Sans vouloir entrer dans les détails de l’histoire de la télévision publique et de ses rapports avec l’Éducation, on constate, après la période de télévision didactique riche en expériences (chapitre 1.2.2.2.), et l’apogée de la Radio-Télévision Scolaire dans les années 60 (elle devient un service du CNDP), son rapide déclin. Malgré ses atouts : un volume d’heures d’émissions en augmentation - il atteint 13 heures 30 hebdomadaires en 1964-65 -, la production qui est confiée à du personnel enseignant (laboratoire de l’ENS de Saint-Cloud), des émissions qui sont conçues comme un complément à l’enseignement, pour être utilisées directement en classe.231 On peut attribuer ce déclin aux difficultés que rencontre la RTS vis à vis de l’ORTF (droit de regard sur le contenu des émissions, monopole de la programmation) : au début des années 80, restent 3 heures 30 de programmes hebdomadaires destinés au primaire ou à la formation continue. On ne peut finalement que constater le désintérêt pour la télévision éducative. Il faut attendre 1989 et 1990 pour voir se rapprocher les deux institutions, même si des rapports d’opposition et de non compréhension subsistent. Louis Porcher pose à juste titre dans Télévision, culture, éducation la question toujours actuelle : assiste-t-on à “une nouvelle guerre de cent ans” entre la télévision et les tenants de la culture savante, dont font partie les enseignants ? Car, selon lui : “‘La télévision a été ressentie comme une concurrente, implantant dans les têtes des savoirs non estampillés et que l’enseignement ne contrôle pas.’”232
Pendant la décennie 80-90, l’effort a surtout porté sur l’équipement du milieu éducatif, ceci renvoie à l’introduction des “technologies modernes”233. Concrètement cette volonté s’est traduite par des équipements en matériel informatique et audiovisuel234 dans les établissements : les plus répandus sont en premier les magnétophones, en second les téléviseurs et les magnétoscopes, mais ceux-ci restent insuffisants pour l’équipement des classes de langue. Des questions de choix d’équipement sont posées : faut-il câbler les établissements, installer des antennes paraboliques, ou bien acheter des magnétoscopes en plus grand nombre ? Cette question se pose à nouveau à propos des nouvelles technologies, l’équipement audiovisuel et informatique étant toujours le gage d’une éducation moderne.
Il s’agit aussi de confier aux enseignants de nouvelles tâches éducatives, définies dès 1981 :
‘“pour transformer l’apport multiforme des médias en un savoir construit” car “l’école doit avoir avant tout un rôle de mise en ordre et d’organisation, d’éveil à l’esprit critique et au goût de l’action”235 . ’Il faut cependant attendre 1989 pour voir se dessiner une nouvelle attitude, une prise de conscience du phénomène télévision. En effet, des propositions sont faites dans le rapport Pomonti pour rapprocher l’école et la télévision, pour agir “‘en faveur d’une consommation télévisuelle à l’école”, notamment par le rachat des droits de représentation publique et d’usage pédagogique des émissions de télévision.”236 ’ Jacques Pomonti demandait également que la formation des enseignants à l’audiovisuel soit assurée. Mais le changement va se faire en fait avec un développement de la télévision scolaire. Ainsi en 1990, le CNDP, après des négociations avec France 3, devient partenaire de la chaîne. Le CNDP est à la fois producteur en apportant des programmes, et coproducteur, car il participe aux financements. La chaîne diffuse les émissions de télévision scolaire, ainsi que le droit de diffusion sur cassettes vidéo de certaines émissions. Ceci est possible grâce au développement des magnétoscopes. Des émissions de la télévision généraliste sont parfois exploitées par le CNDP (notamment l’émission Thalassa, libre de droit). On pense par exemple au succès obtenu par une émission comme Continentales de France 3, qui a ainsi ouvert quatre créneaux éducatifs d’une heure trente, le matin.
Avec la création d’une revue Télescope 237 destinée aux enseignants, un autre pas est franchi : elle a pour ambition d’apporter une aide à l’intégration de la télévision généraliste en classe. C’est une présentation hebdomadaire des programmes qui sélectionne et signale des émissions, en insistant sur la durée de l’émission et l’âge du public. Certaines d’entre elles donnent lieu à un article qui résume la thématique et présente des pistes pour les cours (de géographie, d’histoire et de français). L’avantage d’une revue spécialisée est d’aider l’enseignant a choisir plus facilement une émission qu’il enregistrera ou regardera en direct avec sa classe, car une aide à la sélection de l’émission nous semble tout aussi importante que les conseils pour son exploitation. Au niveau des articles de la revue, il est difficile à la lecture de leur donner un statut. On peut regretter, par exemple dans le n°141, que la présentation du film Microcosmos 238 qui accompagne la sortie du film en salle ne soit qu’un compte-rendu détaillé : un exposé de biologie s’adressant davantage à un élève de lycée qu’à un enseignant (décrivant à la fois le corps de l’insecte, expliquant sa façon de se nourrir ou de respirer). Par ailleurs, des informations très utiles sur le tournage des séquences, les techniques utilisées aident à mieux regarder et comprendre ce nouveau type de documentaire. Le fait que la parole soit exclue de la bande son (sauf le bref commentaire de début), que les bruits soient transformés, que la musique y participe sont des éléments à remarquer. Mais on se demande si l’objectif de cet article n’est pas en fait d’inciter l’enseignant (ou ses élèves ?) à aller voir le film plutôt que de lui proposer une aide didactique pour le visionnement. L’accent n’est pas mis sur la possibilité d’acquérir des savoirs transversaux, relevant du français et de la biologie par exemple. Un deuxième aspect de la revue porte sur la présentation des émissions de télévision (documentaire de la FAO Le défi alimentaire, jeudi à 15h, 52min.) : c’est surtout le contenu thématique qui est traité et il n’est pas toujours facile de démêler le commentaire de ce qui est réellement traité à la télévision. On oscille entre l’apport d’informations complémentaires et la critique de l’émission, alors que l’enseignant a d’abord besoin d’informations sur un document qu’il n’a pas visionné. On constate donc que les informations techniques ne sont pas données, sans doute sont-elles jugées inutiles pour l’enseignant, alors que la durée et la structure de l’émission sont des éléments déterminants pour le guider dans son choix et dans le visionnement.
En 1993, la création de la Cinquième 239 apporte un changement d’importance : elle a pour objectif de répondre à l’immense besoin de formation, d’information et de savoir de multiples publics ; elle doit s’adresser aux milieux scolaires, universitaires, professionnels, mais aussi aux entreprises et chercheurs d’emplois. Il s’agit d’émissions de télévision qui renvoient généralement à une utilisation de la télévision en direct : on change par-là le mode de réception et d’utilisation d’émissions télévisées, jusque là connu et pratiqué par les enseignants.240
Par ailleurs, l’apprentissage des langues, qui semble être un domaine privilégié en ce qui concerne les expériences avec la TV, avait déjà fait connaître la tendance du direct. En 1988, on préconisait une réception en direct, dans la classe, de la télévision étrangère :
‘“les TV étrangères sont utilisées en direct de manière à placer les élèves dans une situation de communication éphémère et à leur faire prendre conscience du caractère irréversible des messages échangés dans la réalité quotidienne.”241 ’Si on trouve là la garantie de l’authenticité des sources, images et sons, les problèmes soulevés par cette approche sont surtout d’ordre pédagogique. Les contraintes pratiques sont grandes (notamment pour faire correspondre l’heure de diffusion et celle du cours), le déroulement de l’acte didactique est soumis au média. En effet, le visionnement est unique, le groupe classe assiste par exemple à la diffusion d’un journal télévisé (version courte de cinq minutes). Une émission de la Cinquième comme l’Eurojournal permet de recevoir des Journaux télévisés anglais, allemand, russe, italien et espagnol, en provenance de cinq chaînes nationales étrangères. Une présentation en français des différentes séquences traitées dans le JT sert à introduire le thème et les circonstances de l’information. Les sujets traités sont à dominante politique, intérieure ou internationale. Puis les extraits du JT étranger se succèdent en VO sous-titrée. On remarquera ici la mise en contexte pédagogique de l’image télévisuelle : les sources sonores, scripto-visuelles et iconographiques sont réunies pour faciliter la compréhension. Cependant, dans le cas d’une réception en direct, le professeur découvre l’émission avec les élèves, il connaît seulement le genre télévisuel. Les apprenants sont placés dans une situation d’écoute complexe qui requiert une attention et une concentration particulières et va largement au delà de leurs capacités linguistiques et cognitives. De plus, le choix du genre informatif, souvent dicté par la “noblesse” du genre par rapport à d’autres, n’est pas le plus adapté aux besoins de jeunes apprenants. Les objectifs principaux sont d’inciter les élèves à prendre la parole en vue d’améliorer l’expression orale. L’image a ici une fonction de motivation, il s’agit de dire ce que l’on a vu, ce dont on se souvient, mais il semble difficile de dépasser le niveau de la dénotation et de restituer sous forme verbale ce que l’on a compris. Quelques partisans de cette démarche tiennent pour “artificielle” celle qui consiste à repasser plusieurs fois le document enregistré (et connu de l’enseignant).242
Si la solution du direct résout les problèmes d’ordre juridique, elle place l’enseignant et les apprenants devant de nouvelles difficultés. L’enseignant n’a plus le contrôle du matériel pédagogique et n’est généralement pas préparé à une telle pratique. Quant à l’apprenant, nous pensons que cet usage de la télévision dans un contexte d’apprentissage autre que la classe de langue - dans un Centre de Ressources par exemple -, peut être formateur pour celui qui y est entraîné d’un point de vue méthodologique. Certains enseignants ont semble-t-il trouvé une solution plus adéquate pour l’enseignement des langues : le recours à l’enregistrement sur support vidéo de la télévision en provenance du pays étranger, grâce aux équipements en antenne satellite. Il est évident que l’offre télévisuelle allant grandissant, le câble donne accès à de nombreuses chaînes qu’il est tentant de recevoir dans le contexte d’enseignement/apprentissage243. On citera par exemple la chaîne européenne Euronews qui diffuse de l’information en continue en cinq langues. On pense également à la chaîne francophone TV5 pour la diffusion du français à l’étranger, reçue dans plus de cent pays ; elle propose de plus en plus d’émissions pour un travail avec la télévision et édite une brochure mensuelle visant à l’information des enseignants. De plus, le CAVILAM réalise une mise en contexte didactique de nombreuses émissions qui est une aide précieuse pour l’enseignant de langue à l’étranger - nous y reviendrons dans la troisième partie à propos de son orientation vers le multimédia en 3.3.2..
Dans l’historique mené par Jean Cluzel, on constate que les programmes de la RTS comportent trois catégories d’émissions : celles destinées aux élèves (du primaire et du second degré) et celles pour les enseignants qui sont des émissions de complément et d’information. Regards sur l’audiovisuel, T. 6, “Éducation, culture et télévision”, L.G.D.J.,1994, pp. 39-52.
Louis Porcher, Télévision, culture, éducation, principalement la 3. partie, op. cit., p. 104.
L’emploi du terme “technologie” est ambigu, car il a succédé au mot “technique” utilisé dans les années 80 pour parler du matériel audiovisuel. Aujourd’hui le terme de “technologie” renvoie essentiellement à l’équipement informatique et télématique, aux TIC.
Un recensement des matériels audiovisuel et informatique a été réalisé par le Ministère de l’Éducation nationale en 1994 pour les établissements du secondaire. Il ressort qu’entre 1987 et 94, le nombre de téléviseurs est passé de 17 105 à 61 507, le taux d’équipement est de 96,2%. Mais le rapport élève-récepteur reste très inégal : il y a un récepteur pour 94 élèves (un pour 344 en 1987). En ce qui concerne les magnétoscopes, le taux d’équipement est de 93,9%, mais on compte un magnétoscope pour un groupe de 91 à 240 élèves. Pour l’informatique, le parc de micro-ordinateurs n’a cessé de croître : un appareil pour quinze élèves, mais en ce qui concerne les lecteurs de CD-Rom, ils sont encore peu nombreux (30% des établissements en possèdent au moins un). in Réseaux n°71 CNET, 1995, pp. 121-124.
Présents et futurs de l’audiovisuel en éducation. Les fondements d’une nouvelle politique. La Documentation Française, février 1981.
Jean Cluzel, Regards sur l’audiovisuel, T. VI, “Éducation, culture et télévision”, Paris, LGDJ, 1994, p. 46.
Téléscope est un hebdomadaire lancé par le CNDP en janvier 92 en partenariat avec Télérama et l’association APTE (Audiovisuel pour tous dans l’enseignement).
Téléscope n° 141, Cinédoc le petit guide cinéma pour la classe, quatre pages centrales ; “Nourrir dix milliards d’hommes”, p. 18, 9-15 novembre 1996.
Appellation officielle du Parlement en 1993 : Chaîne du savoir, de la formation et de l’emploi. Parmi les missions de la chaîne, on citera sa vocation de “faciliter l’accès à toutes les matières et à tous les domaines”; “de n’être ni une chaîne de documentaires ni une chaîne de cours de formation.” Son côté convivial est à relever : “La présentation générale devra être très chaleureuse avec la présence physique de médiateurs destinés à guider les téléspectateurs ; les modules des programmes seront plus courts que sur les autres chaînes”. Jean Cluzel, Regards sur l’audiovisuel, T. VI, pp. 120-122.
On peut remarquer l’écart entre la réalité de l’enseignement et les affirmations du ministre de l’Éducation François Bayrou, disant que “l’école est le seul lieu d’enseignement de la télévision”, in “L’École ne doit pas avoir peur de la télévision”, Les écrits de l’image n°1, Automne 1993, pp. 36 à 42. Par ailleurs, un article du Monde de l’Éducation reflète assez bien les difficultés d’une telle pratique: “L’expérience de la Cinquième : les enseignants sont intéressés mais pas encore prêts à changer leurs habitudes”, mars 1995.
Le mot “direct” renvoie ici aux hypothèses de travail du Programme National d’Innovations Pédagogiques 1990-1991 de la Direction des lycées et des Collèges, Actes du Colloque Stratégies pédagogiques et outils pour l’enseignement des langues vivantes, CRDP Dijon, 1990, p.115.
Nous renvoyons à l’article de Michel Morel qui plaide pour “l’utilisation du direct sur le mode du prévisible” et reconnaît que : “la pratique du direct n’exige aucune préparation particulière si ce n’est une bonne connaissance de l’actualité, une culture télévisuelle, une formation à l’audiovisuel et une parfaite maîtrise de la vidéo en classe”! Cela montre l’utopie du développement d’une telle pratique. “Plaidoyer pour le direct”, Recherches et applications, FDM juillet 1994, pp.150-155.
On pense à l’expérience lyonnaise menée sur le câble : Cap Canal fonctionne depuis 1991, selon un accord entre la ville de Lyon et le ministère de L’Éducation Nationale, dans les établissements scolaires du premier degré, elle offre chaque jour de 9h à 16h30 des émissions thématiques destinées à couvrir toutes les matières d’enseignement.