3.3. Le Centre de Ressources : rencontre de la didactique et de la technologie

Le courant post-communicatif, tout en suivant l’évolution technologique des médias d’enseignement - présentée dans la première partie de ce travail - notamment le développement de l’apprentissage des langues assisté par ordinateur (ALAO), va évoluer d’un point de vue méthodologique de la théorie de l’enseignement/apprentissage vers celle de l’apprentissage/acquisition. Il s’agit en effet d’inclure l’apprenant dans l’apprentissage et de le rendre autonome513. On peut rappeler les différentes expériences des années 80, menées notamment dans les Eurocentres en Grande-Bretagne et en Suisse514 et au CRAPEL de Nancy, pour tester l’approche de l’autonomie dans des contextes et avec des publics différents. La prise en compte des besoins d’apprenants adultes amène peu à peu les instituts de formation à mettre en place des centres d’auto-apprentissage ; on pense ici à l’expérience menée à l’Institut Français de Barcelone515. Les institutions universitaires et les Centres de F.L.E.. se trouvent confrontés à un double problème d’ordre à la fois économique et humain : il faut répondre à l’augmentation des demandes de formation en langues étrangères et suivre l’évolution des technologies d’enseignement basées sur les outils vidéo et informatiques garantes de la modernité, mais qui nécessitent de lourds investissements. La question est de savoir dans quelle mesure les nouvelles technologies vont répondre aux attentes des apprenants et des enseignants: est-ce que la création de salles multimédias ou de médiathèques - ou encore de “self-access resource centres”, ce sont les centres de ressources d’aujourd’hui créés pour l’auto-apprentissage - va faciliter l’apprentissage de la langue ; l’utilisation des médias technologiques en contexte autonome exige-t-elle encore la présence d’enseignants et/ou de nouveaux savoir-faire de leur part ? Enfin, d’un point de vue purement didactique, l’utilisation de supports faisant appel à la fois à l’image animée vidéo et informatique, c’est-à-dire des images analogiques ou de synthèse516, soulève de nouvelles questions : les médias issus de la technologie sont-ils plus communicatifs que les autres supports, dans quelle mesure prennent-ils en compte les notions de “centration” sur l’apprenant, ou d’ “autonomie” de l’apprenant.

Avant d’analyser en situation les changements qu’entraînent ces modes d’apprentissage, il nous faut revenir sur le concept d’autonomie en didactique tel qu’il a été défini par Henri Holec517. Les travaux du CRAPEL ont largement contribué à faire avancer la réflexion dans ce domaine, et selon les pratiques, on prête plusieurs interprétations au concept d’autonomie. Une première signification est celle d”indépendance” de l’apprenant qui utilise (ou “consomme”) des matériels d’apprentissage à sa guise, éventuellement dans un centre de ressources qui met à disposition divers matériaux. Pour d’autres, l’autonomie est la responsabilisation de l’apprenant : il est devenu un être actif qui prend des décisions concernant son apprentissage, seul ou en coopération avec d’autres. Enfin, une troisième définition signifie “capacité d’apprendre” : est autonome celui qui sait apprendre. Les pratiques qui sont mises en place visent à l’autonomisation de l’apprenant, c’est-à-dire au développement de sa capacité d’apprendre. Mais reconnaître que l’autonomie de l’apprenant devient le but de l’apprentissage n’est pas sans entraîner de profondes modifications dans le triangle didactique traditionnel : apprenant, support de la langue et enseignant. Ne pouvant ici envisager tous les aspects de la démarche autonome, nous voulons cerner les changements d’ordre communicatif qu’entraîne l’apprentissage en autonomie dans le cadre d’un Centre de ressources, car il représente la forme la plus appropriée à cette orientation. Trois points nous paraissent essentiels et vont être abordés successivement : d’une part, la modification de la situation d’apprentissage et son intégration plus ou moins difficile dans un cursus d’apprentissage de la langue ; d’autre part, les ressources mises à la disposition de l’apprenant ne peuvent pas être les mêmes que celles utilisées lors d’un enseignement/apprentissage et nécessitent une adaptation du matériel. Enfin, une réflexion sur le rôle de médiateur de l’enseignant permettra de voir comment il évolue vers celui de conseiller.

Notes
513.

Nous rappellerons la place réservée à l’apprentissage dans une méthode comme Cartes sur table : des suggestions aident l’apprenant à réfléchir à ses problèmes d’apprentissage, à conquérir peu à peu une autonomie. René Richterich, Brigitte Suter, Cartes sur table 1 et 2, Paris, Hachette, 1981 et 1983.

514.

“Promoting Learner autonomy through fluency activities”, D. Ferris, Eurocentre Bournemouth ; “Observation checklist” B. North, Eurocentre Bournemouth ; “Analyse des besoins et autoévaluation”, B. Suter, Eurocentre Lausanne in Autonomy and self-directed learning : present fields of application, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1993, pp. 94-104.

515.

Expérience menée par Brigitte Albéro et Marie-José Barbot entre 1988-92 relatée dans l’article “Mise en place d’un centre d’auto-apprentissage en contexte institutionnel”, Le Français dans le Monde Recherches et Applications, Les auto-apprentissages, 1992.

516.

L’informatique permet dans un premier temps de traiter, de manipuler les images analogiques, et dans un deuxième temps de créer des images : c’est “la synthèse d’images” qui fait suite à la synthèse de textes, l’inscription sur un écran de télévision par générateur d’écriture.

517.

Henri Holec, Autonomie et apprentissage autodirigé, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1988.

“Qu’est-ce qu’apprendre à apprendre”, Mélanges pédagogiques, CRAPEL, 1990, pp. 75-85.