L’examen des différentes conceptions de l’image depuis quarante ans dans l’enseignement des langues fait apparaître une grande diversité des matériaux pédagogiques utilisés : image fixe pédagogique, dessin et photo, film fixe, image animée vidéo et télévisuelle. On a assisté à une (r)évolution des supports qui a suivi la (r)évolution technique. On constate à travers les époques une persistance de l’image (en général sous forme de dessin) qui accompagne les dialogues des manuels. Ceci s’explique sans doute par des raisons à la fois économiques, et didactiques. L’image pédagogique change dans sa nature, elle est influencée par l’évolution de l’image dans la société ; on pense par exemple à la bande dessinée, très présente depuis le milieu des années 70 ; la photo, de son côté, occupe une place plus large dans les méthodes à titre de document. A côté des images des manuels, les images vidéo des méthodes sont à partir des années 80 une mise en image du dialogue de base, ou bien apparaissent comme des documents authentiques complémentaires. La présence de l’image est donc manifeste, mais la réflexion didactique sur le potentiel communicatif de l’image ne semble pas avoir totalement suivi l’évolution des supports.
Nous retiendrons que parmi les différentes fonctions et finalités qui sont attribuées à l’image, dans la perspective de l’enseignement des langues et du FLE (chapitre 1.2.), elle est auxiliaire de l’enseignement/apprentissage. L’image est pédagogique du point de vue de sa nature, car créée en fonction des besoins linguistiques des apprenants. L’image, c’est-à-dire les dessins des méthodes directes, est utilisée pour montrer, pour servir d’explication du lexique, sans avoir recours à la traduction. L’image est surtout un catalyseur pour l’enseignement de la langue et de la civilisation. Avec la méthodologie audiovisuelle, on remarque l’utilisation conjointe de l’image (sous forme de dessin) et du son ; ce sont des images fixes, projetées dans la salle de cours, pour un apprentissage en groupe. Leur succession constitue un premier pas vers le film. On n’utilise pas ou peu le manuel, et cette situation paraît justement favorable à la communication et aux échanges : il y a pour l’apprenant décentration du regard et de la parole du professeur vers l’image projetée.
Du point de vue de sa nature, l’image des méthodes audiovisuelles (S.G.A.V.) est emprisonnée dans la représentation d’un monde “hors du temps”. Certains comme Henri Besse voient même une régression dans la conception des images, car elles ne s’inscrivent ni dans l’environnement immédiat de la classe, ni dans un univers proche de la réalité, mais “dans un environnement fictif, simulé audiovisuellement”.244 On peut parler ici de pauvreté structurelle de l’image. En effet, si l’image pédagogique SGAV est au centre de la méthodologie, elle est entièrement soumise à l’énoncé et sert à “faire passer” le contenu des dialogues. Cette réduction des rôles de l’image et ce mésusage pédagogique explique sans doute une des raisons de la “désaffection” vis à vis de l’audiovisuel, dont parle Louis Porcher en 1981.
Dans le milieu des années 70, une évolution des matériaux est amorcée, même si le dialogue audiovisuel reste au centre de la méthode, le livre reprend peu à peu sa place parmi les matériaux. Une fonction plus large est accordée à l’image, elle sert à appréhender la langue et le cadre des échanges : elle devient situationnelle . Dans sa nature, elle tend alors à se rapprocher de la représentation du monde réel, ou “hors la classe”. L’influence du phénomène bande dessinée atteint aussi le milieu de la pédagogie, et ceci n’est pas d’ailleurs sans poser des problèmes aux lecteurs étrangers adultes. C’est le printemps (1976) est l’exemple de ce changement caractérisé par l’apparition d’un nouveau type de dessins, proches des bandes dessinées, pour la mise en texte des dialogues. Une dynamique est donnée au dessin qui ne se veut plus scolaire, mais parfois humoristique et en tout cas proche de l’univers français. D’image-explication, elle devient expression et la suscite également. De nombreux documents d’accompagnement, sous forme de dessins puis de photos, d’affiches et tableaux viennent s’intégrer. C’est le début de la dissociation de l’image et du son, l’image va être utilisée aussi pour elle-même et ouvrir la pédagogie de l’expression.
L’approche communicative coïncide dans les années 80 (chapitre 1.2.3.) avec la mise à disposition de nouvelles techniques - parallèlement au support livre -, notamment le support vidéo : il facilite l’introduction de l’image animée dans l’enseignement. Dans la perspective d’une meilleure rentabilisation de ces techniques, on assiste d’une part, aussi bien dans le grand public qu’au niveau des institutions, à un équipement en magnétoscopes et, d’autre part, à une production de matériaux vidéo, méthodes ou documents. On peut encore parler pour cette période d’intégration didactique autour du support audiovisuel, car ces méthodes vidéo font, selon la définition de Christian Puren, une utilisation conjointe de l’image et du son. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y ait pas d’évolution méthodologique entre une méthode de type SGAV et une méthode communicative vidéo. Le courant communicatif repose sur des bases sociolinguistiques qui élargissent la connaissance linguistique à l’utilisation de la langue en situation. L’objectif est l’acquisition d’une compétence de communication et en cela l’image animée semble être propice à la mise en place du cadre d’énonciation. Cependant, les méthodes vidéo, sous un abord réaliste et attrayant (cadre de la communication, personnages moins neutres, utilisation d’une écriture visuelle qui se veut proche de la fiction), cachent de nombreux inconvénients. En effet, l’image pédagogique vidéo, telle celle présentée dans Bienvenue en France (1991) n’offre pas l’image du monde “hors la classe”, mais celle d’une construction didactique. Les dialogues pédagogiques ne tiennent pas compte de la richesse polysémique de l’image, la réalité étrangère est une réalité essentiellement didactique. On retrouve là l’objectif linguistique des matériaux pédagogiques de la première période audiovisuelle, où il y avait centration sur le contenu à enseigner. Malgré l’objectif communicatif affiché d’un enseignement de la langue et de la culture, on remarque que la méthodologie vidéo est centrée sur l’appropriation d’un contenu linguistique et non pas d’une compétence langagière. Le contexte fictionnel créé par l’image, sa référence socioculturelle ne sont pas exploités en vue d’un apprentissage. Par ailleurs, l’activité proprement didactique n’est pas contenue dans le film, mais dans l’après-film. L’apprenant est en fait peu sollicité par l’exploitation didactique car sa participation est réduite à la répétition des structures linguistiques. On constate donc que l’image reste prétexte plus que texte, véhicule visuel et sonore de savoirs, mais non de savoir-faire ; la mise en oeuvre de la technique audiovisuelle ne produit pas à elle seule un film didactique “communicatif”. L’image vidéo reste enchaînée à la tradition pédagogique qui repose sur le principe méthodologique du contenu à transmettre. C’est-à-dire “faire passer” avant tout un savoir d’ordre grammatical grâce aux images qui enrichissent le comportement langagier. La conception de la méthode reste donc traditionnelle, et n’apporte pas le renouveau méthodologique attendu.
Face à cette conception pédagogique de l’image animée, un autre type d’image “authentique”, c’est-à-dire non expressément conçue pour l’enseignement, a fait irruption dans la classe de langue - chapitres 1.2.3.3. et 1.2.3.4. -, celle que l’on trouve dans les médias. Parce qu’ils offrent à la fois un son, une image et des contenus authentiques, les médias se font peu à peu une place dans l’enseignement des langues. On attribue généralement au message médiatique (cinéma et TV dans un premier temps) l’avantage d’allier le linguistique - le son - et le culturel - l’image -. Seul ce type d’image authentique, ou brute, met en accord nos attentes (d’utilisateur et d’apprenant) avec nos pratiques visuelles (de téléspectateur et d’enseignant). On peut affirmer aussi que son degré d’indépendance au contexte didactique est également le plus fort. Cependant, son statut autonome peut aussi devenir un handicap pour son utilisation dans un contexte d’apprentissage. Certains didacticiens ont déjà reproché l’utilisation non authentique de ces documents non conçus pour la classe, la question est en fait de savoir si l’on doit les considérer comme support d’enseignement ou comme but d’enseignement. Sur ce point l’influence d’autres domaines sur la didactique des langues est déterminante, car elle a fait évoluer la problématique du document authentique, et de l’image authentique.
Si la première perspective était consacrée à l’image en FLE, la deuxième perspective concerne l’image dans les autres disciplines (1.3.), issues des courants de la sémiologie, de la linguistique et de l’analyse du discours, c’est aussi celle souvent adoptée par l’enseignement du français langue maternelle. Les nombreuses expériences d’enseignement avec l’image TV menées en français langue seconde et langue maternelle ont enrichi la réflexion - même si les problématiques restent différentes -. On a pu constater, fin des années 70, que l’échec de la télévision didactique était dû à un problème d’ordre économique et humain, lié en particulier à un manque de formation à l’image. D’autre part, les projets d’enseignement de la culture, puis de la communication audiovisuelle développés par l’ICAV reposaient sur une éducation à l’image et une intégration de l’audiovisuel dans les disciplines. La démarche part de la construction authentique du document, son but est de tendre vers un usage authentique, c’est-à-dire respecter les spécificités, tout en sachant que le contexte d’utilisation reste pédagogique. Si l’étude des différents langages, image, son et texte semblait positive, c’est l’introduction de cet enseignement dans les disciplines qui a posé problème. En effet, le projet de mieux connaître l’image, la communication et les médias s’est opposé à la réflexion didactique suivante : comment utiliser ces “nouvelles techniques” considérées comme auxiliaire d’enseignement dans une discipline ? Alors que de nombreuses réponses pour étudier l’image comme langage avaient été apportées, le manque de formation des enseignants et le caractère expérimental du projet ont contribué à la fin de l’ICAV. A l’heure actuelle, la réflexion se poursuit avec le multimédia en terme de “multicanalité” et l’étude de l’image, du son et du texte est de plus en plus nécessaire.
L’approche développée ces dix dernières années par le FLM pour l’“éducation aux médias” est basée sur une utilisation des messages des médias ; l’image est appréhendée comme langage, elle devient objet d’enseignement, et doit être analysée avec des outils sémiotiques. Cependant, il faudra distinguer entre un apprentissage par ou avec la TV, qui concerne les apprentissages qui relèvent de la télévision en général, et un apprentissage de la TV, qui renvoie à ce que l’on appelle l’éducation aux médias. Des chercheurs en français langue maternelle envisagent d’apprendre avec la TV en tant que “support de connaissance”, comme en témoigne le colloque sur “Les enfants, la télévision et l’école” 245 . La question est surtout de savoir comment apprendre. La fréquentation de la télévision est envisagée dès l’enseignement primaire comme un apport de connaissances qui permet des “transferts” d’apprentissage.
Aujourd’hui le rôle de l’image est surtout reconnu pour favoriser l’apprentissage, notamment par l’apport du plaisir et du ludique, ce sont des arguments développés à propos des supports vidéo et CD-Rom. Ceci n’est évidemment pas suffisant pour apprendre une langue. Cependant, encore peu de didacticiens se sont penchés sur les questions “spécifiques” que posent les médias et l’image animée vidéo, télévisuelle ou multimédia dans un contexte d’apprentissage. Tout se passe comme si la technologie avait résolu les problèmes de communication - la situation de réception par exemple -, et si sa présence ne nécessitait aucune mise en oeuvre didactique. L’utilisation de documents télévisuels en classe de langue pose une double question : comment repérer les difficultés du message audiovisuel et ne pas les réduire à un seul problème de compréhension linguistique, comme si l’image était transparente ; et d’autre part, comment tendre vers un usage communicatif qui permette non seulement de favoriser l’apprentissage de la langue, mais d’accroître les compétences de celui qui apprend ? Ceci nous amène donc à voir dans la partie suivante ce que les spécificités du message télévisuel et de l’image animée en général apportent à l’enseignement/ apprentissage d’une langue et culture.
Henri Besse dans l’analyse des méthodes (Ch. 1) pour enseigner/apprendre les langues montre bien le changement depuis la méthode directe où l’enseignement s’appuie sur la réalité (les choses et les actions) de la classe dans un premier temps, avant de passer à des réalités qui ne sont plus présentes dans la classe. Méthodes et pratiques des manuels de langue, Paris, Didier, 1995.
Actes du colloque Télécole, Les Cahiers du CRESLEF, n°41-42, Belfort, 30-31 mai 1996. On peut se reporter aussi aux travaux du Groupe de Recherche sur la Relation Enfants Médias (GRREM) L’écran et les apprentissages, INJEP n°24, 1996, et de Maguy Chailley sur la cognition.