3.2.2.3. L’interculturel

Chaque apprenant a une pratique propre de la langue, une expérience particulière de l’apprentissage formel et de l’acquisition informelle : certains apprenants débutants n’ont par exemple aucun contact avec des Français pendant leur séjour en France en dehors des cours. Un facteur important lié au contexte institutionnel est celui de la durée du déroulement du cours : un cours semestriel ou un cours intensif de quatre semaines ne donnera pas les mêmes temps de préparation et de réalisation. On peut voir des avantages à un travail produit dans une période assez courte, mais le contact des apprenants avec l’environnement et l’apport informel lors d’un cours intensif est généralement moins grand, faute de temps ! Nous voudrions également insister sur la dimension socio-culturelle des interviews qui au-delà d’un simple exercice de style provoquent pour ces étudiants des contacts avec le milieu français. Ces échanges peuvent initier des relations en dehors du milieu d’apprentissage, ce qui nous semble être la condition minimale pour développer une réelle compétence de communication orale.

Différentes décisions sont laissés à l’apprenant qui tendent à montrer son implication dans la langue et la communication : “‘l’implication est le phénomène qui se produit quand le sujet penche vers le pôle de la personne’”.494 Il s’agit en premier du choix des personnes à interviewer, puis des thèmes à aborder. Les apprenants s’adressent dans un premier temps (lorsqu’il y a plusieurs séries d’interviews) à des personnes qui sont susceptibles de leur ressembler, et qui se trouvent dans un lieu familier, l’université : ce sont des étudiants français, ou parfois étrangers, lorsque le niveau de langue est débutant ; mais ils choisissent aussi des enseignants, ou des personnes de l’extérieur : dans la rue ou sur leur lieu de travail, par exemple des commerçants ayant un magasin proche de l’université. Certains apprenants, engagés dans la vie active, choisissent délibérément quelqu’un de jeune, proche de leurs préoccupations ; ils souhaitent avoir des contacts avec des natifs issus du même milieu professionnel, ce qui détermine aussi le choix des thèmes de l’interview. D’autres préféreront une tranche d’âge différente, âgée par exemple qui leur apportera d’autres éclairages sur le mode vie français. Des interlocuteurs dépendra en grande partie le contenu de l’interview, et en fonction de leur statut social, de leur âge et de leur sensibilité, ils offriront une variété de discours et de réactions qui réservent toujours des surprises.

Le choix des thèmes est en partie conditionné par le choix des personnes : ils doivent répondre à la fois aux préoccupations des apprenants et à celles des interviewés (sujets sur lesquels ils pourront répondre). Pour la rencontre avec des étudiants, sont proposés des thèmes d’ordre général sur les études, la vie universitaire et à Lyon, mais aussi le cinéma, la presse... D’autres apprenants de niveau de langue intermédiaire veulent aborder des questions plus personnelles comme la famille, ils souhaitent par exemple savoir s’il est possible de concilier des études avec une vie de famille ; ils attendent des explications sur le fait d’être fumeur ou ce que représentent les fêtes de Noël ou de Pâques. Ceci s’explique par le fait que certaines interviews se situent à proximité de ces fêtes, et que la plupart des étudiants vont passer ces fêtes pour la première fois en France. Leur désir de connaître la signification culturelle de ces fêtes ressort des interviews (par exemple Noël est également fêté au Japon, mais sans la dimension chrétienne qu’on connaît en Europe). Pour les rencontres à l’extérieur, il y a aussi le désir de connaître le milieu du travail et la réalité sociale. Au travers de questions sur la profession, les horaires, la clientèle, on remarque les rapprochements interculturels faits par les apprenants a posteriori entre les activités d’une boulangerie en France, en Pologne et au Japon. A travers l’exemple qui suit, on remarque, lors de la rédaction du script, le désir de cette étudiante japonaise de rencontrer des Français et de faire référence à son pays au cours de l’interview, en gras dans la transcription.

Le choix de développer quelques idées sur les ressemblances/différences socioculturelles entre le Japon et la France est une preuve de son implication personnelle dans l’interview. Au-delà d’une rencontre interpersonnelle s’affirme ici la dimension interculturelle de la communication. L’apprenant veut présenter une certaine image de la société japonaise et la confronter à celle des Français, il attend en retour que le locuteur français lui permette, par ses propos, de mieux connaître “l’identité nationale” française. Cette idée, développée par Ladmiral et Lipiansky dans La communication interculturelle 495, ne peut être approfondie ici, mais tend à montrer la complexité de la situation à laquelle l’apprenant se trouve confronté : derrière les mots, on rencontre des images, des clichés, des représentations individuelles et collectives, dont le locuteur ne mesure pas toujours la portée.

Enfin, le lieu de l’enregistrement et le contexte jouent un rôle dans le déroulement de l’interview. Wolfgang Bufe496 a relevé la différence entre deux lieux d’enregistrement : le fait que la scène se passe à l’extérieur (lieux publics, dans un parc, dans la rue, sur un marché) ou à l’intérieur (magasins, administration) donne à l’interview un caractère plus ou moins anonyme ou familier, ou officiel. Ainsi le choix de rester sur le campus universitaire est associé pour les apprenants à un lieu familier, ce qui est d’un point de vue psychologique rassurant. Il est intéressant de mesurer leur adaptation linguistique et thématique au contexte, nous verrons dans la réalisation comment l’apprenant parvient à s’intégrer plus ou moins, comment les thèmes choisis évoluent parfois au cours des interviews en fonction des contraintes extérieures. Les réactions face à une situation imprévue peuvent tendre vers la curiosité de s’informer ou vers l’appréhension. Mais cette part d’improvisation fait partie de la forme même de l’interview.

Notes
494.

M.-C. Lauga-Hamid et alii, Variations et rituels en classe de langue, LAL, p. 57.

495.

Jean-René Ladmiral, Edmond Marc Lipiansky, La communication interculturelle, Armand Colin, Paris, 1989.

496.

Wolfgang Bufe, “Alternativer Fremdsprachenunterricht : Videointerviews vor Ort”, op. cit., pp. 248-249.