remarque d’autre part que les situations sont à deux locuteurs uniquement, et que les répétitions excessives deviennent lourdes si l’on s’avise de repasser la cassette plusieurs fois.

Notes
134.

Cette phrase que l’on trouve au dos du livre appelle deux remarques. Elle est d’abord une description du matériel qui est issu d’émissions télévisées. C’est un argument positif qui montre la notoriété des documents. Mais dans un deuxième temps, la phrase joue sur l’ambiguïté du terme TV/vidéo. Car une méthode justement faite pour la télévision sera conçue pour un type de public, de diffusion et de travail didactique qui n’est pas celui de la situation en classe de langue. Bienvenue en France, op. cit..

135.

Bienvenue en France, Avant-Propos du livre, p. 2.

136.

Bienvenue en France, Avant-Propos du livre, p. 2.

137.

Bienvenue en France, Livre du professeur, p. 5.

138.

ibidem, p. 73.