Si le champ de la didactique des langues s’est intéressé jusqu’à présent davantage au langage verbal et aux signes linguistiques qu’à la sémiologie et aux signes de l’image, cela tend à montrer que l’apprentissage de la langue et culture se réduit trop souvent au message linguistique. Tout se passe comme si l’enseignement du français langue étrangère n’avait pas encore pris en compte les changements apportés par les supports électroniques et informatiques pour proposer un enseignement par l’image. Cependant, à l’heure où formateurs et apprenants fréquentent quotidiennement - en dehors des lieux d’apprentissage - diverses formes d’images offertes par de multiples médias, celles ci semblent s’insérer de façon incontournable en situation d’enseignement/apprentissage. Malgré des préjugés encore vivaces à son encontre (supra 2.1.), on se trouve face au paradoxe suivant : on ne peut plus l’ignorer, mais la connaissant mal, on la juge difficile et on la contourne, ou bien, évidente, on l’interprète avant de la comprendre. L’image n’est qu’une des deux composantes du message audiovisuel - ce terme, plus large que télévisuel, englobe toute image sur support vidéo et informatique292 -, mais elle nous semble, dans une perspective d’enseignement du FLE, être le vecteur premier de la communication audiovisuelle. En effet, un enseignement par l’image se sert du langage comme moyen d’expression, comme véhicule de savoirs et de concepts de différente nature : iconique, plastique, scripto-visuel, linguistique, para-linguistique, culturel que nous allons développer ci-après. Nous voyons dans cette variété un renforcement de la motivation et de l’implication de l’apprenant. Comme l’a affirmé Christian Metz, le seul fait de parler des images amène à en structurer la signification à partir du langage :
‘“Parler de l’image, c’est en réalité parler l’image, pas essentiellement un transcodage, mais une compréhension, une re-socialisation dont ce transcodage est l’occasion. La nomination achève la perception autant qu’elle la traduit.”293 ’Pour analyser tous ces systèmes de signification, on fera référence à la sémiotique qui depuis Charles S. Peirce étudie tous les types de signes, et analyse leur mode de fonctionnement. Cependant, notre étude ayant pour objet le message visuel, nous emploierons le terme de sémiologie, pour analyser les systèmes visuels liés à l’image animée et les codes de la communication médiatée. Ne pouvant intégrer dans cette étude les contraintes de toutes sortes, physiques, sociales, et psychologiques, de toute réception /perception, nous nous appuierons principalement sur le Traité du signe visuel établi par le Groupe µ294. Le “modèle global du décodage visuel” tel que le présente le Groupe µ montre comment l’acte de perception et le processus de reconnaissance sont pris dans une même dynamique295. Il s’agira de décoder dans une approche allant du percept au concept les formes et les objets de toute image - auxquels il faudra inclure le décodage propre à l’image animée - et leur signification. Nous rappelons un des fondements sémiologiques de Roland Barthes :
‘“tout ce qui signifie dans le monde est toujours, plus ou moins, mêlé de langage : on n’a jamais de systèmes signifiants d’objets à l’état pur ; le langage intervient toujours, comme relais, notamment dans les systèmes d’images, comme titres, légendes, articles, c’est pourquoi il n’est pas juste de dire que nous sommes exclusivement dans une civilisation de l’image.”296 ’Les éléments sémiotiques qui composent l’image animée sur l’écran sont nombreux (les signes plastiques, iconiques, scripto-visuels, filmiques et sonores) et leur association est une création chaque fois unique. Comme nous allons le voir, divers paramètres interviennent : ils peuvent être spécifiques au média comme la place accordée au canal son dans le document, ou la durée du document (le spot publicitaire peut être considéré comme la production audiovisuelle la plus courte, 45 secondes en moyenne). Mais ils sont également d’ordre didactique car le professeur intervient en premier pour choisir le document (visionnement intégral ou extrait), privilégier un aspect (linguistique, thématique, iconique...) ; il opère une adéquation entre le document, l’objectif pédagogique et le niveau de formation de l’apprenant, en fonction de sa connaissance de la langue/culture. De nombreuses études sur les rapports images-son297 ont mis à jour les relations entre les canaux visuel et sonore ; nous retiendrons les principales : la redondance, la complémentarité, ou l’opposition298. Cependant, l’étude d’un message issu des médias demande que l’on prenne en compte toutes les spécificités du média au risque de fausser l’interprétation générale de celui-ci. Carmen Compte insiste aussi sur la complexité de tout document filmique qui repose sur la place à attribuer à chaque élément relevant des codes visuels et sonores, et son impact sur les autres.299 Pour le didacticien, l’image animée n’entre pas dans des catégories établies, souvent arbitraires et réductrices, telles les genres télévisuels (information, fiction, divertissement, publicité). Il doit trouver d’autres paramètres qui englobent à la fois la finalité communicative du message, propre au média et à tout document authentique, mais aussi la finalité didactique. C’est pourquoi il nous paraît judicieux d’introduire un enseignement de l’image en FLE pour donner aux futurs enseignants les outils nécessaires à la lecture, à la compréhension des images, et à leur interprétation.
Face à la méthodologie des documents pédagogiques vidéo qui ne propose qu’une exploitation restreinte et uniforme de leurs messages, - nous renvoyons au développement fait en 1.2.3.2. sur une méthode vidéo de la période communicative -, nous sommes d’avis que le message visuel n’est pas suffisamment pris en compte dans l’apprentissage de la langue et culture, le message sonore étant pour sa part réduit au verbal. Pour répondre à l’exigence de la centration sur l’apprenant, il s’est avéré que ce n’est pas en le mettant dans la seule position de téléspectateur que l’apprentissage a lieu. Le message lui est certes adressé, mais comment l’amener à comprendre et à “recevoir” le “bon” message, et surtout à se l’approprier ? Pour parvenir à ce but, plusieurs usages de l’image animée sont possibles. En premier lieu, le cadre de la classe de langue se prête particulièrement à mettre en place une pédagogie de la réception autour de documents télévisuels et vidéo selon une démarche de type sémiotique. Nous dirons que pour enseigner et apprendre avec des documents (télé)visuels, deux opérations cognitives interviennent : l’apprenant doit dans un premier temps connaître ou reconnaître les signes de l’image, leur donner du sens en émettant des hypothèses. La deuxième activité sera de les interpréter au sein d’un message audiovisuel en évitant les contresens visuels, linguistiques et culturels. A partir de cette activité sur le message, activité de découverte et de confrontation, par le stockage d’informations dans la mémoire et par la comparaison avec ses expériences propres - et celles du groupe-classe -, il peut y avoir pour l’apprenant-spectateur appropriation du message. En créant un échange entre l’oeuvre et le lecteur, en tentant d’associer les trois “intentions”300 au sens d’Eco contenues dans tout message, on rend ainsi l’apprenant conscient de son apprentissage, c’est le début de l’autonomie. Une deuxième démarche consiste à mettre au premier plan l’activité de production langagière de l’apprenant en s’appuyant sur la technique vidéo. L’image animée vidéo par le biais du reportage ou de l’interview filmée permet de mettre l’accent sur la dimension interactionnelle de la langue, de réinvestir certains savoirs et savoir-faire acquis dans la salle de classe et d’acquérir une véritable compétence de communication. La production de documents vidéo introduit des situations-problèmes qui vont créer des interactions, ce sont autant d’exemples langagiers et culturels qui vont être utilisés d’un point de vue didactique : pour observer la dimension verbale et non-verbale des échanges langagiers avec des natifs, pour mettre en rapport le comportement des locuteurs et le contexte etc... Enfin, une troisième démarche avec l’image animée, particulière au support multimédia sera envisagée : utilisation multimodale de l’image et du son sous différentes formes, images vidéo ou fixes, inscriptions textuelles, voix. L’usage est ici celui de l’apprentissage autonome lorsque l’apprenant a un ordinateur à sa disposition ; cela reste réservé à l’utilisation dans un Centre de Ressources. Ces aspects seront développés dans la troisième partie.
La numérisation des images et des sons entraîne une convergence des technologies (télévision et informatique) et donne naissance à de nouveaux supports et de nouveaux médias (services en ligne et hors lignes) ; on peut par exemple trouver les mêmes images à la télévision ou sur Internet, sur cassette vidéo ou sur CD-Rom.
Christian Metz, Essais sémiotiques, Klincksieck, 1977.
Groupe µ, Traité du Signe Visuel, Pour une Rhétorique de l’image, Seuil, Paris, 1992.
La nouveauté apportée par ces travaux réside dans l’autonomie du signe plastique, qui n’est plus considéré comme l’expression du signe iconique, mais comme un signe à part entière. Le message visuel peut ainsi se décomposer en quatre plans, selon la terminologie de Hjemslev, à savoir : le plan de l’expression et le plan du contenu plastiques ; le plan de l’expression et le plan du contenu iconiques. Groupe µ, ibid., pp. 87-120.
Roland Barthes, L’aventure sémiologique, Le Seuil, 1985, pp. 249-250.
Roland Barthes a été le premier à mettre en évidence la fonction d’ancrage de l’image, voir Communications n°4 ; Christian Metz dans Langage et Cinéma, Françis Vanoye Récit écrit, récit filmique, et plus généralement l’étude de Claude Abastado Messages des médias.
On trouvera dans la thèse de Thierry Lancien une analyse des spécificités du texte télévisuel, notamment dans la mise en relation du contenu des images et du verbal (1e partie). Nous aborderons les rapports image-texte sous l’angle des relations intersémiotiques en 2.2.2.2..
Carmen Compte a développé la mise à plat du document vidéo pour mettre en évidence les trois couches sémiotiques de la narration télévisuelle : l’analogie visuelle, l’expression verbale et la musique, La vidéo en classe de langue, pp. 61-80.
Nous pensons aux trois axes de lecture proposés par Umberto Eco, à savoir l’intentio auctoris, l’intentio operis, et l’intentio lectoris, Lector in fabula, Grasset, 1985.