Avec la méthode vidéo en tant que matériau central d’apprentissage, tel qu’on le trouve dans Bienvenue en France, on revient à une utilisation conjointe de l’image et du son, telle celle préconisée dans les années 60-70. En effet, la méthode vidéo est ici au centre de l’enseignement/apprentissage : le film vidéo est le document de base, fabriqué pour la mise en place d’objectifs prioritaires d’ordre linguistique, grammatical et culturel. Deux tendances s’affrontent dans la méthode vidéo : la fiction et le contenu linguistique. Derrière l’aspect d’un feuilleton, composé d’épisodes qui présentent une nouvelle aventure à chaque leçon, se cache la structure rigoureuse des unités et des dialogues qui est liée à la notion de progression grammaticale. Le scénario de Bienvenue en France, souvent créatif et humoristique, éveille la curiosité, mais il est obligé de s’adapter aux consignes pédagogiques, il est dépendant du contenu linguistique à acquérir. Deux fonctions sont accordées à l’image dans Bienvenue en France : d’une part celle d’illustrer des référents linguistiques, et d’autre part de “simuler” une situation de communication. Mais montrer des situations dans lesquelles l’apprenant se trouvera, et où “‘il devra utiliser la compétence et les savoir-faire qu’il cherche à acquérir’”143 ne suffit pas. L’apprenant n’est pas réellement l’acteur de son apprentissage, il est spectateur de la communication, mais n’est pas pris dans le processus. Aucune méthodologie nouvelle n’est proposée à l’enseignant pour exploiter le film vidéo, aucune attention n’est prêtée à la situation de visionnement en groupe, ou seul devant l’écran. Les tâches et les activités restent des plus traditionnelles et ne sont pas en mesure de faire naître l’expression personnelle de l’apprenant (exercices de systématisation rencontrés dans Bienvenue en France). Cela ne peut que décevoir et dérouter les enseignants pour qui l’apprentissage est lié à une prise de conscience de la langue et de ses fonctionnements. La question de la communication par média interposé est donc au coeur de la problématique didactique. En introduisant de nombreux éléments non linguistiques, les données spatio-temporelles et psychologiques (gestes, mimiques, attitudes), l’image apporte une aide à la compréhension des actes de communication. L’image est bien facilitateur et producteur de sens : elle introduit de nouveaux et nombreux référents, mais l’exploitation du film reste cloisonnée dans le contenu à apprendre/comprendre et ne fait aucune place à l’expression des images. Cela ressort davantage dans la deuxième partie, “l’après-film” qui renvoie à la tradition bien connue de l’audiovisuel pédagogique - rencontrée dans l’enseignement en langue maternelle - : après la phase de motivation, apportée par l’épisode film, vient l’activité proprement didactique, ou l’après-film qui est chargé de “faire passer” l’information. Mais il s’agit avant tout d’une participation peu novatrice, basée sur la répétition, on attendrait davantage pour développer une compétence de communication.
Cette tendance nous paraît s’éloigner des préoccupations du communicatif initial et conforter les enseignants dans l’idée que la vidéo ou la télévision sont inaptes à enseigner, qu’elles n’apportent rien de nouveau dans la classe de langue. Il est en effet dommage de constater que les méthodes vidéo n’ont pas su ou pu offrir aux enseignants d’abord, et aux apprenants, une nouvelle façon d’apprendre à communiquer. Une explication est à rechercher dans la place que la méthode réserve à l’enseignant : elle semble vouloir l’évincer au lieu de se servir de sa présence et de l’inclure dans la médiation. Pierre Martinez144 explique pour sa part le côté traditionnel des méthodes par la difficulté d’évaluation des savoir-faire par rapport aux connaissances linguistiques et le besoin de l’institution scolaire de valider l’apprentissage. Si le contenu linguistique est dans un cours de langue toujours imposé, on constate que la méthode vidéo s’inscrit dans la tradition audiovisuelle linguistique, et apporte peu d’innovation pédagogique. Celle-ci réside essentiellement dans la présentation et peu dans le communicatif : on a cru qu’à lui seul le média rendait le cours communicatif. Il semble donc que la fonction de motivation apportée par la nouveauté du support ait été largement exploitée et détournée de son origine. C’est ici que l’écart entre deux types de méthode apparaît le plus nettement. Espaces propose une utilisation non rigide des séquences, possible à différents moments de la classe de langue, et permet d’adopter différentes démarches selon le but recherché. Cette tendance veut conserver l’authenticité du message, et propose de travailler à partir d’images réelles que l’utilisateur inscrit dans un contexte pédagogique. Ceci rejoint le courant des utilisateurs et des défenseurs de la langue authentique que nous allons voir maintenant.
Sophie Moirand plaidait pour un renouveau de l’audiovisuel déjà en 1974 et une rencontre entre la réflexion théorique sur la communication et la didactique in “Audiovisuel intégré” et communication(s)”, Langue Française n° 24, op. cit., p. 23.
Pierre Martinez, La didactique des langues étrangères, PUF, 1996.