Si dans l’enseignement traditionnel, l’étude des textes littéraires apportait à l’apprenant la culture savante, il a fallu attendre l’approche communicative pour qu’on réhabilite la culture au sens large. Robert Galisson176 est à l’origine de la double appellation “enseignement de la langue et de la culture” qu’il faut comprendre ainsi : la culture est dans la langue et vice-versa. C’est la dimension socio-culturelle de la langue qui est mise en valeur, et il ne s’agit plus de la culture “savante” (littéraire ou artistique), mais de la culture “courante”, ou “‘ethnographique qui détermine les comportements ordinaires des locuteurs’”177. De même Claude Germain définit la nature de la culture ainsi : “‘l’approche communicative fait surtout référence à la vie quotidienne, en tenant compte du comportement non verbal qui accompagne toute communication linguistique.”178 ’
En cela, le support vidéo introduit un renouvellement au niveau des contenus mêmes des documents abordés : on n’hésite plus à travailler avec la publicité télévisée depuis la publication de la cassette vidéo par Hachette en 1983, de “‘97 publicités télévisées pour découvrir la langue et la civilisation françaises’ ”, spots et livret d’accompagnement réalisés par Simone Lieutaud et Geneviève Moll. L’attrait pour la compétence culturelle, l’oral authentique et les images cinématographiques est plus fort que le dénigrement de l’objet publicitaire. L’ouverture sur la civilisation est ici très nette : “‘débusquer et expliciter les connotations culturelles à travers l’image et le langage’”179. Les thématiques sont nombreuses : le tableau des Français, à la fois l’image que le Français se donne de lui-même et celle qu’on lui renvoie ; le système de valeurs, les types sociologiques d’après l’habillement, la façon de parler, les modes alimentaires ou bien d’après les objets valorisés. La compréhension et l’interprétation se font en référence au système idéologique de la publicité (montrer pour faire envie, faire acheter ou rêver...) et aux valeurs qu’elle transporte : la beauté, la jeunesse, la tradition, la modernité... Les itinéraires pédagogiques ne manquent pas : le fonctionnement du discours, linguistique et technique, la lecture informative, la sémiologie de l’image et les connotations culturelles. Cependant, le vieillissement de ces documents laisse aujourd’hui supposer qu’ils ne sont plus utilisés, car l’un des attraits des documents télévisuels est d’être “actuel”, mais c’est aussi leur faiblesse d’être éphémères. L’expérience d’Hachette n’a pas été renouvelée pour différentes raisons ; il reste le matériau brut pour qui veut travailler sur ce sujet, car la publicité reste toujours le reflet d’une réalité télévisuelle française. Il est difficile de dire si l’engouement pour cette thématique était seulement passager et lié à une mode, ou si les nombreux problèmes de droits ont eu raison de l’attrait didactique. On constate en effet depuis les années 90 un éventail de plus en large au niveau des matériaux d’éditeur et une tendance à produire des films où la participation de didacticiens est parfois engagée ; les thèmes des cassettes vidéo vont des régions de France, aux fêtes françaises et à la vie des Français, et au cinéma d’Éric Rohmer.
Une production vidéo mérite d’être citée ici car elle fait partie des rares cas où la réalisation est entièrement due à des didacticiens et des enseignants universitaires, où la priorité est accordée aux besoins pédagogiques plutôt qu’aux exigences commerciales, il s’agit de Lyon à la Une 180. C’est une méthode multimédia destinée à l’apprenant des premières années universitaires qui apporte comme nouveauté le fait de s’adresser à des apprenants de niveau 2 et non à des débutants comme la majorité des méthodes. Un deuxième point novateur concerne la place réservée à la culture dans la méthode - la ville de Lyon sert d’arrière-plan culturel - et sa conception même qui voulait rénover l’image de l’outil vidéo : “‘il fallait démontrer son utilité indéniable comme modèle, comme stimulus et comme base d’exercices.’”181 Il s’est agi en fait d’allier l’outil vidéo, la compétence de communication et l’approche fonctionnelle. Le matériel (vidéo, audio, ou écrit, exercice, note-conseil, note-transcription) est structuré en huit modules en fonction du rythme d’enseignement universitaire, chacun comprend six étapes pédagogiques : compréhension globale, renforcement à l’oral, analyse, production orale, production écrite et activité communicative. Les activités insistent réellement sur la fonction communicative et visent de nombreux aspects : renforcement lexical, interprétation, reportages, conversations téléphoniques, jeux de rôles... A la différence des méthodes d’éditeur, les réalisateurs ont choisi résolument de s’écarter des normes télévisées, telles qu’elles apparaissent par exemple dans le feuilleton télévisé Avec Plaisir 182, où le format (scénario et fiction) faisait partie de la motivation. Dans la mesure où la méthode s’adresse à des non débutants, on a d’autres exigences de la part de l’apprenant :
‘“son comportement est celui d’un linguiste en formation, non d’un téléspectateur habituel. Il accepte de regarder une même scène pendant quelques minutes. Il parle volontiers de zooms, de fondus-enchaînés, de musique d’ambiance.”183 ’Parmi les différentes possibilités d’apprendre avec les documents vidéo, les auteurs didacticiens ont retenu celle qui leur paraît la plus adaptée à la démarche communicationnelle, c’est-à-dire partir de documents filmés sur le vif pour confronter les étudiants aux modèles linguistiques des Français ; ce choix s’explique aussi par la situation d’enseignement en Écosse où les apprenants ont peu l’occasion d’être en contact avec la langue réelle. D’un point de vue méthodologique, Lyon à la Une offre l’avantage par rapport à des documents issus des médias d’être adaptée à des besoins linguistiques et culturels précis184. Conçue plutôt pour un usage en classe, la méthode est homogène, elle présente une forte cohérence entre les documents et les exercices d’exploitation, l’évaluation est continue et finale.
A la rencontre entre le monde de l’édition et de l’enseignement, le Français dans le Monde fait preuve d’initiative éditoriale et didactique. A partir de 1994, la rédaction propose un abonnement complémentaire de la revue sous forme de cassettes vidéo “FDM, Vidéo Classe”. L’édition de ces cassettes vidéo est une première dans la diffusion de documents télévisuels destinés à l’enseignement du Français Langue Étrangère, et s’inscrit dans la tradition d’enseignement de la civilisation. C’est d’abord pour répondre à un besoin, celui d’avoir des documents, surtout quand on enseigne à l’étranger, que Jacques Pécheur, le rédacteur du FDM, a décidé de créer ces cassettes vidéo. Pour expliquer ce choix des images de la télévision, trois raisons principales sont avancées par M. Beacco di Giura185 : la consommation de télévision et de cassettes vidéo qui ne cesse d’augmenter, la diffusion du réseau télévisuel câblé ou par satellite qui s’élargit, et l’utilisation du magnétoscope qui est devenue plus courante. Les cassettes vidéo offrent “une mosaïque d’images mais aussi de sons” de France : une grande variété de sujets sont abordés pour répondre aux intérêts les plus divers. Deux points dominent dans l’élaboration des cassettes ; le premier est d’ordre thématique, c’est la référence à l’actualité (non événementielle). Le deuxième est d’ordre économique, offrir aux abonnés un produit à un prix qui reste modeste, et se démarquer ainsi des éditeurs. C’est également pour mettre fin à une “pratique sauvage”186 de la télévision, c’est-à-dire aux problèmes d’enregistrement et de droits d’enregistrement - que rencontrent les enseignants - qui sont ici pris en charge par l’institution. En accompagnement de la cassette vidéo, qui paraît au rythme de quatre par année scolaire, un livret d’une trentaine de pages, destiné aux enseignants, est intégré à la revue du Français dans le Monde. On peut y lire en guise d’introduction cette adresse aux enseignants : “‘FDM, Vidéo Classe, votre magazine Vidéo pour la classe”187 ou encore, “vous voici une nouvelle fois en contact avec l’actualité et la réalité française’”.
Le livret s’ouvre sur un sommaire qui est chargé, de manière générale, de présenter la cassette ; à une douzaine de rubriques correspond une douzaine de sujets : sont indiqués le titre du document vidéo et sa durée, et un résumé du contenu est proposé. De nombreuses informations sur les documents vidéo sont contenues dans le livret qui est une aide essentiellement pédagogique. On découvre dans une première partie la transcription intégrale de chaque document, ce qui permet de prendre connaissance rapidement du contenu linguistique. Une deuxième partie intitulée “suggestions pédagogiques” se divise en deux : d’une part les “pistes d’exploitation”, et d’autre part la “démarche proposée” pour le déroulement du cours. Deux sortes d’indications sur le document sont données tout de suite au professeur, d’une part à propos du public auquel s’adresse le document ; d’autre part, les objectifs sont brièvement présentés d’un point de vue à la fois civilisationnel (“‘S’approcher d’un des problèmes de la société française : la place qu’occupent les femmes en son sein’.”), et linguistique (“Apprendre à exprimer son avis et à l’argumenter”)188. Les activités sont par exemple “‘l’individualisation des actes de parole : exprimer son avis et argumenter’”; ou, “‘prendre des notes et à partir des notes faire un court exposé sur le sujet traité’”. Une dernière partie, les “pistes d’exploitation”, apporte ensuite des informations complémentaires sur le sujet, le contexte, la situation dans le pays. Il faut remarquer enfin dans le livret l’apport de documents écrits, notamment d’articles extraits du journal Le Monde. L’utilisation conjointe de ces différents documents peut contribuer à construire un enseignement multimédia, au sens de l’emploi de divers supports d’enseignement.
Le visionnement de la cassette met le professeur face à un magazine contenant une dizaine de documents relevant du genre du reportage, en général extraits d’un Journal télévisé. On y retrouve en effet les caractéristiques de l’écriture télévisuelle, tant au niveau des images : durée des documents (entre 30 secondes et 3 minutes), brièveté des séquences (rythme rapide dû au montage), qu’au niveau du son : musique, voix on et off, bruits et bruitages. Le sommaire marque le début de la cassette, quelques images de chaque rubrique sont accompagnées d’un bref commentaire, à la manière des titres dans un début d’émission. Le document est ensuite introduit par un extrait musical et précédé d’un intertitre (“société”, “écologie ou histoire”...), puis le titre apparaît en incrustation à l’écran (“Femmes je vous aime”) avec les premières images. Le document ne précise pas son origine, il y a en effet absence de présentateur, et donc d’indications temporelles précises. Nous savons par ailleurs que les documents télévisuels de la cassette sont repris d’émissions de France 2, et des rushes de Journaux télévisés notamment. Le FDM a un droit d’accès à la bande d’images (avec le son), produites par la chaîne ; seules les images de studio ne font pas partie de ces enregistrements. Un nouveau montage est nécessaire pour faire passer le rush du statut de reportage à celui de document télévisuel Vidéo Classe.
Nous reviendrons sur l’usage didactique des documents vidéo du Français dans le Monde dans la deuxième partie sur l’apprentissage, où certains exemples seront empruntés à ces cassettes vidéo. Mais on peut d’ores et déjà dire que ces documents permettent aux enseignants d’avoir à leur portée des documents authentiques qui ont été sélectionnés en tenant compte de nombreux paramètres didactiques, et qui sont prêts à l’emploi. Grâce au livret pédagogique, le travail de préparation de l’enseignant est facilité, l’approche du document prend en charge une partie des problèmes que les enseignants ont à résoudre : l’actualité, la durée, les objectifs linguistiques et culturels, la transcription du message linguistique, exercice souvent difficile pour des non francophones. Thierry Lancien parle de cette nouvelle tendance des documents pour la classe en ces termes : “‘Tout se passe comme si l’heure n’était plus à encoder pédagogiquement des messages télévisuels, mais plutôt à contextualiser pédagogiquement des messages grand public’.”189
On constate que, dans un même temps, les chaînes de télévision réagissent à la demande des institutions en émissions et que les enseignants de langue vont avoir à leur portée un nouveau matériel, sans cesse renouvelé, grâce au câble et au satellite - nous allons développer cet aspect en 1.3.4..
Robert Galisson, “De la linguistique appliquée à la didactologie des langues et des cultures. Vingt ans de réflexion disciplinaire”, in ELA n°79, Paris, Didier Érudition, 1990.
Robert Galisson, De la langue à la culture par les mots, CLE International, Coll. DLE, Paris, 1991.
Robert Galisson, “En matière de culture le ticket AC-DI a-t-il un avenir?”, in ELA n°100, Didier Érudition, 1995, p. 85.
Claude Germain, Evolution de l’enseignement des langues : 5000 ans d’histoire, CLE International, Coll. DLE, Paris, 1993, p. 204.
Simone Lieutaud, Geneviève Moll, Livret d’accompagnement aux 97 publicités télévisées pour découvrir la langue et la civilisation françaises, Paris, Hachette, 1983.
Lyon à la Une, A. L. Walker, Bickerton, Coleman et alii, University of Edinburgh, 1986. La méthode est composée de cinq vidéocassettes, quatre cassettes audio, d’un manuel de l’animateur et du livre de l’étudiant.
“Lyon à la Une”, Dialogue entre Carmen Compte et Jim Coleman, in FDM n°207, p. 65.
Avec Plaisir, Französischer Videosprachkurs, Guy Capelle, Albert Raasch, Langenscheidt, München, 1985. Voir la partie sur les méthodes vidéo 1.2.3.2..
“Lyon à la Une”, in FDM n°207, p. 67.
L’aspect socio-culturel est souvent traité à la façon d’un dossier didactique sur un thème particulier. “Lyon à la une”, p. 68.
M. Beacco di Giura, “Télévision en classe !”, in FDM n°264, avril 1994, pp. 65-67.
Extrait d’un entretien avec Jacques Pécheur, rédacteur en chef du Français dans le Monde, 1995.
Livret FDM Vidéo Classe n°7, Octobre 1995, p. 3. Le choix du mot “magazine” est une indication sur le “format” de la cassette impliquant la durée (26 minutes) et la présentation, “l’habillage”.
Livret FDM Vidéo Classe et cassette n°8, décembre 1995.
Thierry Lancien, “Problématique actuelle de l’usage des médias audiovisuels dans l’apprentissage d’une langue étrangère”, in ELA n°94, pp. 57-64, 1994.