2.2.2.1.2. Les types de discours

La langue orale a fait depuis la grammaire de l’énonciation l’objet de recherches linguistiques dont la didactique du français langue étrangère a tiré profit, et il ne paraît pas nécessaire de redire après d’autres toutes les richesses qui la composent. Nous renvoyons aux bases de l’enseignement de l’oral, notamment à la typologie des messages oraux de Jean Peytard433, ainsi qu’aux ouvrages du BELC sur les documents sonores bruts qui ont mis en évidence les traits de l’oralité. La langue orale présente un caractère improvisé, une structure différente du langage écrit, et on ne peut donc pour la décrire reprendre les procédés de segmentation et d’organisation de l’écrit, tels ceux qu’on trouve dans un texte (typographie, ponctuation, paragraphes, phrases, blancs entre les mots...). Tout locuteur a à sa disposition divers moyens sonores pour structurer son énoncé, mais tout dépend du temps de préparation du discours oral et de la forme que le locuteur veut bien lui donner : c’est la différence entre un conférencier qui lit ses notes et celui qui parle librement. Tout discours est soumis à des contraintes plus ou moins fortes (techniques, psychologiques, émotion, fatigue, milieu ambiant intime ou non) et, selon les compétences individuelles du locuteur, certaines particularités seront plus ou moins visibles : les hésitations, les lapsus, mais aussi les reprises et ruptures pour corriger le message ; certains locuteurs se distingueront par l’emploi de structures également utilisées à l’écrit, en fonction de leur appartenance socioculturelle. C’est l’art d’allier le maintien d’une cohérence du contenu et d’une cohésion de la forme.

Il est tentant dans une perspective d’apprentissage de la langue de chercher à établir des catégories de discours, en fonction de typologie des textes linguistiques. Cependant, le texte médiatique n’est pas semblable aux autres textes, et doit être traité comme un lieu où se produisent des “possibles interprétatifs”, comme le rappelle Patrick Charaudeau, car :

‘“ce n’est pas un lieu qui construit un type de discours, une signification, mais qui a en gestation un certain nombre de sens possibles qui sont là à disposition, et qui probablement vont être repris, construits par les instances de réception qui sont en même temps des instances de réaction.”434

A propos du discours du JT et des différentes voix qui produisent la mise en son, Claude Jamet fait une distinction intéressante pour le didacticien entre deux types de discours435 : celui où la voix est maîtrisée (textes de présentateur, commentaire des reportages), où les textes sont sous contrôle, aussi bien en ce qui concerne la durée de lecture, le rythme que le vocabulaire ou la syntaxe - cela renvoie à la situation de monolocution décrite ci-dessus -. Et des discours non maîtrisés, lorsqu’ils ne sont plus produits par la rédaction, notamment dans le cas du direct, des interviews, des débats - cela renvoie à la situation dialogique -. On peut parler à propos des discours produits par les locuteurs professionnels des médias de forme mixte, d’écrit oralisé, car cela suppose généralement l’utilisation d’un support écrit (notes écrites ou écran du téléprompteur436). On distinguera donc entre les discours plus formels et plus complexes dans des émissions où les professionnels des médias ont un discours dominant (le plus caractéristique est le JT), et des discours dialogués, plus “naturels” en présence d’émission avec des invités, du public, où l’animateur-présentateur est médiateur, et gère les échanges entre les participants. Ce deuxième type de discours est intéressant pour l’apprenant, car il contient des procédés linguistiques qui tendent à faciliter l’interprétation du contenu. Ces caractéristiques communes à la langue orale des médias ont déjà été analysées à partir de discours radiophoniques. Dans une émission scientifique, en situation de dialogue animateur-invité, Monique Brasquet-Loubeyre437 a relevé des “marques de didacticité”438 qui sont l’expression d’une volonté de médiation de la part de l’émetteur et sont utiles à la situation d’apprentissage. On constate que l’animateur prend en charge l’organisation du discours dans un souci de progressivité ; c’est par exemple l’annonce du plan ou du rappel de ce qui a été vu : “avant d’aborder l’état de rêve lui-même il est sans doute nécessaire d’expliquer...”. Diverses opérations cognitives ont lieu dans le but de faciliter la compréhension de l’auditeur, telles l’explication : par la reformulation, l’animateur va élucider un terme scientifique, ou expliciter une séquence de l’énoncé : “il reprend les éléments essentiels à retenir et qui visent à l’assimilation tout autant qu’à la mémorisation du savoir transmis.”439 Un autre procédé est l’exemplification, souvent demandée par le médiateur car ressentie comme nécessaire : “est-ce que vous pourriez nous donner un exemple de ça et nous dire ?”. Monique Brasquet-Loubeyre remarque que l’animateur fait appel à la mise en relief du discours par des remarques métalinguistiques (par exemple “j’ouvre une parenthèse”, “je voudrais simplement conclure en mentionnant”), des questions ou des formes injonctives (“alors quelques mots sur...”). Ces formes de médiation peuvent être mises en relation avec celles existant à l’écrit dans les procédés de mise en page, elles fonctionnent comme des repères et sont facilitatrices pour l’apprenant. Enfin, on remarque des procédés de stimulation de l’auditeur qui passent par la représentation valorisante que l’animateur donne de l’auditeur et par l’identification auditeur-animateur. D’une manière générale, on a affaire d’un côté au professionnalisme des journalistes, et de l’autre à la langue du spécialiste vulgarisateur, ou encore de l’homme de la rue, parfois hésitante, empreinte d’émotion. L’apprenant se trouve ici face à des situations langagières où il devra apprendre à distinguer plusieurs registres de langue, qui varient en fonction de l’émetteur (discours enregistré ou en direct, discours de fiction, ou d’information), des locuteurs et du récepteur (immédiat, éloigné, virtuel).

Les discours du média télévision ont fait également l’objet d’études sur un genre spécifique, par exemple, le débat, le talk show440, même si le Journal Télévisé reste le plus répandu dans une perspective d’apprentissage de la langue. De plus, le genre informatif s’appuie sur les travaux linguistiques produits à propos de la presse écrite, par exemple sur l’énonciation, la narration, l’argumentation qui peuvent être réinvestis avec des étudiants de langue avancés441. Si l’avantage d’utiliser plusieurs supports, écrit et audiovisuel, est indéniable - cela renvoie à une exploitation didactique à la fois mieux connue des apprenants et plus variée -, le texte télévisuel présente des difficultés pour l’analyse, car l’approche détaillée est largement dépendante de la fixation écrite du texte. C’est dans ce but qu’une des premières compétences à développer chez l’apprenant est la capacité d’écoute - sur laquelle nous allons revenir ci-dessous - et la mise en relation texte visio-oral /texte écrit. Un aspect formateur pour l’apprenant est à voir par exemple à travers le rôle des modèles. Ce terme a été développé par certains chercheurs pour parler des éléments récurrents dans le discours des médias, de processus de modélisation. Cela concerne la répétition d’un média à l’autre de faits, mais aussi le traitement de l’information plus ou moins similaire que ce soit au niveau linguistique ou visuel. On peut, par exemple pour le genre informatif, attirer l’attention de l’apprenant sur les lancements des reportages TV et sur les titres de la presse écrite, dont le fonctionnement peut être rapproché. Après avoir été annoncée visuellement dans un encadré-titre, l’information va être développée par le présentateur et le lancement assure le lien entre ce titre et le reportage. Ce rôle informatif est à souligner, car le lancement constitue “une sorte d’embrayeur d’information”, ou bien indique au destinataire la tonalité du reportage : dimension narrative, annonce de témoignages, d’explications et de faits, ton humoristique, dramatique. Par ailleurs, il a été mis en évidence à partir de la lecture de la presse, que chaque lecteur fait appel à des schémas discursifs qu’il a acquis au fil de ses lectures et qu’il reconnaît. Pour un lecteur étranger, il s’agit alors de transférer ses compétences de lecture ou d’en acquérir de nouvelles. Francine Cicurel a développé pour la presse quotidienne l’idée de “scénario ou script”, c’est-à-dire “une séquence stéréotypée d’actions et d’enchaînements d’actions”442, qui sont en nombre limité et que les journalistes réutilisent selon la catégorie d’événements qu’ils relatent. Certains schémas discursifs sont récurrents et permettent au lecteur d’allier compétences linguistique et informative ; mais, on rencontre dans les textes journalistiques plusieurs modes discursifs qui se mélangent et se superposent, en créant de nouveaux “possibles interprétatifs” de texte. La dimension intertextuelle nous paraît capitale dans une perspective d’apprentissage, l’apprenant peut ainsi acquérir ou développer une compétence de compréhension à travers plusieurs médias. Ceci est d’autant plus important que l’on retrouve sur les sites internet la presse quotidienne nationale, et la connaissance et la pratique des journaux ne pourra que faciliter leur approche pour l’apprenant : il pourra réutiliser les compétences de décodage acquises avec le support écrit auxquelles s’ajouteront les procédés de présentation et d’organisation propres au multimédia.

Notes
433.

Jean Peytard, “Pour une typologie des messages oraux” in La grammaire du français parlé, BELC Hachette, 1971.

Pratiques n°17, L’oral, 1977.

Monique Lebre-Peytard, Simone Lieutaud, Jean-Claude Beacco, Jean-Louis Malandin, Le document oral brut dans la classe de français, BELC, 1977.

François Fillol, Jean Mouchon, Pour enseigner l’oral, Textes et non textes, Paris Cedic, 1980.

Henri Portine, Éléments pour une grammaire de l’énonciation, Préalables, BELC, 1979 ; Anaphore, BELC, 1980.

Monique Lebre-Peytard, Jean-Louis Malandin, Décrire et découper la parole, Le document oral dans la classe de langue, T.1 et 2, BELC, 1982.

434.

Patrick Charaudeau, “Analyse des discours et mise en scène de l’information”, Actes du Colloque La Baume, CLEMI/Sfisc, 1990, p. 71.

435.

Claude Jamet, La mise en scène de l’information, op. cit., p.61.

436.

Ce dispositif technique permet au présentateur de lire le texte écrit sur une glace sans tain placée devant l’objectif de la caméra. Cela donne au spectateur l’illusion d’une expression orale spontanée car les yeux du présentateur ne sont affectés d’aucun mouvement.

437.

Monique Brasquet-Loubeyre, “Marques de didacticité dans des discours de vulgarisation scientifique à la radio”, Les carnets du cediscor 2, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1993, pp. 115-125.

438.

Cette notion a été définie en 2.2.1.2.3. pour l’énonciation visuelle, elle est développée par Jean-Claude Beacco et Sophie Moirand dans l’article “Autour des discours de transmission de connaissances”, Langages 117, Larousse, 1995, pp. 32-53.

439.

Monique Brasquet-Loubeyre, ibidem.

440.

Noël Nel, A fleurets mouchetés, 25 ans de débats télévisés, Paris, INA, 1988 ; Le débat télévisé, Paris, Colin, 1990.

Patrick Charaudeau, “Le discours publicitaire, genre discursif”, in Mscope n°8, CRDP de Versailles, 1994.

Patrick Charaudeau (dir.), La télévision, les débats culturels, Apostrophes, Didier Erudition, 1991.

Patrick Charaudeau et Roger Ghiglione, Le talk show : un mythe de la démocratie ?, Paris, Rapport CNRS, 1993.

Guy Lochard, Henri Boyer, Notre écran quotidien Une radiographie du télévisuel, Dunod, 1995.

441.

André Petitjean, “Les faits divers : polyphonie énonciative et hétérogénéité textuelle”, Langue Française n°74, 1987, pp. 73-96.

442.

La notion est développée à partir de celle de van Dijk sur l’analyse de la structure des nouvelles politiques et des “superstructures” dans lesquelles les différents aspects d’un événement vont s’actualiser:

- le sommaire/introduction (titres et chapeau) ;

- les épisodes : les événements : les antécédents, les événements actuels, les explications, le contexte, l’arrière-plan

et les conséquences/réactions : événements et réactions verbales ;

- les commentaires : les attentes, l’évaluation.

dans l’article de Francine Cicurel, “Les scénarios d’information dans la presse quotidienne”, Recherches et Applications, in Médias : faits et effets, juill. 94, p. 96.