3.2.4.1. La phase d’écoute et d’évaluation

Un premier visionnement intégral du film brut peut avoir lieu juste après le tournage, à la demande des apprenants : ils éprouvent le besoin de regarder le résultat, et de procéder à une auto-évaluation. Ce moment est psychologiquement important et il revient à l’enseignant de montrer l’aspect positif du résultat et dans quelle mesure la communication est réussie, au-delà des imperfections linguistiques et techniques. Les apprenants peuvent également apporter des informations et des réactions à chaud sur les enregistrements. Ainsi, quelques remarques sur la caméra qui bouge parfois, sur le son, mouvements de micro, bruits extérieurs), sur l’attitude de certains (timidité à se montrer, difficulté d’une formulation), sur les interviewés (gentillesse, coopération, rapidité du débit ...). Cela permet d’une part d’amorcer la réflexion sur les processus langagiers et de produire un méta-discours sur l’interview en tant que produit fini.504 D’autre part, les apprenants peuvent exprimer à la fois leurs sentiments de satisfaction, par exemple d’avoir “osé” s’engager, et leurs craintes vis à vis des difficultés rencontrées en langue étrangère ou leurs impressions sur la rencontre avec des natifs.

Il est important que les apprenants prennent conscience de l’enjeu pédagogique de la phase de réception du document vidéo pour l’apprentissage. En effet, le visionnement et l’écoute des enregistrements prolongent le circuit didactique, ils vont permettre la réflexion sur la langue qui n’est pas possible lors de l’interaction. Le visionnement des matériels bruts peut suivre l’ordre de la production, il peut aussi être l’occasion d’une nouvelle organisation des contenus. Il s’agit alors d’un premier niveau d’appropriation de la production vidéo que les apprenants réalisent en sélectionnant des séquences, en en laissant d’autres de côté. Les avantages du magnétoscope sont ici indéniables, allant de la décomposition du message plan par plan, ou en suivant les tours de parole, ce qui permet de s’arrêter sur la partie qui pose problème à l’apprenant. Le rôle de l’enseignant est d’attirer l’attention des apprenants sur les critères d’auto-évaluation : en effet, l’apprenant ne doit pas considérer cette phase comme une critique de ses compétences ou comme une mise en valeur de ses échecs. Il doit pouvoir se rendre compte que l’évaluation est un outil de vérification, notamment grâce à l’image, et qu’elle fait partie intégrante du processus d’apprentissage.

Un autre point à souligner concerne l’évaluation linguistique qui n’est pas le seul critère de réussite, l’évaluation communicationnelle est tout aussi importante : l’apprenant a-t-il réussi à obtenir la participation d’un locuteur natif, à s’engager dans l’interaction pour obtenir des informations, sont-elles suffisantes ?... La réussite de l’acte de communication ne dépend pas uniquement des compétences linguistiques, mais aussi de la difficulté d’interaction. Avec des étudiants de niveau avancé qui savent poser clairement des questions, on s’est attaché à observer l’adéquation des questions et des réponses entre les interlocuteurs, et ensuite à mesurer le degré d’inter-compréhension des apprenants.

  • I, 2, A (apprenant), N1 et N2, deux étudiantes françaises ; début de l’interview :
    1 A -qu’est-ce que vous faites ici comme études’
    2 N1- moi je fais sciences po
    3 A -pardon’
    4N1 -sciences po sciences politiques c’est l’institut là-bas de l’autre côté (vaste geste du bras) des quais (o) elle aussi
    5 A -oui d’accord (regard vers l’autre étudiante) qu’est-ce que vous allez faire après vos études’ comme métier ’
    6 N2 -euh dans l’adm être fonctionnaire dans l’administration dans les ambassades
    7 A -ah oui
    8 N2 -ça va’
    9 A - oui (changement de regard) et vous’
    10 N1 - moi ou journaliste ou prof d’histoire je sais pas encore
    11 A -d’accord

Dans ce premier exemple, l’étudiante taïwanaise qui interviewe deux natifs est face à une interaction à trois, plus complexe à gérer. Elle montre des capacités d’interprétation et négocie bien la symétrie des tours de parole ; on remarquera aussi de la part du natif la volonté de coopération contenue dans le “ça va ?” Cependant, des difficultés apparaissent clairement au niveau référentiel (“sciences po”, “l’institut là-bas”, ‘dans l’adm être fonctionnaire dans l’administration”) : le locuteur natif essaie au niveau linguistique d’expliciter son discours par des précisions, mais la difficulté se situe surtout pour l’apprenant au niveau des connaissances culturelles supposées. Nous rejoignons le point de vue de Claire Kramsch à propos des activités langagières et de leur difficulté qui correspond à leur degré de complexité : de la difficulté d’interprétation et de négociation la plus simple, lorsque le thème est dirigé et les tours de parole distribués par l’enseignant ; à la plus complexe par exemple dans l’interview : en effet il faut “négocier le thème, les tours de parole entre deux ou plusieurs interlocuteurs symétriques ou asymétriques mais dans des limites de conventions socioculturelles données.”505 On pourra dans cette phase juger des capacités de l’apprenant à s’adapter à la situation de discours et lui apprendre à s’autoévaluer. Le groupe peut aussi apporter sa contribution à une évaluation plus objective. Il est en effet beaucoup plus facile pour les apprenants de réagir à leurs propres productions parce que, comme cela a été dit, les intérêts et les besoins des apprenants ont été intégrés dans la tâche didactique. Wolfgang Bufe insiste sur la différence entre le travail avec la production vidéo et une émission de télévision où l’apprenant dispose de peu de matériels complémentaires et d’aides à la réception.506 On retiendra surtout que dans le cas d’une émission de télévision, les interférences avec les apprenants seront moins grandes car il s’agit d’un point de vue didactique du “décodage adéquat du texte télévisuel” ; alors que dans le cas de la réception de production vidéo, il y a intégration des apprenants, elle réside dans “la réalisation fidèle de l’idée du film”.

Notes
504.

On peut même envisager ici d’intégrer ces moments de réflexion sur la communication au film pour lui donner une autre dimension, plus orientée vers l’apprentissage.

505.

Claire Kramsch, Interaction et discours dans les classes de langue, Hatier-Crédif, LAL, 1984, p. 101.

506.

Il existe depuis 1997 pour la chaîne de télévision TV5 des matériaux d’accompagnement sous forme de fiches pédagogiques. Cet aspect sera repris dans le chapitre 3. 3. avec le matériau multimédia.