2. 3. Conclusion de la deuxième partie

Sans être prétendre à l’exhaustivité, l’étude du message audiovisuel à travers des documents télévisuels vidéo a tenté de montrer les potentialités de ces matériaux. Pour la commodité du travail, le message audiovisuel a été décomposé en deux parties, suivant les deux canaux visuel et sonore. La priorité a été donnée cependant au message visuel et à ses spécificités parce qu’elles sont généralement moins connues, les préjugés sont encore vivaces à l’encontre de l’image, et donc moins utilisées dans un cadre didactique. Pourtant, on assiste à un développement technique fulgurant de l’image avec les possibilités de numérisation. Elle peut investir tous les supports et, comme le son, être reproduite, modifiée à l’infini. Le cadre de l’analyse fait référence aux systèmes des signes tels que la sémiotique les a mis à jour, avec les particularités propres à l’image animée. De plus, il ne fallait pas perdre de vue l’adéquation entre la finalité informative et communicative du média et la finalité didactique imposée par l’apprentissage de la compétence de communication. Cela nous a conduit à aborder en premier lieu les spécificités scripto-visuelles sous l’angle du prélèvement d’informations. En effet, les signes scripto-visuels, c’est-à-dire les symboles présents dans l’image sous forme de mots, nombres, pictogrammes et schémas - sont généralement peu exploités, car leur lecture semble évidente, ce qui est trompeur. On dira que leur accès est plus simple pour un apprenant ou un spectateur, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de problèmes de compréhension. Leur décodage s’est révélé rapide et riche en apport d’informations : il permet à l’apprenant d’anticiper la compréhension du message verbal, et même d’aborder des messages complexes. On peut parler de fonction didactique des signes scripto-visuels qui condensent les informations et ont un fort potentiel interactionnel : ils facilitent au niveau cognitif le transcodage du code visuel vers le code verbal. De nombreuses activités de compréhension et expression orales ont été décrites à partir d’un enregistrement de cours sur le bulletin météo, elles ont stimulé diverses compétences chez les apprenants : organisationnelle en ce qui concerne les informations, hypothétique et interprétative pour la mise en relation image-verbal, discursive pour la compréhension du message global. Ce premier niveau sémiotique est particulièrement porteur avec des apprenants peu familiarisés aux messages audiovisuels. On remarque par ailleurs que les supports informatiques font largement appel au scripto-visuel et développent une lecture multidimensionnelle partagée entre les textes, les images et les sons.

Un deuxième niveau de signes visuels est composé par les signes iconiques qui regroupent les éléments statiques, mimogestuels, mais aussi le statut des locuteurs et les lieux. Il s’agit pour l’apprenant d’identifier par l’image le cadre énonciatif dans lequel est produit le message, d’apprendre à prélever des informations dans le décor où sont filmés les personnes, les vêtements qui traduisent le statut social et aussi dans le matériel non-verbal qui, inséparable du message verbal, le complète, et rend compte simultanément ou successivement du fonctionnement de l’interaction. Il a été montré combien la mauvaise lecture et la fausse identification des signes iconiques pouvaient amener l’apprenant à des contresens culturels et linguistiques. L’étude du regard dans la situation de communication médiatée est par exemple essentiel pour faire prendre conscience à l’apprenant de sa fonction de balisage et de régulateur dans la construction du discours et dans les interactions en général. De plus, l’étude des signes iconiques et des locuteurs lui donne la possibilité d’approcher le texte verbal par le biais du visuel, ce qui a pour conséquence de l’impliquer peu à peu dans le message, et de ne pas le rebuter par la difficulté de compréhension sonore. Enfin, les signes iconiques ont permis de mettre en évidence l’imbrication de plusieurs niveaux énonciatifs, propres au média : l’instance de production représentée par un énonciateur principal et des énonciateurs secondaires, un récepteur, téléspectateur natif, et un deuxième groupe de récepteurs-apprenants en situation didactique. Ces niveaux sous-jacents sont à la base de la médiation télévisuelle, ils révèlent l’organisation d’une instance sociale et le fonctionnement de la culture. C’est le moyen pour l’apprenant d’appréhender à travers la diversité des situations contenues dans les documents télévisuels des comportements culturels nouveaux et variés.

Un troisième aspect de l’analyse du canal visuel s’est portée sur les signes filmiques dont la connaissance n’est pas réservée au spécialiste de sémiologie, mais sont utiles à la fois au didacticien et à l’apprenant. Les signes filmiques ont en effet une fonction profondément didactique dans la mesure où ils donnent au message sa structure temporelle et narrative. C’est à partir de cette lecture que l’enseignant juge en premier de la cohérence du message et des difficultés de compréhension. C’est également en référence à la construction donnée par le montage que le spectateur interprète les séquences. On constate que l’apprenant, en fonction de ses habitudes audiovisuelles, éprouve plus ou moins de difficulté face aux changements de temporalité, à l’accélération du rythme des images, aux ellipses etc.... La compréhension du message repose sur des compétences visuelles de base du spectateur, qui demandent dans un cadre d’apprentissage à être clarifiées, car il s’avère que l’incompréhension peut naître d’une mauvaise perception avant d’être due à la méconnaissance de notions linguistiques. L’accélération des images est par exemple un facteur pouvant causer l’incompréhension d’une partie du message, sans prendre en compte le verbal. Pour reconstruire la linéarité des images interrompue et pour accéder au sens global du message, l’apprenant fait appel à ses capacités cognitives. Ce sont non seulement des compétences langagières qu’on exige de lui, mais aussi des activités d’attention visuelle, de mémorisation, de choix, de jugement et d’interprétation. Enfin, la dimension narrative de certains documents, notamment les spots publicitaires, a permis d’introduire la dimension écrite de l’apprentissage : la forme de saynète liée au genre fictionnel se prête bien à stimuler l’expression écrite et la créativité de l’apprenant.

Une quatrième dimension du message visuel a été étudiée qui met en oeuvre des compétences de décodage et d’interprétation plus culturelles que linguistiques, il s’agit des signes plastiques de l’image, principalement les couleurs et la lumière, l’espace. Leur reconnaissance qui se fait conjointement à celle des signes iconiques relève apparemment de l’évidence, mais pour apprendre une culture étrangère, l’apprenant est amené à dépasser une lecture naïve des images. L’exploitation d’extraits de films français a permis aux apprenants d’utiliser leur compétence langagière dans une nouvelle dimension, métacommunicative, et d’approfondir leur culture audiovisuelle à travers des thèmes interculturels. On a pu voir que les oeuvres de fiction se prêtaient particulièrement bien à la découverte des implicites culturels, et que cette lecture renforçait la motivation de l’apprenant pour la compréhension du niveau verbal, et pouvait même donner accès à la littérature.

Un dernier chapitre a été consacré à l’étude du message sonore qui a été séparé du message visuel par commodité, mais ils sont dans l’analyse interdépendants, et nous avons constamment renvoyé d’un système à l’autre. En nous intéressant au canal sonore de DTV, nous avons poursuivi les travaux menés sur la langue orale et les documents bruts, tout en montrant que les documents issus de média avaient des spécificités propres. Pour approcher un texte télévisuel, l’apprenant a d’abord pris conscience de la situation d’énonciation particulière : en effet, à la différence des interactions orales ordinaires, tous les partenaires de l’interaction ne sont pas en présence - cela renvoie au développement sur l’énonciation visuelle -, le récepteur auquel l’apprenant est associé n’est que virtuellement présent, il participe cependant à l’interaction et est impliqué dans l’énoncé. En ce qui concerne les discours, ils sont variés et sont liés d’une part au genre télévisuel (fiction, information, divertissement), et d’autre part au statut des locuteurs : le type de langue varie en fonction du locuteur, professionnel ou non des médias, spécialiste, ou témoin, la langue sera plus ou moins complexe, plus ou moins spontanée. Enfin, le cadre de réception va déterminer la participation du récepteur : à la différence du téléspectateur ordinaire libre de son écoute, l’apprenant est dans une situation d’écoute didactique, active et sélective. Si les émissions d’information et les Journaux télévisés se prêtent davantage à développer une compétence discursive, informative et intermédiatique, l’étude d’un autre type de texte, la chanson, allie langue et culture et, est davantage tourné vers l’expression. Les chansons présentes sous la forme de vidéo-clip apportent la nouveauté grâce à la multicanalité du message (musique, images, paroles et texte). Cet aspect a permis de mettre l’accent sur les relations intersémiotiques et a par exemple mené l’apprenant à développer une compétence intertextuelle ; c’est un enrichissement pour la compréhension linguistique et culturelle de l’apprenant qui met en relation les différents niveaux de sens, portés par les images et les paroles, mais compare aussi les types de textes entre eux : la rencontre de la langue écrite et orale se matérialise ici.

A partir de cette démarche de type sémiotique, l’apprenant apprend à reconnaître les signes de l’image et du son, à faire des hypothèses de sens et à les interpréter. Grâce aux interactions entre le message et le récepteur, l’apprenant s’approprie non seulement un contenu, mais surtout il prend conscience de son fonctionnement ; sa confrontation active le conduit peu à peu vers une réception autonome. Ces acquis cognitifs et ses connaissances sémiotiques seront réutilisées dans d’autres contextes, dans l’apprentissage autonome ou en situation d’immersion.