3.2.1.1. Circuit didactique - circuit médiatique

Nous reprenons les avancées de “la didactique de la rencontre interculturelle” initiée principalement par Wolfgang Bufe482 au département de Langues romanes de l’université de Sarrebruck - voir la première partie 1.2.3.3.-. Celui-ci insiste sur les apports mutuels de l’utilisation des deux médias télévision et vidéo dans l’apprentissage. Comme cela a été montré dans la deuxième partie, la fréquentation d’émissions télévisées dans la classe de langue développe chez l’apprenant prioritairement des capacités de réception et de compréhension de la langue des médias. Dans le cadre d’une formation à l’expression orale, la production vidéo semble le média le plus adapté. En effet, la démarche d’utilisation de la vidéo va créer un lien dialectique entre la “circulation didactique” (Didaktischer Kreislauf) et la “circulation médiatique” (Medienkreislauf), tout en restant dans un contexte d’apprentissage. Nous suivrons Louise Dabène483 dans sa présentation du contexte d’enseignement/ apprentissage : celui-ci ne se réduit pas à une simple opposition entre apprentissage formel en milieu institutionnel et acquisition informelle, sans intervention pédagogique. En effet, en milieu endolingue, les apprenants se trouvent en contact avec la langue enseignée et le milieu exerce donc une influence sur leur apprentissage/acquisition484. On peut parler de microsystèmes intermédiaires entre le milieu d’apprentissage et d’acquisition. Les apprenants sont pris entre ces deux pôles et l’apport pédagogique en est modifié : l’enseignant n’est pas le seul détenteur de la langue et du savoir. La réalisation d’interviews vidéo en milieu endolingue nous paraît être un de ces micro-systèmes et le moyen de relier deux types d’apprentissage : l’apprentissage formel et l’acquisition naturelle ou informelle.

Nous reproduisons le schéma de Wolfgang Bufe qui montre que :“la mise en parallèle du processus médiatique et du processus didactique insiste sur le fait que le travail avec les médias et les activités pédagogiques sont interdépendants.” 485

Phases Circulation médiatique Lieu d’apprentissage Circulation didactique
1. Introduction à la technique vidéo Scolaire Phase de projet : préparation orale
2. Réalisation d’un tournage Scolaire Réalisation d’un plan de synopsis
3. Reconnaissance des lieux Extra-scolaire Phase de préparation linguistique
4. Réalisation du tournage Extra-scolaire Phase de contact
5. Elaboration des matériaux Scolaire Phase d’évaluation
6. Insertion des documents dans la classe Scolaire Première phase d’action/réception
7. Circuit de distribution des documents vidéo Scolaire/ extra-scolaire Deuxième phase d’action/réception

L’expression “circulation” indique que la réalisation de films vidéo n’est pas une action ponctuelle, mais renvoie à un cycle d’activités développées dans ce tableau. Elles correspondent à sept phases que l’on peut caractériser ainsi : les phases 1 à 5 constituent la phase de développement, orientée vers la production; la vidéo est prise comme média de documentation (Video als Dokumentationsmedium). La phase de contact 4 est caractérisée par la rencontre entre les natifs et les non natifs. Les phases 6-7 ou phase d’action sont orientées vers le produit ; la vidéo est alors un média d’apprentissage (Video als Lernmedium). La phase d’action 1 renvoie à l’utilisation des documents vidéo directement par les apprenants concernés ; la phase d’action 2 est l’utilisation faite par des tierces personnes (diffusion publique par exemple sur une chaîne de télévision). A la différence de la stratégie de Wolfgang Bufe, les documents que nous présentons ici n’ont été produits qu’à des fins didactiques, et la phase d’action 2 concerne uniquement un public d’apprenants, ou de formés. D’autre part, si notre démarche est proche de celle de la rencontre interculturelle, elle s’en distingue aussi par le contexte d’enseignement et par les apprenants. L’utilisation de la vidéo ne sera pas conduite de la même façon si elle a lieu en France - lieu de l’apprentissage - que lorsqu’elle fait partie d’un programme d’échange ; ou bien encore d’un programme de rencontre avec des natifs à l’étranger. D’autre part, les apprenants forment dans notre cas un groupe multiculturel où la langue véhiculaire est obligatoirement le français. Là encore, on fera la différence entre la situation d’apprentissage en France et à l’étranger : lorsque le groupe est culturellement homogène, certaines activités peuvent être menées dans la langue maternelle, ou alternativement en français.

Ainsi l’initiation technique des apprenants a lieu obligatoirement dans la langue cible : la pratique et manipulation du matériel vidéo se fait avec l’assistance de techniciens français. C’est l’occasion d’un transfert de savoir-faire en langue étrangère (de nombreux étudiants ont déjà manipulé chez eux une caméra vidéo), seul le lexique spécifique sera nouveau. On remarque parfois le recours à la langue maternelle entre les apprenants, dans le cas où, par exemple, plusieurs étudiants japonais sont présents. Nous pensons que la langue maternelle n’est pas à exclure des activités, elle peut faciliter la communication et être une aide psychologique pour l’apprenant. On constate donc que la production de séquences vidéo donne lieu à plusieurs usages de la langue ; cet enrichissement langagier variera en fonction du lieu d’apprentissage, du niveau des apprenants, mais aussi des phases didactiques et filmiques. Pour sa part, Wolfgang Bufe distingue quatre niveaux d’usage de la langue pour un public d’apprenants allemands qui peuvent aussi convenir à la situation d’apprentissage en France :

  • 1. Langue maternelle (L1) des native speakers

  • 2. Langue de travail des apprenants (L2) (étudiants ou formés)

  • 3. Langue informelle quotidienne en prise de son on en L1 comme en L2

  • 4. Langue formelle de type oralisation en prise de son off (commentaire) en L1 et L2

Nous n’avons pour notre part pas utilisé la prise de son off (qui correspond au niveau 4) car les enregistrements son ont toujours été synchrones des images. L’utilisation de matériel vidéo brut présente l’avantage d’un investissement réduit et suffit à un usage dans un milieu d’apprentissage. Cependant, un usage plus documentaire de civilisation nécessitera une forme plus élaborée, proche de la réalisation d’un film (commentaire, plans de coupe, etc.).

Notes
482.

Wolfgang Bufe, “Alternativer Fremdsprachenunterricht” : Videointerviews vor Ort”. In: Bufe, Deichsel & Dethloff, (eds). Fernsehen und Fremdsprachenlernen. Tübingen, G. Narr, 1984, pp. 209-309.

Wolfgang Bufe, “Autonomes Fremdsprachenlernen im Realkontext mit Hilfe von Video”. Fremdsprache und Hochschule 23, pp. 12-21. Wolfgang Bufe, “Videogestützter Fremdsprachenunterrricht : Von der Medienrezeption zur Medienproduktion”, Der Fremdsprachliche Unterricht 10, 1993, pp. 4-12.

483.

Louise Dabène, Variations et rituels en classe de langue, LAL Hatier, 1990, pp. 9-10.

484.

Krashen a établi la distinction apprentissage-acquisition de la façon suivante : l’acquisition est un processus implicite, inconscient axé sur le sens. Si acquisition est synonyme d’apprentissage informel, l’apprentissage est vu comme un processus explicite, conscient, axé sur la forme linguistique ou la grammaire(voir 1.2.4.1.).

S. D. Krashen, Second language Acquisition and Second Language Learning, New York, Pergamon Press, 1981.

485.

Wolfgang Bufe, “Videogestützter Fremdsprachenunterrricht : Von der Medienrezeption zur Medienproduktion”, op. cit., p. 7.