1.2.4.1. Apprentissage et approche naturelle

D’entrée une distinction est à faire au niveau des termes entre “‘enseignement et apprentissage’”190 d’une part, et “apprentissage et acquisition” d’autre part. Si pour certains comme Krashen l’opposition réside dans le binôme apprentissage/acquisition, l’évolution généralement admise est le glissement du premier terme vers le second, de l’enseignement vers l’apprentissage191. Un premier aspect que nous considérons essentiel lors d’un apprentissage de la langue étrangère est d’aider l’apprenant à se sentir responsable de son apprentissage, surtout lorsqu’on a affaire à un public d’étudiants ou d’adultes. Nous retrouvons ainsi dans la méthode communautaire de Curran192 - qui ne met pas tant la langue au premier plan que l’interrelation entre les apprenants - des éléments qui serviront à construire notre démarche d’apprentissage en groupe. Cette méthode prend en considération les cotés humain et affectif, les intentions des apprenants. Il s’agit d’inciter les apprenants à s’engager entièrement (émotions, sentiments), et, ceux-ci peuvent, une fois sécurisés, être réceptifs aux interactions avec les autres. Nous montrerons ultérieurement des situations qui favorisent à la fois l’indépendance et la responsabilisation de l’apprenant (en 3.2. et 3.3.) ; dans ce sens les médias peuvent aider à l’apprentissage de l’autonomie, c’est-à-dire un apprentissage qui ne se limite pas à des compétences langagières, mais mène l’apprenant à “apprendre à apprendre”, pour reprendre l’expression de Henri Holec193 .

Une des conditions de l’apprentissage et/ou de l’acquisition est l’exposition à la langue et culture. L’approche naturelle de Krashen194 et Terrel nous intéresse d’une part pour la dimension élargie du cadre d’apprentissage qu’elle propose, c’est-à-dire pour développer l’acquisition de la langue en milieu naturel. La situation d’enseignement/apprentissage correspond à celle des étudiants et adultes dans les Centres universitaires en France qui sont à la fois en situation d’apprentissage en milieu institutionnel et d’acquisition en milieu naturel. D’autre part, le travail avec des matériaux provenant de l’environnement de l’apprenant est au coeur de notre recherche, en situation de réception comme de production, puisque certains chapitres sont consacrés à la réalisation d’interviews vidéo menées par les apprenants. Le rôle des médias audiovisuels à souligner ici pour leur dimension à la fois langagière et communicative : ils sont vecteurs de la langue, mais il sont aussi chargés d’assurer la médiation entre les partenaires de la communication. On ne peut parler d’acquisition linguistique que dans la mesure où les récepteurs comprennent les messages qui leur sont transmis, et en offrant une double source de compréhension, linguistique et visuelle, les médias favorisent l’acquisition :

‘“il s’agit d’exposer massivement l’acquérant à la langue cible, tout en lui fournissant le plus grand nombre d’indices possibles (contexte, situation, gestes, etc.) de manière à en faciliter l’interprétation.”195

Le matériel didactique est chargé de faire le lien entre les activités de classe et le monde extérieur, et d’encourager la communication entre les “acquérants”. Ainsi la radio et la télévision se prêtent bien à cette fin ; l’emploi de l’image et du matériel visuel est encouragé comme facilitateur de compréhension. Afin de promouvoir la communication, les activités proposées devront favoriser un degré maximal de compréhension. Krashen fait bien sûr référence à l’acquisition naturelle de la langue 1, et l’enseignement se doit “de reproduire en quelque sorte cette façon ‘naturelle’ d’acquérir une langue 2.”196 Cependant, il ne faut pas opposer la salle de classe à l’environnement naturel, le milieu pédagogique permet de faciliter l’acquisition chez des débutants en dosant l’input de compréhension à un niveau légèrement au-dessus du niveau de compréhension des apprenants. Au lieu d’opposer environnement didactique et environnement naturel, nous nous efforcerons de montrer leur complémentarité : l’environnement didactique donne à l’apprenant les conditions nécessaires à l’apprentissage, et il est également un lieu de réflexion sur les discours “naturels”, au sens que Daniel Coste leur a donné.

Un dernier point qui sera essentiel pour notre démarche est la conception de la démarche d’apprentissage. La psychologie cognitive souligne le rôle actif de l’apprenant dans son processus d’apprentissage. Selon Compain le processus de compréhension consiste à “‘mettre en rapport une information nouvelle ou nouvellement perçue avec l’information déjà présente en mémoire.’”197 En misant sur le développement des habiletés réceptives, il s’agit de réduire l’écart entre les connaissances préalables et les nouvelles. On pressent notamment l’importance du rôle joué par les acquis culturels en langue maternelle, en particulier les savoir-faire, qui pourront servir à faciliter le transfert d’informations vers la langue étrangère. D’autre part, des recherches en neuro-biologie, insistent sur la nécessité des modalités sensorielles variées. Pour Hélène Trocmé, il y a

‘“nécessité d’observer une hiérarchisation des tâches en relation avec la maturité du cerveau, seul décideur de la progression : de l’acte perceptif concret, sécurisant, à l’acte conceptuel abstrait”.198

Une donnée importante est de partir des connaissances que possèdent les apprenants. Ainsi, la vision globale de l’organisation des messages, l’examen de la structure de ceux-ci permet aux apprenants de réinvestir leurs acquis. La représentation qu’ils possèdent de ce que devrait être tel type de texte est mise à profit dans le décodage du message étranger. Nous voyons surtout une facilitation de l’apprentissage dans la mise en relation de différents canaux de perception : l’image englobe une quantité quasi infinie de signes - allant du concret scriptuel à l’abstrait, les couleurs -, qui servent à la fois à la présentation du contenu, à donner de l’information ou à compléter celle des autres canaux. Enfin, plus largement sous l’impulsion des sciences de l’éducation, et notamment des travaux de Philippe Meirieu199, la didactique s’intéresse aux profils d’apprenant (visuel, sonore, kinésique, cérébral) et s’ouvre à la pédagogie différenciée. Il reste à voir comment ces nouvelles données apportées par la psychologie sont prises en considération lors de l’élaboration des matériaux didactiques, c’est ce que nous ferons dans la troisième partie à propos du matériau multimédia.

Notes
190.

Galisson explique le passage d’un terme à l’autre et insiste sur le fait qu’il n’existe pas de relation causale directe entre enseignement et apprentissage; l’apparition du terme apprenant qui désigne le sujet comme acteur marque également la centration sur l’apprentissage. in ELA n°79, “Enseignement et apprentissage des langues et cultures”, p. 35-52.

191.

“Krashen propose la dichotomie apprentissage /acquisition, mais on s’en tient dans le milieu français à l’opposition ‘acquisition naturelle/ apprentissage scolaire’ qui marque un recul par rapport à la position de Krashen.” Robert Galisson, in ÉLA n°79, p. 41.

192.

Nous renvoyons à Claude Germain, au chapitre 15 consacré à l’Apprentissage communautaire des langues (Community Language Learning) de C. A. Curran, op. cit., pp. 221-231.

193.

Henri Holec, “A propos de l’autonomie”, in ÉLA n° 41, pp. 7-23.

194.

S. D. Krashen, Second language Acquisition and Second Language Learning, New York, Pergamon Press, 1981.

Principles and Practice in Second Language Acquisition, New York, Pergamon Press, 1982.

195.

Claude Germain, op. cit., p. 250.

196.

Claude Germain, op. cit., p. 243.

197.

J. Compain, Étude de la production orale en langue seconde d’apprenants adultes dans un cours axé sur les habiletés réceptives, thèse de Ph. D., Éducation, Université du Québec, 1990, p. 47.

198.

Hélène Trocmé-Fabre, J’apprends, donc je suis, Paris, Les éditions d’Organisation, 1987, p. 55.011

199.

Philippe Meirieu, Apprendre... oui, mais comment, Paris ESF, 1995.