Les éléments statiques concernent l’apparence générale des personnes, et la vision que le média donne de leur corps : elle relève d’un choix esthétique personnel celui des vêtements, ou intrinsèque comme la beauté, la jeunesse. Mais il ne faut pas oublier le premier choix323 effectué par le média qui privilégie les sujets à montrer et la représentation de valeurs : ce peut être le bien-être mais aussi la misère, la pauvreté, la nudité... C’est aussi par un élément technique, le cadrage, que la posture du sujet sera mise en évidence, que les corps seront rapprochés ou distanciés. Ceci sera intéressant au niveau de la perception du message verbal qui sera améliorée si le buste et les mains sont pleinement visibles, à la différence d’un cadrage serré qui ne laisse voir que le visage du locuteur. Dans une perspective d’apprentissage de la langue, les signes de la communication non-verbale sont inséparables du message verbal parce qu’ils le complètent, le contextualisent et régulent l’interaction :
‘“La multicanalité de la communication humaine signifie, en effet, que (...) chaque interactant émet (et reçoit) un énoncé total, hétérogène, résultant de la combinaison généralement synergique de plusieurs éléments.”324 ’L’image télévisuelle montre principalement des personnes que l’on peut classer en deux types de postures : le sujet - parlant généralement - se présente de face ou de profil, soit il regarde le téléspectateur, soit il ne le regarde pas. Le cadrage en tant qu’élément filmique détermine la vision d’un espace, mais il modifie la distance proxémique à l’intérieur de celui-ci : la disposition des personnages les uns par rapport aux autres, selon des codes et usages tels que les a établis E.T. Hall325, sont à voir dans une perspective nouvelle, celle du spectateur. En effet, la classification établie en quatre distances, intime, personnelle, sociale et publique est remise en question par le média. L’exemple le plus frappant parmi les différents cas de figure que l’on peut rencontrer, est celui du journaliste, présentateur d’un Journal Télévisé, dont le buste occupe en quasi totalité l’écran. Sa présence sera ressentie comme une relation interpersonnelle, car l’espace de la représentation semble aboli ; son immobilité est une sorte d’affirmation de son pouvoir sur le temps et l’espace326. En cela il s’oppose au deuxième cas, à celui de l’interviewé qui est filmé dans la rue, à la dynamique des reportages où les personnes sont situées dans le réel.327 L’hypothèse est donc avancée que la perception et l’identification des locuteurs sera facilitée lorsque plusieurs éléments iconiques seront porteurs d’informations (locuteur à l’écran et situation d’énonciation visible) ; le décodage sera rendu de plus en plus complexe par la relation des différents signes iconiques entre eux et la combinaison avec les autres signes filmiques et sonores notamment.
EXEMPLE 2 : les postures, le décor : l’identification des locuteurs et du cadre d’énonciation
Document : Séquence de Vidéoclasse (le Français dans le Monde)
Durée : 2’29
Caractéristiques : reportage : Nos amis. Des animaux de bonne compagnie.
Construction : alternance d’interviews et de commentaire : interview 1(une dame agée), interview 2 (un monsieur), commentaire, interview 3 (un jeune couple), commentaire, interview 4 (un boucher), commentaire, conclusion en son synchrone
Utilisation en classe : cours de compréhension orale
Niveau : débutant à avancé
Activités : observation dans l’image des personnes, attitudes, décor et verbalisation ; hypothèses sur le thème traité, mise en relation des locuteurs avec le contexte culturel et le texte verbal.
Pour illustrer les avantages didactiques que l’on peut tirer des éléments statiques nous prendrons pour exemple un reportage de format JT (2’30”). Il est composé de plusieurs séquences avec différents lieux et personnes filmés, quatre interviews attirent l’attention par le cadrage et les plans rapprochés qu’elles contiennent. Après un visionnement intégral et l’identification globale des séquences (mise en relation des personnes, des animaux et des lieux), il est intéressant de s’arrêter sur les interviews. Deux sont au début du reportage, elles permettent dans un premier temps de détailler les personnes et les éléments statiques : une dame âgée est assise, de face, près d’une table, elle parle et tient son chien dans les bras (premier plan avec un cadrage large) ; puis elle est assise sur un canapé, elle serre le chien contre elle, près de son visage (deuxième plan plus serré). Le premier cadrage permet de voir l’environnement, l’intérieur simple d’un appartement alors que le deuxième est centré sur le personnage et son chien. La deuxième interview montre un couple et leur chien, tous trois assis sur une chaise, autour de la table du déjeuner. Le mari, de profil, semble s’adresser à quelqu’un hors champ. A l’aide de la fonction arrêt sur image, les apprenants observent les postures de chaque personne et remarquent la place attribuée aux chiens dans le cadre. Suivant le niveau de compréhension des apprenants, les tâches iront de la description des images à la verbalisation collective. Il s’agit de s’assurer de la compréhension globale et de se confronter à la thématique contenue dans le titre du document (“Nos amis. Des animaux de bonne compagnie”). Les images ont d’abord une fonction descriptive, elles présentent les acteurs, même s’il s’agit d’inconnus, elles représentent une partie de réalité (la mimesis) et laissent croire à leur vérité.
L’enseignant oriente le questionnement des apprenants afin de percevoir les indices culturels et de les détailler, d’infirmer ou de confirmer les hypothèses établies. La première personne du reportage tient tout le temps son chien dans ses bras, le couple adopte une position plus distante, on attribue au chien une place à part entière, sur la chaise, entre les deux maîtres. De même, les objets familiers tels le mobilier et les vêtements transmettent un style de vie, une identité sociale au sens où l’entend Bourdieu328. Le décor (meubles et objets, leur disposition dans la pièce) participe des éléments statiques, il permet de voir ici le milieu social des personnes filmées (simple pour la première, bourgeois aisé pour les seconds). L’habillement tout comme la race du chien sont un indicateur social pour identifier les propriétaires : classe plus ou moins privilégiée. Les éléments du décor et les attitudes des personnes filmées sont autant d’éléments socioculturels implicites qu’il est nécessaire de décrypter pour percevoir les différences de comportement des individus vis à vis de leur animal favori. Les images mettront en évidence ici la place tenue par les animaux et l’affection que ces gens leur portent, par exemple dans la troisième interview. Un grros plan est fait sur un jeune couple tenant un chaton dans ses bras, il est suivi d’un gros plan de la caméra sur l’étiquette indiquant: chaton blanc 4600F. Voici la transcription de la séquence :
| IMAGES plan serré sur un jeune couple le jeune homme tient le chat dans ses bras, le caresse, la jeune femme regarde le chat gros plan sur une cage : tête d’un chat tigré, gros plan sur affichette indiquant trois prix : 3.200F, chat tigré 4.500F, chaton blanc 4.600F |
SONORE Journaliste : il est à qui le chat à vous ou à vous’ jeune femme : à nous jeune homme : aux deux comme un petit enfant pareil journaliste : combien vous l’avez payé’ jeune homme : quatre mille six je crois |
Les signes visuels ont ici un fort contenu sémantique, l’association avec le verbal se fera sans grande difficulté grâce au procédé de “mise en images” qui narrativise le message et montre une histoire: ils ont un chat et sont heureux, ils l’ont acheté, il a coûté 4.600F.329 Le DTV est pour l’apprenant un moyen d’avoir accès à des situations familières françaises qui leur seraient très probablement fermées habituellement ; reconnaître des différences de comportement, c’est déjà pénétrer dans la culture étrangère, dans l’univers intime de ces Français. Cette phase d’analyse du comportement non-verbal permet ensuite à l’apprenant d’affronter plus facilement le message verbal : il sera riche en découvertes comme nous le verrons ci-après (langage affectueux et assimilation chien /enfant /humain).
La séquence suivante peut poser des difficultés de compréhension car ce ne sont plus les propriétaires de chiens ou de chats que l’on voit, mais l’interview d’un boucher. Celui-ci est filmé dans son magasin, on le voit travailler (découper, puis peser de la viande). On attirera l’attention de l’apprenant sur deux points qui vont lui servir à identifier facilement la personne : le vêtement et les gestes. Car le vêtement est un élément signifiant, il est, au-delà des fonctions pratiques et esthétiques, expression de la personne.330 Le code vestimentaire permet en premier lieu une identification du rôle social : la tenue de travail (le tablier blanc du boucher) sera associée à ses gestes (et aux instruments) et au lieu (on aperçoit l’étal, la balance, une partie du magasin). Ce premier niveau franchi va permettre d’aller vers le complexe et de faire remarquer à l’apprenant le changement de point de vue du reportage : le passage à un autre discours, celui du commerçant qui a pour clients les propriétaires d’animaux. Il y a une corrélation très forte avec la mise en espace des images : le changement de lieu implique un changement de personnes, et donc de discours.
Commentateur : autant de gagné pour les bouchers qui s’efforcent de préserver cette part importante de leur chiffre d’affaires
boucher : ah ça fait peut-êt’e 10% 10 15% du chiffre d’affaires
journaliste : ah quand même oui
boucher : oui les chiens sont très considérés chez nous eh ça quand un client a un chien on le lâche pas
A la différence de la séquence précédente, deux discours se construisent en parallèle, celui des images et celui du son, l’un insiste sur l’activité du boucher, l’autre parle de l’activité commerciale qui n’est pas visible331. La difficulté pour l’apprenant sera la mise en relation des deux canaux, car la marge d’interprétation est grande, le lien entre les images et le son est ténu. La fonction des images est ici d’assurer le contact avec la thématique, de montrer que dans ce domaine aussi les animaux coûtent à leurs maîtres. Le son prend en charge la construction logique de la séquence. On voit bien ici l’interpénétration des différents codes portés par l’image et le son : leur reconnaissance première et leur mise en relation construisent le sens. Ce sont d’abord les nombreux indices iconiques qui permettent à l’apprenant d’accéder à la situation d’énonciation et ensuite la corrélation image/son qui ouvre à la compréhension et plus largement à la communication.
Ceci renvoie à la notion de cadre et aux signes filmiques qui sous-tendent tout document audiovisuel, voir le chapitre 2.2.1.3. et 2.2.1.4. à propos du cadre.
J. Cosnier, A. Brossard, “Communication non verbale, co-texte ou contexte ?”, in Brossard Alain et al., La communication non verbale, Neuchâtel/Paris, Delachaux et Niestlé, 1984, p. 5.
Edward T. Hall, La dimension cachée, Seuil, 1971, pp. 145-160.
Pour Claude Jamet, la position assise, statique est une caractéristique du présentateur: il prend le temps de “s’arrêter, c’est-à-dire de donner l’impression de prendre le temps de la réflexion au lieu de se laisser emporter par la chronologie événementielle.” La mise en scène de l’information, Le dispositif, L’Harmattan, 1999, pp. 66-68.
On pense ici au journaliste envoyé-spécial, sur le terrain, sur le lieu de l’événement, ou aux témoins qui sont au milieu de l’espace-réalité (accident ou manifestation de toute sorte).
Pour situer socialement un individu, le capital culturel (hérité de la famille ou acquis par l’école) est aussi important que le capital économique. Pierre Bourdieu, La distinction, pp. 83-90.
Le procédé de “narrativisation” par l’image concerne non seulement les images de fiction, mais aussi celles d’information, comme cela a été démontré par les chercheurs sur les médias. Gérard Leblanc a mis le premier l’accent sur la fictionnalisation du réel, et notamment le traitement de l’actualité de manière fictionnelle. Le monde en suspens, Paris, Hitzeroth, 1987.
On peut pour une analyse plus poussée du code vestimentaire se référer à l’analyse des représentations collectives du vêtement faite par Roland Barthes, Système de la Mode, Seuil, 1967.
D’un point de vue technique, dans le cas des reportages montés en studio, les images sont d’abord montées (avec le son synchrone), vient ensuite se rajouter le commentaire.