2.2.1.3.1. Les plans

Le film publicitaire, produit de marketing tout autant qu’oeuvre de création, offre de multiples exemples des techniques de construction de film, où plans et montage jouent un rôle de sélection d’images. Le film publicitaire383 doit répondre à trois impératifs : il est à la fois objet relevant de la spectacularisation, et obéit en tant que tel au principe de plaisir, il est aussi objet mercantile, et doit donc être efficace, il doit enfin viser un public particulier et mener à l’adhésion de celui-ci. Ces contraintes en font un spectacle concis, - la durée varie de trois à quarante-cinq secondes - et il présente des avantages dans une situation d’apprentissage384 : la motivation se trouve renforcée lorsque le document intégral est bref ; le caractère divertissant n’est pas à nier ; les thématiques sont variées et à la portée d’apprenants de niveau débutant à avancé ; la rapidité du déroulement en situation de réception authentique peut être modifiée par la situation didactique qui introduit son propre rythme et permet d’aborder des documents dont la réputation est d’être difficiles.

  • EXEMPLE 6 : les plans : non linéarité, rapidité et implicite
    Document : spot publicitaire : France Télécom
    Durée : 45”
    Caractéristiques : succession de différents types de plans, durée et rythme des images
    Utilisation en classe : attention visuelle et compréhension, expression orale
    Niveau : intermédiaire
    Activités : reconstruction de la narration par l’image, mise en relation avec les dialogues

Le spot de France Télécom se présente comme une saynète : la caméra pénètre par la fenêtre dans l’appartement d’un immeuble bourgeois, quatre personnages, jeunes, sont installés sur un canapé ou assis par terre ; la caméra s’attarde sur un jeune homme assis par terre en train de téléphoner. On perçoit des bribes de conversation et une voix Off “Parce qu’il téléphone tous les jours à Manu, Marc, Léa et aux autres, Laurent a choisi le forfait local six heures de communication pour 30 francs par mois”. La caméra ressort par un zoom arrière de l’appartement. Affichage du slogan : ’Forfait local. France Télécom Nous allons vous faire aimer l’an 2000.’

Le visionnement de ce spot avec des apprenants de niveau intermédiaire va permettre de montrer le rôle que jouent les signes filmiques en association avec les signes iconiques dans les opérations de compréhension du message. Cela sous entend que ce qui a été dit à propos de la perception des signes iconiques est inséparable de la lecture des signes filmiques. Le spot de France Télécom donne à l’apprenant une première impression de facilité, car le minimum de compréhension est apporté par les signes iconiques, la place du verbal est réduite, l’histoire se résume en peu de mots. Cependant, même après quelques visionnements répétés, les apprenants ne parviennent pas à aller au delà de ce niveau minimum. La difficulté semble venir de la partie centrale du document où le rythme est plus rapide, de plus on note dans la partie sonore l’alternance entre le son on et off.

La “mise à plat” du document va servir à rendre la construction du document apparente, à justifier les impressions perçues lors du visionnement. Le spot contient quinze plans385 pour une durée totale de 40 secondes. Sans compter précisément la longueur de chaque plan, on s’aperçoit que l’ouverture se fait sur un plan long (7” 35) et que la conclusion comprend deux plans (5”30 + 2”20), dont la durée correspond à peu près à celle du début ; ces deux séquences sont construites en symétrie et encadrent le spot, iconiquement, elles se ressemblent : la caméra entre et sort de l’appartement, on voit l’immeuble de l’extérieur. L’analyse permet de constater qu’il n’y a pas de changement de lieu : les douze plans ainsi encadrés forment une unité-lieu et temps (à l’intérieur de l’appartement), ils s’enchaînent les uns aux autres. Il reste donc pour les douze autres plans une durée de deux secondes en moyenne chacun. Or, on remarque dans la partie centrale une accélération des images, due au raccourcissement de la durée des plans - la durée d’un plan peut varier d’une demi seconde à huit ou dix secondes -, ce changement est signifiant en soi, car il impose la perception du rythme des images et amène à rechercher les éléments porteurs de signification.

Le visionnement de la partie centrale au ralenti va permettre de décomposer la scène et de s’arrêter sur les plans qui posent problème. L’échelle des plans386 va servir à aborder le champ filmé par la caméra. Ainsi les plans d’ensemble présentent les quatre jeunes et leur environnement ; on remarque les postures : tous les personnages sont assis, le personnage principal téléphone, assis sur le tapis, les autres lisent mais discutent aussi entre eux. Le son est synchrone. A ces plans succèdent des plans moyens qui montrent les personnages de plus près. Trois plans vont retenir l’attention visuelle, il s’agit de trois gros plans (plans 6, 9, 11) qui s’intercalent entre les autres : ils sont brefs et ne montrent qu’un détail du personnage principal : sa main et le téléphone. Il y a donc insistance sur l’objet et sur les gestes : la main repose le téléphone, compose un numéro, puis raccroche. Cette accélération n’est en fait pas due aux mouvements réels (actions faites dans la réalité) qui s’enchaîneraient les uns aux autres, mais à la brève durée des plans qui se succèdent et donnent l’impression de rapidité ; ceci a pour but de mettre en évidence les nombreux appels téléphoniques du personnage. Ces changements ne sont pas sans influence sur la perception au niveau cognitif - l’oeil s’habitue aux mouvements de plus en plus nombreux et rapides, à un certain rythme des images.387 Ce défilement rapide des images est à voir comme une modification spécifique du rapport au temps et à l’espace. Cette situation, habituelle à la télévision, peut cependant être vue par certains comme un handicap pour l’apprenant, c’est aussi le moyen de développer des compétences de lecture et de compréhension, parfois non acquises en langue maternelle388. Cette volonté de l’émetteur doit être explicitée à l’apprenant, pour qui la linéarité est interrompue, le déroulement filmique adoptant une logique différente de celle de la réalité. A la différence du téléspectateur natif qui mettra plus facilement les images en relation avec la voix off, l’apprenant aura besoin d’être guidé pour saisir la connivence instaurée. En effet, le canal son peut troubler la compréhension générale des images dans la mesure où il fait appel à une construction particulière. Les dialogues du spot en son synchrone vont demander à l’apprenant une grande attention car ils jouent sur l’effet de tension entre le champ et le hors-champ, c’est-à-dire entre la réalité filmée et l’espace non représenté. En effet, le personnage principal s’adresse à un locuteur non visible à l’écran auquel il téléphone ; le son On offre seulement une partie de la conversation téléphonique. C’est au spectateur de reconstituer ou de compléter mentalement les échanges : à qui téléphone-t-il, à combien de personnes différentes, pourquoi, ?... Le hors-champ est ici un moyen de relancer l’écoute, l’intérêt du spectateur et de l’apprenant.

On voit que le monde de la fiction nécessite une implication du spectateur :

‘“Mon entrée dans la fiction se fait sur la base d’un pacte stipulant une nécessaire interactivité. En réponse aux propositions et suggestions du texte filmique, je dois d’abord trouver le bon régime de coopération, ensuite m’engager dans une activité cognitive de logique déductive et évaluative (à tout instant je dois réagir, interpréter, juger, choisir).”389

L’analyse par plan-séquence a pour avantage de permettre de déceler les problèmes interprétatifs des apprenants, de prendre conscience des effets produits par le message sur les spectateurs. On constate généralement que le mouvement et le rythme des images ne vient pas tant de l’action montrée que de la prise de vue, du cadrage et du montage. L’insistance sur certains détails iconiques, la présence comme l’absence, totale ou partielle, de centres visuels induira diverses interprétations du message visuel et télévisuel. Les activités d’apprentissage vont conduire l’apprenant à porter son attention sur le champ, à mettre en relation les signes iconiques et plastiques avec la structure filmique, à reconstituer à l’aide de sa mémoire le message, à réinvestir ses acquis culturels et linguistiques.

Notes
383.

Sur le fonctionnement de la publicité dans le discours télévisuel, on peut se référer au chapitre sur la loi du spot dans Notre écran quotidien, de Guy Lochard et Henri Boyer, Dunod, Paris, 1995, pp. 139-153.

384.

Des études déjà anciennes ont montré l’intérêt de ce genre médiatique, Pierre Moeglin, “Utilisations pédagogiques de la publicité télévisée : un renouvellement des perspectives”, in Etudes de Linguistique Appliquée, n° 58, 1985, pp. 35-43.

Egalement : Simone Lieutaud, Geneviève Moll, Cassette vidéo de 99 publicités, Hachette, 1983.

385.

Nous reprenons la définition du plan de Christian Metz qui distingue d’une part une unité temporelle (durée) : c’est la portion de film filmé en continu par une caméra et qui a été conservée au montage; et d’autre part une unité spatiale (le personnage filmé en plan rapproché). Mais la confusion est fréquente, car le plan-unité de temps ne correspond pas nécessairement au plan-unité de lieu. La caméra peut se déplacer, se rapprocher ou s’éloigner tout en continuant à filmer. Le lieu est délimité par le cadre, déterminé par les emplacements de la caméra et de l’objet filmé.

386.

Nous utilisons l’échelle des plans ci-dessous tout en ayant conscience des limites théoriques de cet outil : - le très gros plan (appelé aussi insert) qui représente un détail du corps, du visage ou d’un objet, IN.

- le gros plan : concerne le visage ou une partie du corps, GP.

- le plan rapproché : les personnages sont pris en buste, PR.

- le plan américain: les personnages sont coupés à mi-cuisse, PA.

- le plan moyen: les personnages sont vus en pied, PM.

- le plan d’ensemble: représente une partie du décor avec des personnages, PE.

- le plan général : prend la totalité du décor avec ou sans les personnages, PG. Tout ceci résulte du choix du cadreur, du réalisateur qui privilégient des liens avec la réalité.

387.

Dans L’analyse du discours de la télévision, Philippe Viallon oppose deux types de langage télévisuel qui privilégient la durée extrême des plans : les documentaires et les clips vidéo. “Les premiers, héritiers de la paléo-télévision, laissent le temps au téléspectateur; les images sont complexes (détails précis, portée des paroles accompagnant les images) et la compréhension de chaque unité est nécessaire pour la signification globale. Les seconds, enfants de la néo-télévision, imposent un rythme soutenu ; l’image peut être également complexe (images de synthèse, superposition de différentes images), mais il ne s’agit pas tant de jouer sur le sens que sur des impressions qui déboucheront sur une ambiance, une connivence instantanée, une communauté de sentiments”. Selon les documents, la logique de construction sera différente et c’est cette spécificité du registre filmique que le didacticien devra prendre en compte dans les activités d’apprentissage. op. cit., p. 77.

388.

Le programme Télécole analyse, chez les enfants du primaire, les compétences convoquées par la télévision dans l’apprentissage, “Écrans du quotidien, école d’aujourd’hui”, M. Masselot-Girard, in Actes du Colloque “Les enfants, la télévision et l’école”, Cahiers du Creslef, n°41-42, Belfort, 1996, pp. 5-25.

389.

André Gardies, Le récit filmique, Hachette, 1993, p. 50.