1.3.2. La Communication AudioVisuelle : une nouvelle discipline ?

Le courant ICAV est, à sa création en 1966, l’Initiation à la Culture Audiovisuelle, avant de devenir Initiation à la Communication Audiovisuelle ; il relève d’un ensemble de préoccupations autour de l’enseignement de l’audiovisuel. Les moyens audiovisuels ne sont plus considérés comme un auxiliaire de l’enseignement, le support audiovisuel est ici un objet d’analyse et d’éducation. Dans un premier temps, l’influence du cinéma est très présente, et l’initiation est définie en termes de culture : une formation aux oeuvres de culture audiovisuelle. Puis l’accent a été mis sur la communication éducative face aux messages audiovisuels. Ces recherches, étalées jusqu’au début des années 80, témoignent d’une prise de conscience de la part des formateurs : pour enseigner avec la technique, il faut s’intéresser au récepteur du message et à sa capacité à maîtriser les faits de communication et les langages. De nombreux travaux ont été publiés au départ par le CRDP de Bordeaux à l’instigation de René La Borderie, puis par d’autres centres, des formations d’enseignants (au sein des académies) et d’élèves ont été mises en place. Les objectifs de l’ICAV en 1973 sont de

‘“reconnaître, intégrer, maîtriser la culture réellement vécue, véhiculée le plus souvent par les moyens audio-visuels, d’où la nécessité de situer les élèves dans le monde des images et de leur faire acquérir des outils d’analyse et d’appréhension critique pour affiner la perception, connaître les codes culturels et les maîtriser.”213

La réflexion est menée au niveau des messages, de l’émission et de la réception, et des processus de signification :

‘“Quand et pourquoi naît le sens devant un message audiovisuel ? Quelles sont les participations réelles respectives du producteur et du spectateur à l’émergence de la signification et comment projetons-nous dans une image les structures ou les relations qui l’organisent ?”214

En insistant sur ce qui relève de la perception (audio et visuelle) et ce qui relève de différents codes (iconique, verbal, filmique), l’objet de l’ICAV se définit ainsi par la maîtrise du processus de signification des messages. Le rôle du système éducatif étant alors le lieu de la “mise en forme”, non des messages, mais des récepteurs de ces messages, qu’ils soient d’origine scolaire ou extra-scolaire. L’aspect nouveau est le fait de mettre l’apprenant au centre de la relation de communication. Le travail de l’ICAV se fonde aussi sur le sens pluriel du message, il pose comme principe que le sens n’est pas inhérent au message, mais qu’il est induit par celui-ci. Cela suppose que l’on accepte le pluriel de sens et l’élaboration collective de celui-ci. La finalité du cours est d’attribuer des significations au message par “un va et vient répété entre les verbalisations et le message.”215 L’actualité des propos est frappante, pourtant ceux-ci ont été suivi à l’époque de peu d’effets, il faut attendre 1982 pour voir les médias écrits entrer dans le monde éducatif, l’audiovisuel restant en marge de la formation.

A propos de l’enseignement des langues, René La Borderie précise qu’on ne peut échapper au problème du sens et voit dans l’utilisation de l’image :

‘“une solution (qui) consiste à utiliser un instrument de type non linguistique dont la structure n’est pas en concurrence avec celle de l’objet visé et qui, d’autre part, entretienne avec la représentation mentale de l’élève un lien relevant d’une sorte d’immanence, de transparence, ou encore d’identité.”216

Nous considérons cette affirmation comme capitale, car cela renforce l’idée de la complémentarité des systèmes de signification, et non la dominance de l’un sur l’autre. C’est ce qui sera démontré dans la deuxième partie dans l’analyse des messages.

Par ailleurs, une idée nouvelle à l’époque, est de considérer le processus de signification comme le résultat de la rencontre entre le message et le sujet, ce qui diffère du schéma généralement admis de l’encodage et du décodage. Ceci renvoie à l’idée évoquée plus haut du pluriel du sens, c’est-à-dire de donner aux élèves “‘la possibilité sociale et instrumentale de s’exprimer’”, d’apprendre les lois de la communication. René La Borderie précise que les enseignants, chargés de cette initiation, doivent recevoir une formation fondamentale, ensuite il s’agit de favoriser une formation permanente - des périodiques comme Messages et Sélicav assurent la liaison entre pratique et théorie, entre terrain et réflexion -. L’ICAV ne doit pas être considérée comme une discipline à part, la formation pouvant être étendue à l’ensemble des enseignants et la valeur éducative aux disciplines.

L’ICAV a donc le mérite d’avoir apporté des éléments novateurs en matière de communication éducative, notamment à propos de la place accordée au récepteur dans l’acte de lecture-interprétation. Ces questions sont toujours actuelles, car elles sont à la base de toute analyse des messages. On mesure le poids de l’institution et l’importance de la formation des enseignants pour faire évoluer durablement la recherche : l’élan des initiateurs est retombé sans avoir réussi à rénover l’enseignement.217

Notes
213.

“Qu’est-ce que l’I.C.A.V. en 1973 ?” Fiches descriptives de l’orientation de l’Initiation à la Communication Audiovisuelle établies par les membres du groupe de recherche: A. Brives, J. Chauvet, et alii. C.R.D.P. de Bordeaux.

214.

René La Borderie, Aspects de la Communication éducative, Casterman, 1979, pp. 202-216.

215.

ibidem, p. 211.

216.

ibidem, p. 181.

217.

Nous faisons allusion à l’article critique de Michel Tardy qui tente de répondre à la fièvre de l’innovation pédagogique et à la question de la supériorité des médias dans l’enseignement : mais changer les moyens sans modifier les objectifs de la pédagogie ne sert à rien. “Il faudrait rénover l’idée de rénovation”, in Média, n°96-97, 1977, pp. 5-17. (Voir aussi 1.2.2.1.) On retrouve aussi la permanence de ces idées dans René La Borderie, Education à l’image et aux médias, Nathan, 1997.