Nous discernons depuis les années 90 une évolution du milieu enseignant qui, après avoir affiché une attitude de refus face à la télévision et à la culture populaire qu’elle apporte, semble être aujourd’hui plus enclin à l’intégrer dans les disciplines. Le cinéma n’est certainement pas étranger à cette évolution par la pénétration de la culture cinéphile dans le monde enseignant, et par l’académisation du champ266 - le cinéma est une matière que l’on enseigne dans le secondaire et le supérieur -. Par ailleurs, le développement des sciences de l’information et de la communication qui recouvrent, au delà de l’étude des systèmes d’information, les médias de communication, a ouvert aux didacticiens de nouveaux objets. Les discours des médias sont analysés avec des outils qui ne relèvent pas seulement de la linguistique et vont ouvrir la réflexion aux autres disciplines. A ce sujet, il faut signaler la réflexion menée en Allemagne dans le champ de la didactique de l’allemand langue étrangère, puis plus largement en didactique des langues à propos des médias, au sens large du terme, c’est-à-dire les divers supports d’enseignement. Pour légitimer le concept de média, il faut s’éloigner d’une définition trop souvent limitée à la technique et considérer davantage la relation entre le média et son utilisateur, c’est-à-dire les processus que son utilisation met en oeuvre :
‘“Sous le terme de médias sont désignés des moyens dynamiques qui provoquent par leur utilisation l’éveil, la facilitation, la stimulation ou le maintien de processus différents dans les individus.”267 ’La distinction apportée ici par Inge Schwerdtfeger prend en compte deux dimensions : d’un côté celle du média qui est vu comme une unité (“triade”) composée de trois éléments : un support (livre, cassette son, vidéo..), une présentation formelle (dialogue, image fixe, animée..) et un contenu (linguistique, littéraire, grammatical...). De l’autre côté, on trouve l’apprenant et l’enseignant et leurs attentes psychologiques : en ce qui concerne la perception et la motivation ; et linguistiques, l’apprentissage/ acquisition de la compétence de communication. Les développements de la “Mediendidaktik” sont marqués par la prise en compte de l’apprenant et l’activité de celui-ci, les objectifs dépassent le seul apprentissage de la langue et tendent à un élargissement des compétences : “intensifier l’enseignement/apprentissage, l’enrichir du point de vue de la forme et du contenu, développer la perception et la compréhension, relier étroitement l’apprentissage langagier et spécifique et les mettre en perspective du point de vue de la forme et du contenu, savoir utiliser les médias consciemment, favoriser un usage individuel de la langue étrangère par l’action comme la création, combler le vide entre les buts communicatifs et les capacités acquises et renforcer de manière générale la motivation.”268
Cette ouverture à l’utilisation des médias pose toujours le problème de leur intégration didactique si elle n’est pas suivie par une formation spécifique des enseignants en général. Il demeure encore aujourd’hui le risque - face au multimédia notamment - que l’enseignant refuse leur utilisation de peur d’échouer face aux exigences techniques. La condition première est donc que l’enseignant possède lui-même une compétence de communication dans la langue cible et deuxièmement que la pratique des médias, la connaissance de leurs possibilités et de leurs limites, lui soit familière. Ceci implique d’une part la légitimisation des savoirs/messages véhiculés par la télévision dans un cadre d’apprentissage, comme nous l’avons vu en début de chapitre. La question posée par René Gardies en 1987 en terme de : “Y-aurait-il des bons et des mauvais objets culturels ?” est toujours actuelle. Il rappelle aux enseignants dans un article de Hors Cadre l’enjeu que représente leur changement d’attitude, sans lequel aucune évolution n’est possible :
‘“Une mutation d’attitude s’impose. Elle consiste à opérer le déplacement de la notion de légitimité culturelle appliquée à l’image. L’initiation aux médias ne doit-elle pas rejoindre une finalité éducative générale aujourd’hui nécessaire ; rendre capable de concilier la polyvalence et la spécialisation, développer l’adaptabilité à la mouvance et à l’évolution qui passe par une capacité à structurer, combiner, réutiliser des savoirs et des cultures en mouvement ?” 269 ’Et cela implique d’autre part, une formation initiale et continue des enseignants qui suive l’évolution de la TV comme des nouveaux médias. On a en effet pu constater dans la première partie de ce travail - voir les conclusions du chapitre sur la télévision éducative en 1.3.4. -, la tendance des utilisateurs à se reporter sur des émissions non faites pour apprendre et peu sur les documents pédagogiques diffusés par le C.N.D.P. La présence de la chaîne éducative La Cinquième modifie aussi la situation, et on note une volonté des formateurs et des enseignants à travailler avec cette nouvelle télévision, même si le thème est encore peu présent dans les formations270. Pour mieux connaître les pratiques actuelles, quelques enquêtes nationales, réalisées auprès des enseignants, permettent de savoir quel type de rapports ils entretiennent avec le média télévision, notamment depuis l’existence de La Cinquième, et quels usages ils en font271. Dans un article de Médiaspouvoirs, Gisèle Tessier note bien une évolution des mentalités dans le monde enseignant qui “semble aujourd’hui permettre d’apprivoiser la télévision et surtout y voir une banque d’images qui peut être intéressante. L’hostilité absolue, idéologique, ne semble plus acquise par la majorité.”272 Il nous paraît ici intéressant d’approfondir le terme d’utilisation de la télévision, et de distinguer parmi les attitudes des enseignants ceux qui conseillent à leurs élèves de regarder une émission, en complément à un cours ou pour ouvrir une discussion, et ceux qui l’utilisent réellement en classe. Il est difficile d’avoir une vue d’ensemble de la situation car les enquêtes adressées aux enseignants, en général de l’enseignement secondaire, ne reflètent qu’une partie de la réalité273 : ceci est dû au peu de réponses obtenues et à la diversité des disciplines. Ainsi, à la question “‘parle-t-on de la télévision en classse ?”,’ il faut préciser si l’on parle du support TV, des émissions, des programmes à choisir, de ce que les élèves ont vu, ou de ce que l’enseignant a vu. Pour l’utilisation de la télévision en classe, les chiffres semblent concorder entre différentes sources pour les années 92 à 96274 : à la question, “utilisez-vous la télévision en classe ?”, on a 59,9% de oui et 40,9% de non au lycée ; dans les collèges : 56,25% de oui et 31,25% de non ; dans les écoles primaires : 76% de oui et 28% de non. Les résultats sont à première vue positifs, cependant les chiffres ne sont pas des révélateurs objectifs car ils sont obtenus à partir d’une faible participation des enseignants. Seuls les plus motivés d’entre eux ont répondu. D’autre part, un point sur lequel les enquêtes ne disent rien est la dimension communicative des pratiques. Il est pourtant essentiel de savoir si la présence de la télévision dans la classe modifie la situation d’enseignement habituelle ; quelle fonction l’enseignant attribue-t-il à la télévision ; le fonctionnement du dispositif communicationnel est-il le même qu’avec un autre média, le livre par exemple ? D’après l’avis de formateurs275, il semble que la télévision reste en premier envisagée comme ressource documentaire, ce qui renvoie aux fonctions d’illustration, et de déclencheur. Une minorité d’enseignants s’intéressent à la sémiologie des messages télévisés, ou à la connaissance de la culture télévisée des élèves. Enfin, la question du transfert des apprentissages relève encore du domaine de la recherche et non de la formation. Il est certain que chaque discipline se fixe des objectifs d’enseignement/apprentissage particuliers, cependant les documents télévisuels ont en commun des spécificités - incontournables quelle que soit la thématique traitée - propres aux apprentissages médiatés. En effet, la construction de toute émission télévisuelle, de tout message issu des médias repose sur des contraintes économiques, techniques, esthétiques, culturelles, et des conventions d’écriture, de lecture et d’interprétation de sorte qu’il ne nous semble plus possible de couper le message de son contexte d’origine.
En ce qui concerne la nature et les objectifs de l’enseignement des langues, les programmes en vigueur donnent des directives différentes selon les langues. A titre d’exemple, au niveau du collège, l’allemand met en avant l’objectif linguistique qui “réside dans l’acquisition d’automatismes portant sur un nombre appréciable de faits de langue.”276 Les instructions traitent essentiellement de la grammaire, une seule allusion concerne le recours à des outils spécifiques : “des exercices informatisés” apportent un regain de motivation dû à l’intérêt pour cette technologie encore nouvelle. La compétence orale reste un “entretien d’élucidation” dont le but est d’explorer le contenu du document de base. En comparaison, l’enseignement de l’anglais accorde une place aux images fixes et animées du monde contemporain comme “support essentiel de l’apprentissage” ; leur variété est soulignée, de même leur complexité : “elles ouvrent un vaste champ à l’imagination et à l’intuition, leur richesse en contenus culturels.277 L’utilisation des documents authentiques empruntés aux médias anglo-saxons (presse, radio, télévisions) et la variété des supports est recommandée dès la classe de sixième.
Au lycée, la mise en oeuvre de documents vidéo se résume généralement à une exploitation de type linguistique, de contenu du “texte oral”, au détriment d’une ouverture aux contenus pluriels du document. Le traitement pédagogique du document reste traditionnel dans la mesure où les activités autour du document vidéo sont rarement spécifiques à la langue du média. Dans les textes, l’apprentissage ne doit pas se résumer aux savoirs langagiers, mais aussi s’étendre à des savoir-faire et préparer à la communication réelle. Mais la réalité de l’enseignement se révèle tout autre. Parmi les constats établis pour la didactique de l’allemand278, les enseignants regrettent que les élèves ne soient pas mieux préparés à la pratique de la langue et plus particulièrement à la compréhension de l’oral. On reconnaît l’absence d’une méthodologie de l’entraînement à la compréhension ainsi que le manque de diversité des supports. En effet, les supports authentiques sont souvent réservés au niveau de la classe terminale des lycées, ils sont utilisés pour susciter la parole des élèves. Par exemple, le recours à la vidéo ou au film sert de support à un entraînement à l’expression orale. La démarche proposée à l’enseignant est celle de la “problématisation”. Il s’agit par exemple de didactiser les documents pour favoriser la parole, et de faire ressortir certains éléments d’interprétation qui entrent en contradiction : “‘cette démarche implique que le document oppose une résistance que l’on cherche intellectuellement à vaincre’.”279
L’éclectisme des démarches - on peut citer ici la pratique du direct où l’apprenant reçoit le message télévisuel “en direct” présentée dans le chapitre 1.3.4. - trouve une explication dans le fait que la formation n’a pas eu lieu à la base, mais uniquement de façon ponctuelle et volontaire280. D’autre part, la place réservée aux “moyens technologiques” dans la formation des étudiants - futurs enseignants de langue- reste insignifiante281. On peut prendre également comme indicateur national ce qui se passe au niveau des CAPES de langues282 et remarquer la quasi absence des nouvelles technologies. On remarque aujourd’hui un désir de rééquilibrage de certaines disciplines comme l’allemand sur les pratiques communicatives qui devraient permettre un recentrage sur l’apprenant. En effet, cette discipline se perçoit davantage comme enseignement que comme apprentissage :
‘“cet apprentissage est plus centré sur le code que sur l’élève, et (qu’)il est par conséquent mieux compris dans sa dimension linguistique que dans sa dimension fonctionnelle et communicative.” 283 ’Comparativement, l’enseignement/apprentissage du FLE se montre comme une discipline précurseur, grâce à son statut qui la place en dehors du contexte scolaire et la rapproche des disciplines universitaires. Nous voyons une évolution des mentalités des enseignants face à l’innovation technologique due en particulier au développement des pratiques sociales nouvelles (vidéo et informatique). Aujourd’hui, la quasi-totalité des institutions d’enseignement possède le matériel nécessaire à l’enseignement avec la vidéo : les téléviseurs, les magnétoscopes et les caméscopes sont de plus en plus nombreux. En ce qui concerne les usages que font les enseignants de FLE des documents vidéo, on peut les résumer à deux types. Premièrement, les documents vidéo sont élaborés à partir d’enregistrement d’émissions de la télévision ; cela inclut souvent un montage ou un découpage en vue d’un usage didactique en classe. C’est l’apport du document authentique qui sert de support an cours de civilisation, parfois de compréhension de l’oral. Les usages tendent vers l’illustration thématique et le déclencheur d’expression dans le premier cas ; dans le second, le document sert à développer la compétence de compréhension, généralement réduite à celle du message linguistique. Deuxièmement, l’enseignant utilise des documents didactisés, des produits d’éditeur, prêts à l’emploi, selon le modèle d’une télévision didactique. On remarque que ces documents sont introduits de façon marginale, qu’ils viennent compléter ou illustrer une thématique, rarement est envisagée une activité avec la télévision. La question qui se pose au didacticien et à l’enseignant est de savoir si l’on cherche à amener l’apprenant vers l’acquisition d’une compétence de lecture /compréhension des textes vidéo authentiques et vers des apprentissages médiatés. C’est rarement le cas, et on s’aperçoit que derrière l’expression “développer une compétence de communication”, de nombreuses déviations de cette définition ont eu lieu à propos des documents issus des médias. La communication est généralement réduite à un seul niveau, celui du texte, au lieu de distinguer plusieurs niveaux de communication (de l’objet, de la métacommunication et de la communication didactique). Ce sont les dimensions que nous voulons développer dans les prochains chapitres.
Cependant, l’enseignant de FLE a l’avantage, par rapport aux autre langues étrangères enseignées en milieu scolaire, d’avoir une plus grande indépendance que lui donne le contexte d’enseignement universitaire. Il a toute latitude pour sortir de la classe de langue et notamment créer ses propres documents. Nous prendrons pour exemple l’enseignement du français tel qu’il est pratiqué depuis plusieurs années déjà à l’université de la Sarre à l’aide de la télévision et de la vidéo. Wolfgang Bufe a montré les capacités de l’enseignement avec la télévision à développer les compétences de compréhension, - nous renvoyons à la première partie de ce travail, au chapitre sur le document authentique -. Une nouvelle dimension du cours est apportée par l’utilisation variée des médias, et principalement de la caméra vidéo284. Cet appareil permet d’enregistrer des séquences vidéo sur le lieu d’apprentissage, la source des films est ici d’origine non-professionnelle. Ces documents sont produits non pas tant dans une perspective d’autoscopie ou d’observation du cours comme cela s’est pratiqué il y a une dizaine d’années, mais ils sont le moteur même de l’apprentissage : ils créent et apportent une documentation née de la rencontre des apprenants avec des natifs de la langue cible. Nous rejoignons le point de vue de Wolfgang Bufe pour qui l’enseignement avec les médias doit inclure autant l’aspect de la réception que de la production, l’un permettant de mieux comprendre l’autre : en effet, on peut voir dans l’usage de la télévision un “‘processus de décryptage du signe audiovisuel’”, alors que la réalisation d’un film ‘est “la verbalisation audiovisuelle d’une idée ou d’un événement’”.285
Nous sommes d’accord avec lui pour dire que, pour favoriser la formation de l’apprenant à l’expression orale, la production vidéo semble mieux adaptée. De par l’utilisation conjointe de deux médias, on note la volonté de l’enseignant d’ouvrir l’apprenant à l’environnement étranger, et de faciliter son intégration. Nous voyons ici la possibilité de mettre l’apprenant en situation d’interaction et de réaliser un apprentissage à la communication orale authentique, c’est un des aspects du cours de langue qui sera développé dans la troisième partie ( chapitre 3.2.). De plus, une des finalités de l’apprentissage semble atteinte : mener l’apprenant vers l’autonomie, lui permettre de réinvestir les savoirs et savoir-faire appris dans un usage personnel des médias. Nous reviendrons sur les développements didactiques de cette approche trop peu connue, qualifiée de formation interculturelle où les dimensions linguistique et culturelle sont intimement liées286.
En France, à l’université, la création des Centres de Langues, où le français langue étrangère s’intègre aux autres langues, ouvre la voie à d’autres pratiques plus individuelles. Ces formations pour non-spécialistes proposent aux étudiants d’autres démarches pour apprendre et perfectionner les LE avec un fort apport en matériel audiovisuel et multimédia. Les Centres de Langue se trouvent confrontés à un public nombreux, hétérogène, et souvent démotivé - principalement en anglais où la majorité a pratiqué la langue au lycée pendant sept ans -. Pour faire face à ces contraintes, les nouveaux Centres s’orientent vers un type d’apprentissage semi-autonome ou en autonomie guidée où la télévision, les documents vidéo et les CD-Rom sont les principaux supports. Certaines universités font office de précurseur, on peut citer l’Université de Nancy 2 et du SCELV287 qui a réalisé une méthode vidéo en anglais, comprenant des extraits de journaux télévisés d’origine anglaise, irlandaise et américaine. Il s’agit de donner accès à l’étudiant à des documents variés pour “‘tirer le meilleur parti de toutes les émissions en anglais auxquelles il peut avoir accès’”288. Les médias sont le moyen de renouveler l’intérêt des étudiants pour l’anglais, de permettre à l’étudiant de faire face à la langue en situation de communication. Il y a aussi renouveau dans la méthode de travail en affirmant la volonté de sortir du cadre d’enseignement dit “présentiel” : donner aux étudiants une méthode de travail qui leur permette d’améliorer leur compétence par leur propres moyens. La priorité est donnée pendant un an à la compréhension orale, considérée comme une approche nouvelle, par rapport à l’écrit ou à l’expression orale. Cette méthode, utilisée à Nancy en auto-formation, peut également être inclue dans un cours.289
La démarche de formation proposée ici se veut différente de celle d’un enseignement présentiel, car les attentes des étudiants influencent fortement les contenus et le choix des documents utilisés. La place première est donnée aux supports multimédia qui sont des éléments porteurs de la motivation, autour desquels se construit l’apprentissage. D’un point de vue didactique, il est intéressant de suivre l’évolution des rapports et des représentations des apprenants face aux médias techniques. Travailler avec des supports multimédia semble être le gage d’un apprentissage de qualité parce qu’il utilise les technologies actuelles. Le multimédia offre certes de nouvelles possibilités pour les apprenants adultes qui désirent se former en quasi autonomie. La situation d’apprentissage repose alors sur la situation de communication apprenant-machine, l’enseignant n’étant que rarement présent, ce qui pose de nouvelles questions quant aux interactions et à la place de la médiation humaine. Cet aspect sera développé dans le chapitre sur l’apprentissage en autonomie dans les Centres de Ressources (3.3.).
En conclusion, des différences évidentes apparaissent entre l’apprentissage scolaire et universitaire des langues, entre un public captif, soumis aux contraintes du cadre d’apprentissage, et celui de jeunes adultes qui font le choix d’apprendre une langue étrangère, parfois dans la perspective d’une utilisation professionnelle. Bien que l’objectif communicatif soit mis en avant, l’apprentissage scolaire ne semble qu’en partie guidé par les besoins des apprenants. S’il est difficile en situation scolaire de se rapprocher de la situation d’apprentissage en milieu naturel - comparaison quelque peu idéaliste -, cela paraît davantage à la portée du contexte universitaire. Face à un public de jeunes adultes, on constate un recentrage sur les outils d’enseignement et sur les stratégies pédagogiques : exposer les apprenants à la langue authentique des médias, se mesurer à sa dimension communicative sont des moyens pour relancer la motivation. Nous pensons que la question concerne davantage l’enseignant et ses pratiques que le cadre institutionnel : si les matériaux d’origine télévisuelle posent un problème d’usage didactique, c’est parce qu’ils évoluent dans un milieu extra-scolaire, et qu’on ne peut les intégrer comme les matériaux traditionnels. On constate par ailleurs que les enseignants en France attendent beaucoup des émissions télévisuelles de la Cinquième, ou de TV5 à l’étranger, mais ils pensent qu’il faut les adapter ou qu’elles soient adaptées à leur situation d’enseignement :
‘“Aujourd’hui, les pratiquants de la télévision même occasionnels désirent des produits performants, ciblés, avec des émissions courtes, adaptées à l’âge des élèves et aux programmes. En quelque sorte un matériau d’appoint au livre, une illustration ad-hoc très bien faite.”290 ’C’est la tendance qui a été décrite dans le chapitre 1.3.4. sur la télévision éducative, à laquelle les trois quarts des enseignants sont favorables. Cependant, si la plupart des enseignants reconnaissent aujourd’hui au média la capacité d’informer ou d’illustrer, peu lui accordent la fonction d’aide : “‘elle est difficilement considérée comme un outil ou un moyen d’apprentissage’.”291 Les difficultés rencontrées relèvent aujourd’hui de la formation : “comment” utiliser les émissions télévisées en classe. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la réticence actuelle des enseignants à se servir de cet outil ; ces questions restent le handicap majeur à un développement des pratiques. Une formation des enseignants aux médias, à la télévision, comme à la presse écrite et à l’informatique, est à notre sens indispensable pour le développement d’une méthodologie de ce type de documents. De la même façon qu’un enseignant de langue est capable de se servir d’un texte littéraire dans un cours, il devrait pouvoir tirer profit d’un enseignement avec les nouvelles technologies ; se former et former les apprenants à la compréhension et à l’utilisation de ces outils font partie de ses attributions. Après une période de critique des médias, de volonté de “démystification” de leurs messages, il semble, selon René Gardies, que trois types d’approches dominent dans l’enseignement : celles de l’esthète, du sémiologue et de l’utilitariste. Si la première semble davantage réservée aux spécialistes de cinéma, l’approche de la télévision semble être plus utilitariste, parfois technique (décodage de l’image dans les classes de collège principalement). L’approche sémiologique, issue du cinéma, semble plutôt réservée aux “spécialistes”, tournée vers le contenu des messages et ne propose que peu de pistes didactiques pour l’apprentissage des langues. Pourtant, sans la connaissance du message, l’apprenant ne peut prétendre à une réelle maîtrise de la langue authentique, c’est ce que nous allons montrer dans les chapitres qui suivent.
Jean Mottet constate que l’entrée du film à l’université s’est en fait accompagnée d’un recours massif aux savoirs institués (linguistique, études littéraires, histoire...) et prend peu en compte la complexité du nouvel objet, in Hors Cadre, 5, 1987, p. 187.
’Mit Medien werden konstruktiv-dynamische Mittel bezeichnet, durch deren Einsatz Prozesse verschiedenster Art in Individuen hervorgerufen, erleichtert, befördert oder aufrechterhalten werden’, Inge Schwerdtfeger, Medien im neusprachlichen Unterricht : wozu ? Ein Beitrag zur Legitimation des Medieneinsatzes, Der fremdsprachliche Unterricht 35, 1975, p. 6. On peut aussi se reporter à Sehen und Verstehen, Arbeit mit Filmen im Unterricht Deutsch als Fremdsprache, Berlin, Langenscheidt, 1989.
Wilfried Gienow, Karlheinz Hellwig (Hrsg.), Ein mediendidaktisches Kolloqium als Auftakt eines Gegenwarts- und Zukunftorientierten Forschungsprojektes, Prozessorientierte Mediendidaktik im Fremdsprachenunterricht, P. Lang, Frankfurt am Main, 1993, p. 9. Traduit par nous.
René Gardies, “L’enjeu-image”, in Hors-Cadre, L’Ecole-Cinéma, PUV Saint-Denis, 1987, pp. 113-123.
Deux académies se distinguent pour leur engagement en matière de formation continue, Versailles et Rouen. Nous nous appuyons ici sur le rapport suivant : La Cinquième. Une télévision d’éducation générale. Université d’été, 28 août-1 sept. 1995, CRDP Poitou-Charentes, et plus spécialement sur l’article intitulé “La place de la télévision dans la formation initiale et continue des maîtres”, pp. 119-125.
On pourra se reporter au compte-rendu de l’enquête nationale réalisée par la SOFRES dans Réseaux n°70. Depuis le lancement de La Cinquième, un observatoire a été mis en place dans trois académies, le rapport de juin 1995 fait état dans l’académie de Versailles d’une baisse de l’utilisation des émissions en classe depuis janvier (48%, 38%, 39%) qui correspondrait à l’attente non satisfaite du droit à l’enregistrement, mais aussi à un souhait d’émissions plus didactiques qu’éducatives, s’insérant dans les programmes pédagogiques, et abordant les notions avec rigueur et clarté et accompagnées de toutes les explications possibles comme le ferait un professeur en classe. in Réseaux 74, CNET, 1995, p. 13.
Gisèle Tessier, Naissance d’une chaîne éducative. L’alternative à l’échec de la télévision scolaire en France, Médiaspouvoirs, n°35, 1994, p.124.
Nous renvoyons au travail mené par Catherine Houssa sur les représentations des enseignants (du primaire et du secondaire) face à la télévision et attirons l’attention sur le fait que sur 32 établissements contactés seulement 16 ont répondu, sur 615 questionnaires envoyés 79 ont été retournés. Les questionnaires et les réponses des enseignants montrent que la problématique télévision /enseignement doit partir des enseignants : 58% donnent des réponses à caractère négatif, 44% à caractère positif. Actes du Colloque Télécole, Les Cahiers du Creslef n°41-42, 1996, p. 161-186.
Télérama, du 22 au 26 juin 1992, enquête réalisée auprès de 795 enseignants, 28% des enseignants utilisaient la télévision pour faire leur cours (une fois par trimestre), et seulement 8% d’entre eux une fois par semaine ; 34% n’utilisaient jamais la télévision. Les chiffres restent assez stables pour 1996.
Plusieurs interventions de Maguy Chailley, Maître de Conférences à l’IUFM de Versailles, reflètent ce point de vue. Les stages de formation concernent principalement les étudiants ou enseignants à l’école élémentaire, peu d’expériences existent à notre connaissance pour l’apprentissage des langues.
Programmes et instructions, Collèges, B.O. CNDP, 1985, pp. 95-102.
ibidem, p. 116.
Didactique de l’allemand, Coll. sous la direction de J. Favard, Nathan, 1994.
Didactique de l’allemand, p. 192.
On pourra se reporter à l’article de Louise Dabène qui décrit le fossé qui sépare les recherches en DDL et les contenus universitaires de la formation initiale des futurs enseignants de langue ; la formation initiale des professeurs de langue en France se confond avec les préparations aux concours de recrutement. “La formation au métier d’enseignant : l’enfant pauvre de la didactique des langues. Eléments pour une théorie de la formation”, in Vingt ans dans l’évolution de la didactique des langues (1968-1988), LAL, 1994, pp. 193-205.
Pour les futurs enseignants, l’IUFM de l’académie de Lyon propose une formation à l’audiovisuel facultative de 15 heures.
Seul le CAPES d’espagnol propose une épreuve de cinéma depuis plusieurs années.
C’est nous qui soulignons. Didactique de l’allemand, op. cit., 1994, p. 47.
Les travaux et films de communication orale vidéo réalisés par Wolfgang Bufe avec des étudiants de français à l’université de Sarrebruck depuis une quinzaine d’années, et par nous-mêmes avec des étudiants étrangers du CIEF à Lyon2 en sont une illustration.
Wolfgang Bufe, Videogestützer Fremdsprachenunterrricht : Von der Medienrezeption zur Medien-produktion, Der Fremdsprachliche Unterricht Französisch 10, 2/1993, pp. 4-13.
Wolfgang Bufe, “De l’enseignement des langues à la formation interculturelle. Plaidoyer pour une synthèse”, in Nouveaux Cahiers d’allemand, 1999/1, pp.129-155.
Le Service Commun d’Enseignement des Langues Vivantes de l’Université Nancy 2 a mis au point une méthode vidéo News Busters Le journal télévisé en version originale.
Présentation de News Busters - un outil vidéo de formation à la compréhension de l’oral de l’anglais par Jacqueline Billant, Colloque Compréhension et Expression orales en langue étrangère, 1996, Nancy.
On assiste à l’apparition de nouveaux moyens de communication pour l’apprentissage des langues en autonomie guidée ; ainsi la méthode Vifax (Système multimédia pour l’apprentissage des langues) utilise divers supports : télévisuels et vidéo pour les extraits authentiques des chaînes de télévisions étrangères, papier pour l’entraînement individuel et le fax ou internet pour la transmission des matériaux aux utilisateurs. Michel Perrin, Université Bordeaux II. Voir le chapitre sur le matériau multimédia et plus spécialement 3.3.2.1..
Médiaspouvoirs, op. cit., 1994, p. 125.
Catherine Houssa, Les Cahiers du Creslef , n° 41-42, p. 174.