2.2.1. Les systèmes visuels : stratégies discursives et cognitives

Nous nous proposons d’analyser la nature du message audiovisuel et, par souci de clarté, de séparer les deux systèmes, sonore et visuel. Nous renverrons cependant fréquemment les signes d’une catégorie à une autre (visuelle, filmique, sonore) sans imposer un ordre d’importance, mais en insistant sur la spécificité linguistique, iconique ou plastique du message. On caractérise le message télévisuel de syncrétique, c’est-à-dire qu’il est une combinaison de différents systèmes de signification. Image et son sont interdépendants, et sont à traiter l’un par rapport à l’autre ; la tendance qui est aujourd’hui courante en cours de langue à dissocier, au moins dans un premier temps, les deux canaux, n’a d’autre but que de faciliter la perception de l’apprenant. De plus, il nous importe de montrer comment l’interpénétration de l’image et du langage donne lieu à des situations didactiquement intéressantes. Le cinéma a ainsi largement utilisé dans les films les possibilités du canal visuel pour pallier à une époque l’absence de son - on pense ici aux intertitres dans les films muets -; dans un souci didactique de faire accéder un public le plus large possible au cinéma international, les films étrangers en langue originale sont traduits et sous-titrés. Mais la présence de textes sur l’image et l’exercice de lecture sont parfois ressentis comme une gêne par certains spectateurs qui préfèrent le film dans sa version originale, sans traduction. Les possibilités d’écriture à l’écran ont ouvert une voie d’accès aux documents étrangers vidéo pour l’enseignement des langues : l’impression de titres et de sous-titres a été vue comme un élément facilitant la compréhension car elle mettait en parallèle le texte verbal, l’image et le texte écrit. Cependant, en dehors des films, peu de documents sur support vidéo proposent une présentation utilisant le code scripto-visuel, notamment dans le cas de documents authentiques où la question de la mise en forme technique se pose en ces termes : ce travail ne relève-t-il pas davantage de celui d’un technicien de l’audiovisuel que d’un enseignant ? La question est à nouveau posée avec le support CD-Rom, l’informatique étant davantage tournée vers l’utilisation de l’écrit et permettant la superposition quasi infinie de textes, d’images et de sons.

Le message visuel se décompose en quatre couches sémiotiques dont les principaux signes porteurs de sens se prêtent à la mise en place d’une méthodologie pour l’apprentissage de la langue/culture. Nous traiterons dans un premier chapitre les éléments scripto-visuels, c’est-à-dire tout ce qui relève des signes linguistiques écrits sur ou dans l’image. Les images sont plus ou moins riches en signes scripto-visuels, ceux-ci apportent un condensé d’informations supplémentaires sous une forme particulière, ce qui est didactiquement intéressant. Les signes scripto-visuels relèvent du langage écrit (sous forme de titres), mais aussi de la représentation symbolique (pictogrammes, lignes et courbes) : leur densité sémantique est un avantage pour l’apprentissage car elle va faciliter l’accès au sens du document, et notamment la mise en relation avec le canal sonore. Cette spécificité se révèle efficace particulièrement avec des apprenants peu avancés car le prélèvement d’informations dans le canal visuel est plus rapide ; de plus, cela permet souvent d’aborder la complexité du document, sans passer par le code verbal qui demanderait plus de connaissances linguistiques et métalinguistiques. Les documents utilisant les signes scripto-visuels sont donc particulièrement adaptés pour familiariser les apprenants avec les messages audiovisuels. Cependant ces possibilités sont peu exploitées par les professionnels de l’audiovisuel qui les réservent davantage aux documents pédagogiques. Mais le scripto-visuel bénéficie d’un regain d’intérêt sur les supports informatiques au point que l’on puisse parler d’un rééquilibrage des textes, des images et des sons en faveur de l’écrit.

Une autre dimension du message visuel, mieux connue et plus exploitée pour l’apprentissage, fera l’objet d’un deuxième chapitre : la nature iconique du message, parfois réduite à la seule analogie. Cette dimension est pourtant essentielle car elle apporte des informations sur le cadre d’énonciation, les personnes et le comportement non-verbal, les objets et les lieux. La lecture des signes iconiques permet ainsi un décodage global du message d’abord sans le son ; ces signes vont ensuite guider le récepteur dans ses hypothèses sur le texte verbal et dans la compréhension du message : car l’interprétation passe par la confrontation entre le message visuel et le message sonore. On peut voir pour l’apprenant le développement d’une compétence intertextuelle. L’analyse des signes iconiques permettra par ailleurs à l’enseignant de juger de la difficulté du document en mettant en rapport le contenu des images et du son : à propos de la mise en scène, de la présence ou de l’absence d’énonciateur à l’écran, d’éléments non-verbaux visibles ou non qui renforceront le message verbal ou viendront le contredire.

L’aspect filmique du message constitue le troisième chapitre, et renvoie aux travaux sur l’image animée : il s’agit des principales notions de plan et de montage que l’on utilise lors d’un travail sur le film. Cependant, les enseignants se réfèrent peu à celles-ci ou bien de manière implicite, ne voyant pas l’intérêt d’employer des termes techniques. Une connaissance minimale est cependant nécessaire pour décrire une scène ou un plan et sera utile pour parler d’un film aussi bien que d’un extrait de journal télévisé. Sur le plan didactique, les signes filmiques jouent un rôle structurant dans la compréhension du message : ils construisent le message d’un point de vue temporel, logique et narratif, c’est pour l’apprenant la possibilité de développer une compétence discursive et intra-discursive. Lorsque l’enseignant fait appel aux capacités des apprenants à structurer le document, c’est rarement pour le mettre à plat comme il le ferait d’un texte écrit ; pourtant l’incompréhension peut naître d’une mauvaise lecture filmique, et pas seulement de l’ignorance linguistique de l’apprenant. Le montage en donnant son unité au message audiovisuel permet aussi à l’enseignant de juger de la cohérence de celui-ci et de prévoir les difficultés lors du visionnement avec les apprenants.

Le dernier niveau sémiotique est composé par les signes plastiques de l’image qui sont lors d’un usage didactique généralement passés sous silence au profit des seuls signes iconiques. Ils comprennent les couleurs, les formes et l’espace et donnent aux images leur dimension esthétique. C’est certainement à cause du fait que les signes plastiques tendent plus vers la culture que vers la langue que l’on ne juge pas nécessaire de les intégrer dans l’enseignement des langues. En effet, les signes plastiques font appel à l’imaginaire et leur perception relève en premier de la culture maternelle : les oeuvres audiovisuelles françaises sont par exemple le moyen de confronter l’apprenant à un apprentissage interculturel.