La couleur est pour l’apprenant la première accroche visuelle, c’est un moyen de captation de l’attention et de reconnaissance des signes iconiques. La couleur a toujours été porteuse de sens, mais la perception comme l’interprétation des couleurs est quelque chose de subjectif, et d’éminemment culturel401 ; couleur et lumière sont d’ailleurs liées. Lorsqu’on parle d’images “en noir et blanc”, ce sont des images qui ne représentent pas les couleurs, mais seulement les luminosités et comportent toute une gamme de gris. On pense ici à l’usage rare mais significatif, qui est fait aujourd’hui à la télévision du noir et blanc, sur lequel nous allons revenir dans l’exemple ci-dessous. Par ailleurs, les couleurs rencontrées dans la nature (le bleu de la mer, du ciel, le vert des végétaux, le blanc de la lumière) sont généralement associées à des affects (froid, peur, chaleur) ou encore à des événements ou des expériences premières (rouge = sang répandu). Si le rouge est reconnu comme “la couleur par excellence”, elle n’a pas été toujours opposée au vert comme cela semble naturel, mais plutôt au blanc402. Ainsi, certaines associations qui paraissent “évidentes” dans notre culture occidentale - tel le noir traditionnellement considéré comme la couleur de deuil -, ne sont plus connotées pareillement aujourd’hui par les jeunes par exemple, ou bien seront dans d’autres cultures porteuses d’autres significations. L’interprétation des couleurs dans le message visuel va amener l’apprenant à dépasser l’évidence, à lui faire prendre conscience de la construction de sa propre culture. En effet, l’apprentissage culturel, et nous rejoignons là la position de Geneviève Zarate, est d’abord vécu dans le milieu de la langue maternelle :
‘“Les procédures d’acquisition de la compétence culturelle en culture d’origine ne sont jamais vécues comme un choix entre plusieurs possibles, entraînant l’élaboration d’une vision du monde arbitraire. (...) Ce qui dans les faits, a été élaboré, médiatisé par un apprentissage, est perçu comme l’expression d’une évidence indiscutable. Or, là où se situe l’évidence, se situe le fait culturel dans sa relativité.”403 ’L’utilisation de documents télévisuels dans un cours de langue implique le respect maximum de leur authenticité, notamment de l’écriture télévisuelle. S’il arrive par exemple lors d’une opération de transcodage de perdre la couleur originale et de passer à un document en noir et blanc, on se rend bien compte de la “perte” subie par le document. Cette absence est ressentie comme une gêne par le téléspectateur autochtone, habitué à une certaine qualité de l’image. Mais pour des apprenants étrangers, l’habitude télévisuelle sera autre : celle de leur pays, de la télévision française ou francophone regardée chez eux, en couleur mais peut-être aussi en noir et blanc. A la télévision française, le non-emploi de la couleur renvoie automatiquement à des genres spécifiques : images d’archives, images esthétiques. A titre d’exemple, on pense à des films publicitaires qui utilisent parfois le noir et blanc à des fins esthétiques, ou à des vidéo clips.
Exemple 8 : les couleurs : expression culturelle
Document : Spot publicitaire diffusé sur plusieurs chaînes françaises ; durée : 30”
Caractéristiques : utilisation du noir et blanc et de la couleur ; pas de dialogue, mais musique et son
Objet : Peugeot 406 break
Construction du spot : première partie en noir et blanc (10’’), la deuxième partie est en couleur.
Utilisation en classe : compréhension et expression orales
Niveau : apprenants débutants
Activités : verbalisation à partir des couleurs, apprentissage de lexique, découverte des implicites culturels du message
Description du spot publicitaire : la première partie du spot représente une scène de chasse, la battue au sanglier dans la forêt, c’est “l’avant” où le noir et blanc apparaît404. La deuxième partie est en couleur, elle présente une voiture au milieu d’une prairie, une petite fille et son père assis sur l’herbe. Des chasseurs, fusil à l’épaule, passent à côté d’eux et s’éloignent. Puis le père se dirige vers la voiture et ouvre le hayon : des sangliers et autres animaux sautent de la voiture, la petite fille est contente. La voiture s’en va. Slogan affiché : “‘406 Peugeot. Rien de petit ne rentre dans ce break.’”
Dans le cadre d’un apprentissage de la langue et de la culture, ce spot peut être présenté à des étudiants de niveau débutant car il possède un atout majeur pour l’usage didactique : la présence minimale de message verbal qui est réduit à une voix off (le slogan) en fin de séquence. Cette particularité met les signes visuels au premier plan de la perception et instaure un lien privilégié entre image et langage. L’intérêt de ce spot est fondé sur l’utilisation spécifique d’images en noir et blanc, puis en couleur. Les chaînes télévisées étant habituellement en couleur, la partie en noir et blanc du film publicitaire relève donc d’un choix délibéré de l’émetteur : il faut en chercher le sens, l’effet obtenu sur l’apprenant et voir en quoi l’interprétation peut être différente de celle du spectateur natif. La démarche passe par la recherche de la construction du sens plastique et par la mise en perspective des regards portés sur le document. On ne peut faire abstraction ni des signes iconiques qui sémantisent le message, ni des signes filmiques qui lui donnent sa structure : durée de la séquence en noir et blanc par rapport à celle en couleur, prises de vue et tailles des plans, canal sonore, tout cela influence le spectateur dans sa perception. Dans le cadre d’un cours de langue de niveau débutant, l’objectif est d’abord la compréhension globale du document, mais l’accent est mis sur les diverses activités interactives entre les apprenants et le message.
Dès le premier visionnement, le professeur choisit d’attirer l’attention des apprenants sur la particularité des couleurs du message. Chaque spectateur aura sans doute perçu la différence de couleur, mais n’aura pas “naturellement” conscience de son influence dans l’interprétation du message. Dans une première étape, en partant de la perception des couleurs, les apprenants effectuent une activité de lecture et de classement : une fiche leur propose une liste de lexèmes connus qui sont en rapport avec les éléments iconiques du spot (animaux sauvages, chiens, voiture, enfant, hommes, forêt, herbe...) ; il ont pour consigne de les mettre en relation avec la première partie (en noir et blanc) ou la deuxième partie (en couleur) du document vidéo. C’est une activité simple que chacun mène individuellement. La mise en commun permet à chaque apprenant de décrire ce qu’il a vu et de se mesurer à nouveau au message reçu par le groupe : il s’agit d’allier le repérage des éléments en noir et blanc ou en couleur avec une activité de verbalisation. La langue véhicule les informations visuelles perçues et met ainsi en relation image et langage verbal. Chacun peut selon ses connaissances linguistiques compléter et, avec l’aide du professeur, élargir les champs sémantiques proposés. On peut chercher à mieux connaître l’activité de la chasse et ses pratiques : est-ce la présentation d’une chasse traditionnelle (la meute de chiens est lancée sur les traces des sangliers) qui n’existe plus (le noir et blanc renvoie au passé) ? De nouveaux visionnements permettent aux apprenants de percevoir de nouveaux signes, de les mettre en relation et d’accroître leur compréhension du message. Ils sont amenés à relier le début avec la scène finale, en couleur, qui montre les animaux sautant de la voiture : la voiture rouge est située au milieu d’un grand espace vert qui domine l’écran. Dans une deuxième étape, les apprenants peuvent peu à peu interpréter le message : l’élément principal qui est porteur du sens général est la voiture et non les sangliers. L’opposition noir et blanc / couleur prend ici tout son sens : c’est la deuxième séquence en couleur qui dévoile le produit publicitaire. On voit comment les signes plastiques et iconiques sont intimement mêlés, comment le plan de l’expression et le plan du contenu construisent le message visuel.
De nombreux implicites culturels portés par les images sont à décoder : les signes iconiques sont par exemple porteurs d’humour. Les animaux qui s’échappent du coffre de la Peugeot sont à mettre en relation avec le slogan final : “406 Peugeot. Rien de petit ne rentre dans ce break.” La publicité use souvent de la dimension humoristique, mais c’est une difficulté pour l’apprenant étranger lorsque l’humour repose sur le verbal. Ce sont ici les images qui permettent de saisir l’exagération, elles facilitent ensuite la mise en relation avec le linguistique. Comprendre l’humour est valorisant en situation d’apprentissage ; en effet, comme l’a montré Cordula Foerster405, le rire joue un rôle psychologique important, il est libérateur et valorisant pour l’apprenant. Dans cet exemple, rire montre la participation de l’apprenant à la communication, il renvoie à la compréhension du message. La libération des sangliers est certes une situation amusante, mais elle sert aussi de mise en scène pour montrer l’habitabilité de la voiture, objet qu’il ne faut pas perdre de vue. Le thème de la chasse joue également un rôle culturel en s’adressant à un public français cible, il véhicule de nombreux implicites - à mettre en relation avec les signes iconiques - et exigera plus de connaissances et de capacités linguistiques de la part des apprenants. Ce thème a surtout pour but d’attirer l’attention du spectateur, et d’ancrer la publicité dans l’environnement de celui-ci : la relier à l’automne, moment où la campagne publicitaire a lieu. Ce document vidéo présente donc de nombreux avantages pour la découverte de la langue et culture étrangères : la forme visuelle est facilitatrice pour l’apprenant qui peut se concentrer sur le canal visuel ; le document mêle le linguistique et le culturel dans sa forme et développe des activités cognitives chez l’apprenant selon ses propres capacités de lecture, de compréhension, d’interprétation. Dans une situation d’apprentissage en groupe, le rôle joué par l’enseignant est essentiel, car c’est lui qui va organiser les activités de l’apprenant, qui va adapter les tâches aux capacités de celui-ci. Il sert également de guide dans la perception globale du sens, dans l’établissement des hypothèses et des interprétations ; l’enseignant est la personne ressource dans la recherche de la construction du sens.
La couleur est le résultat de la capacité des objets à absorber ou réfléchir certaines fréquences du spectre visuel, la couleur est dans notre perception. Jacques Aumont développe aussi le classement des couleurs dans le chapitre 1 de L’image, Nathan, Paris, 1990.
On peut se reporter au Dictionnaire des couleurs de notre temps, Symbolique et société de Michel Pastoureau, Ed. Bonneton, 1992.
Geneviève Zarate, Enseigner une culture étrangère, Hachette, 1986, p. 24
L’emploi choisi du noir et blanc dans l’image publicitaire sert à ancrer une action dans le passé ou à marquer tout état antérieur à l’apparition du produit, c’est ‘‘l’avant” du spot.
Cordula Foerster distingue deux catégories de stimuli déclencheurs du rire en classe de langue étrangère : Ceux qui sont liés au contenu verbal spécifique à la situation d’apprentissage et ceux qui sont liés au fonctionnement du groupe, à la relation établie entre les interlocuteurs. in Variations et rituels en classe de langue, LAL, Hatier, 1990, pp. 90-93.