2.2.2.1.3. L’écoute active

Le cadre donné par les messages télévisuels nous conduit à nous intéresser prioritairement à la langue orale, non pas dans son aspect de flux éphémère, mais dans une dimension médiatisée, c’est-à-dire transmise par un média et enregistrée sur un support vidéo. Il faut prendre en compte le fait que :

‘“chaque message, de son point d’émission à son point d’arrivée, passe par une chaîne souvent complexe, qui combine des organes physiologiques (cordes vocales, oreilles, yeux, (...)), des vecteurs physiques (ondes sonores, hertziennes, lumineuses) et des techniques.”443

Ceci a deux conséquences pour la situation d’apprentissage : d’une part, comme cela a été dit plus haut, l’échange entre les locuteurs n’est pas toujours immédiat, et d’autre part, le message oral est toujours différé dans sa diffusion. Mais c’est l’enregistrement du message, c’est-à-dire la fixation de la langue, qui permet la réflexion sur l’objet. En effet, la communication orale est plus aléatoire que la communication écrite, au niveau de l’émission (voix trop basse, débit rapide, gêne sonore) comme de la réception (inattention des récepteurs, langue trop difficile, sujet ennuyeux). L’enregistrement permet de pallier en partie ces inconvénients, l’attitude d’écoute est ensuite déterminante pour l’apprentissage.

Un des avantages de l’utilisation d’un support audiovisuel réside dans le fait que le matériel paraverbal, c’est-à-dire les signes vocaux-acoustiques (le sourire, les pleurs et autres manifestations) et prosodiques, la hauteur, l’intensité, le timbre, et aussi les pauses, les intonations, et le débit (mesure de la vitesse de la parole) sont perçus auditivement et visuellement. Au-delà de la diversité des locuteurs et des situations de communication, les traits spécifiques de l’oralité s’analysent à trois niveaux qui fonctionnent en étroite synergie : celui de la prosodie, de la phonologie et de la phonétique.444 Si certaines appréciations sont subjectives, d’autres peuvent être mesurées ; c’est par exemple le débit, la durée des pauses, les intonations, les variations de fréquences, l’articulation, l’accentuation. L’importance des faits prosodiques est à souligner, car ils assurent le découpage de la production orale en unités, et seront des éléments facilitateurs pour l’auditeur étranger. En simultanéité avec le verbal, le matériau non verbal fait partie à divers degrés du déroulement de l’interaction. Ces signes seront des indices visuels sur l’identification des participants, ou sur les relations interpersonnelles, entre les participants, les marques de l’émotion, les sentiments... Ils sont également utiles pour l’articulation du discours ou la régulation de l’interaction. Réciproquement, les signes paraverbaux sont des supports de compréhension lorsqu’ils sont décodés simultanément avec le verbal ; la lecture labiale est par exemple une aide au décodage du verbal pour tout auditeur. L’apprenant doit en tant qu’auditeur associer les informations visuelles et sonores, mais aussi des indices qui appartiennent à la fois à l’individu, à la langue, au code langagier et à la situation de communication.

Un apprentissage de l’écoute est donc nécessaire, au sens déjà développé par Francis Vanoye d’“‘une gamme d’attitudes allant de l’audition pure et simple (au sens physico-biologique) à l’écoute active et sélective, passant par de plus spécifiques (l’ “attention flottante” des psychologues par exemple)’.”445 A la différence de la situation d’écoute directe où locuteur et récepteur sont en permanence à l’écoute l’un de l’autre, dans la situation d’apprentissage avec un média, l’apprenant se trouve face à une langue parlée enregistrée, dont le déroulement ne sera pas modifié par son attitude d’écoute. L’intervention de l’enseignant à travers les consignes d’écoute permet de faire un usage sélectif de son attention, même si cela conduit à une attitude d’écoute exagérément “perceptive”. Pour amener l’apprenant à prendre conscience des phénomènes de la langue orale, on peut par exemple pratiquer des exercices de transmission d’un message. On peut faire repérer les différences de transmission entre la lecture en classe d’un message écrit, la présentation orale de celui-ci par un apprenant ou un enseignant, et l’écoute du message enregistré sur un support sonore (sans image) ou audiovisuel. L’apprenant est sensibilisé aux conditions de production du message, aux phénomènes de perte d’information, de filtrage, de syntaxe de l’oral. Un autre moyen de se former à l’écoute active est une écoute discriminatoire, réalisée parfois à l’aide de grilles afin d’analyser un aspect de la production. Des techniques d’écoute développées pour les documents audio peuvent servir, nous pensons ici aux travaux du BELC “Décrire et découper la parole” ou “Soixante minutes, soixante voix”446. Ce recueil de documents sonores et transcrits, établis à partir d’enregistrements d’interviews, propose de travailler sur la coloration de la voix, le traitement des informations, la présentation des traits spécifiques de l’oralité, il présente un corpus pour l’inventaire et/ou l’analyse des faits de langue. Les activités à propos de l’oral visent à approcher la dimension multicanale de la communication. Par ailleurs, l’apprentissage de l’écoute repose sur la construction du “paysage sonore” de la langue, selon l’expression d’Élisabeth Lhote447. Des activités de compréhension sont à relier à la perception : le rythme et l’intonation448 sont les deux principaux éléments qui aident l’auditeur à structurer le paysage sonore. De telles pratiques menées en apprentissage présentiel développent chez l’apprenant une compétence d’écoute/compréhension qu’il réinvestira lors de situations de parole autonome. C’est grâce à ces phases de réflexion sur la langue qu’il pourra construire sa compétence interactionnelle.

Notes
443.

Claude Abastado, Messages des médias, Cedic, 1980, p. 28.

444.

Comme cela a été montré dans des études déjà anciennes, principalement par Jean Mouchon et François Fillol, le matériau verbal s’analyse au niveau syntaxique, sémantique, prosodique et phonologique. Pour enseigner l’oral, Cedic, 1980, chapitres 2 et 3.

445.

Francis Vanoye et alii, Pratiques de l’Oral, A. Colin, 1981, p. 15.

446.

“Décrire et découper la parole”, BELC, 1982.

Jean-Louis Malandin, “Soixante minutes... soixante voix”, BELC, n¡52, 1984.

447.

L’auteur entend par paysage sonore l’intégration de séquences sonores variées dans une seule représentation mentale. Élisabeth Lhote, Enseigner l’oral en interaction, Hachette Coll. F, 1995, pp. 21-24.

448.

L’intonation a des fonctions multiples et E. Lhote a sélectionné celles qui contribuent à la construction du sens chez l’apprenant : la fonction démarcative, la fonction syntaxique, la fonction distinctive, la fonction expressive et la fonction communicative in Enseigner l’oral en interaction, pp. 152-155.