La mise en place de nouveaux cadres d’apprentissage ne peut se faire qu’en fonction des trois acteurs pris dans le processus de formation, à savoir l’institution, l’apprenant, et l’enseignant. Les rôles et fonctions de chacun des acteurs varieront en effet selon le contexte institutionnel, le public d’apprenants, captif ou non, les attentes et les motivations des apprenants - sans prendre en compte à ce niveau le profil de l’apprenant -, les objectifs d’apprentissage, liés à un cursus d’enseignement ou non. L’adulte suivant une formation en langue pour un besoin professionnel aura d’autres exigences que l’étudiant/l’élève qui “doit” suivre des cours de langue ou que l’étudiant étranger qui apprend le français dans une université française. Dans le premier cas, l’apprenant peut être tenté par une démarche d’apprentissage en autodidaxie car les produits d’éditeur sont nombreux518, même si l’apprenant n’est pas toujours apte à juger de l’adéquation entre les produits proposés et ses besoins. Il a en effet de nouvelles exigences : suivre des cours est parfois considéré comme un investissement de temps trop long, il a des demandes très précises et individuelles. Dans le deuxième cas, l’étudiant est pris dans un cursus où l’enseignement de la langue est obligatoire : il s’agira alors de remotiver l’apprenant face à la langue, de proposer des formules autres que celles de l’enseignement traditionnel - limité souvent à celui de la grammaire - où celui-ci sera confronté avec la réalité étrangère. Enfin, l’étudiant étranger cherche souvent les moyens de parvenir rapidement à un niveau de langue qui lui permette par exemple de suivre des cours avec les étudiants français.
Dans le cadre de l’enseignement des langues en milieu universitaire, les institutions ont répondu à ces immenses et divers besoins de formation en langue par la création de lieux de formation spécialisée dans l’apprentissage des langues : les Centres de Langues regroupent les différentes langues étrangères dans un lieu adapté à ce type d’enseignement. C’est, par exemple à l’université Lyon2, la création d’un espace qui comprend à la fois un Centre de ressources mettant à disposition “‘de la documentation, du matériel didactique et les dispositifs techniques nécessaires aux nouvelles technologies éducatives’”519. C’est aussi un Centre de formation de formateurs, un Centre de recherche et de réflexion en linguistique appliquée à la didactique des langues, et un Centre de conception et d’expérimentation didactique.
Le principe de base et la nouveauté pédagogique de ces centres est de créer un espace où les étudiants viennent travailler en auto-apprentissage selon leurs objectifs. En s’appuyant sur le principe de l’autonomie de l’apprenant théorisé par Henri Holec, les Centres de Ressources vont offrir aux apprenants les conditions qui vont permettre son autonomisation. En effet, comme le souligne Henri Holec, leur objectif est double : “permettre aux apprenants d’apprendre à apprendre tout en apprenant une langue”520. Pour cela, ils doivent s’insérer dans un “service d’apprentissage” : les Centres mettent à disposition des apprenants “un service de conseil” (sous la forme de conseillers ou de documents écrits, sonores ou vidéo). Ce lieu du ‘hardware’ électronique et du software est “‘mis à la disposition des apprenants sans mode d’emploi prédéterminé’”. Enfin, une dernière condition nécessaire au bon fonctionnement est d’assurer une formation à l’apprenant pour qu’il sache se servir du Centre.
Au niveau du fonctionnement, on trouve généralement les différents pôles d’apprentissage qui englobent les compétences écrites et orales, mais on s’aperçoit qu’une place plus importante de l’espace est réservée aux outils technologiques. Ainsi dans le Centre de Langues de Lyon 2, deux espaces d’apprentissage (sur les trois disponibles) sont réservés au multimédia et à la vidéo : la salle multimédia équipée de trente ordinateurs qui donne accès à l’Internet, au courrier électronique ainsi qu’aux méthodes d’apprentissage sur CD-Rom. La salle audiovisuelle avec des postes de télévision et des magnétoscopes multistandard permet de travailler seul à partir des télévisions étrangères captées par satellite ou d’enregistrements vidéo. Et la salle de documentation est le troisième lieu où les étudiants trouvent les ouvrages classiques (dictionnaires, méthodes, manuels de grammaire...), des journaux et magazines en langue étrangère. Par ailleurs, on remarque la volonté d’ouvrir le Centre de langues à un nombre d’étudiants le plus grand possible pour leur offrir une formation “en langue”. A ce niveau, il est intéressant de constater que l’idée de faire se côtoyer différentes langues est certainement un élément motivant pour inciter les étudiants à venir au Centre. Ainsi, les nombreux étudiants étrangers qui fréquentent l’université française pourront proposer leurs compétences et leurs services en langue maternelle pour du tutorat, et ils pourront en contrepartie entrer facilement en contact avec les francophones.
A Strasbourg, l’université Louis Pasteur521 a davantage cherché à affirmer le lien entre la langue et la discipline, ainsi l’UFR de Sciences physiques possède cinq Centres de langue. Au sein de celui-ci, on trouve le Centre de Ressources composé de cinq espaces de travail correspondant aux différents pôles d’apprentissage : l’écrit, l’audio, la vidéo-TV qui inclut des films didactiques (des travaux pratiques ou des conférences en langue étrangère) et des méthodes, ainsi que les télévisions étrangères par satellite ; les TIC, et l’expression orale sous forme de conversation avec des natifs. Cela permet réellement à l’apprenant de travailler toutes les compétences.
Enfin, il ne faut pas oublier que l’apprenant a besoin d’une formation pour qu’il sache se servir du Centre. La formation est parfois constituée de séances en tutorat qui préparent les étudiants à l’apprentissage en autonomie, et, comme à Lyon2, pendant l’année de séances d’auto-apprentissage libre et guidé sur postes audiovisuels et/ou multimédias. Quelques cours plus collectifs avec la présence d’un professeur sont aussi prévus, ils mettent l’accent sur une compétence orale par exemple, mais le choix du contenu est laissé à l’apprenant. Il ressort donc que l’étudiant choisit librement son mode de travail, les outils didactiques et qu’il établit son programme en fonction de ses besoins.
Dans les Centres de F.L.E., la question se pose de savoir comment intégrer l’apprentissage en autonomie au cursus d’enseignement/ apprentissage, quels liens créer entre le Centre de Ressources et les cours en présentiel. Une formule consiste en un accès libre pour les étudiants aux matériels dont dispose le centre : écrits, audio et vidéo, multimédia, pédagogiques ou authentiques, avec un encadrement pédagogique. De plus en plus d’institutions522 proposent ainsi, en plus des cours de langue, l’accès à un Centre de ressources où l’étudiant étranger trouve la possibilité d’un apprentissage individuel, aussi bien en complémentarité des cours que comme activité de découverte. Mais l’inconvénient de cette voie est que beaucoup d’apprenants ne font pas la démarche volontaire de venir apprendre en autonomie, soit parce qu’ils n’en voient pas l’utilité, soit par manque de disponibilité. Il est donc préférable de prévoir dans le cursus général un passage nécessaire par le Centre de Ressources, c’est-à-dire de l’inclure dans le programme d’enseignement/ apprentissage et de le valider. Un projet-pilote est sur ce point innovant, il s’agit d’une collaboration étroite entre l’université de Brême, l’Institut français et l’Instituto Cervantes pour l’apprentissage du français et de l’espagnol pour des étudiants non-spécialistes. Les deux Instituts prennent en charge tout le cursus d’apprentissage, à cet effet deux Centres de Langues et d’auto-apprentissage ont été créés. A la différence des autres Centres de langues, la formule repose sur un schéma d’apprentissage qui tente de prendre en compte tous les types d’interactions : en groupe, l’apprentissage est de type semi-directif, et en individuel, c’est un apprentissage autodirigé. Le principe de base méthodologique est l’autonomie, l’apprentissage se fait autant dans les cours qu’au Centre d’auto-apprentissage que les étudiants fréquentent pour mener différentes activités : chercher des documents et des supports variés pour la réalisation d’un exposé, mettre en pratique des techniques d’apprentissage523 (lecture de texte, compréhension de l’oral, recherches à l’aide d’outils spécifiques). Il est apparu ici essentiel d’instaurer une continuité entre les cours et le Centre d’auto-apprentissage, notamment par le biais de documents communs qui sont utilisés dans les deux situations. Mais aussi par l’intermédiaire du professeur et/ou du conseiller : nous reviendrons dans le chapitre suivant sur le rôle du professeur ainsi que sur les autres moyens d’assurer la circulation entre la classe et le Centre d’auto-apprentissage.
Le Centre de Ressources est alors un lieu qui va favoriser les échanges et la réflexion de l’apprenant sur son apprentissage : parce qu’il y a rupture de la situation pédagogique traditionnelle, par le changement de lieu et le changement de rythme, par l’apport de nouveaux modes de travail, individuel ou en tandem, par l’absence du contrôle direct d’un professeur, mais la présence d’un spécialiste de l’apprentissage, tout cela permet à l’apprenant d’avoir un rôle actif. Les conditions sont réunies pour lui permettre d’organiser son apprentissage et de s’interroger sur le “quoi” apprendre et le “comment” apprendre.
Après les méthodes vidéo, ce sont les CD-Rom qui offrent aux apprenants du matériel pédagogique : Je vous ai compris 1,2,3, Neuroconcept, Deutsch ganz klar, Neuroconcept ; LTV-Français, Jériko (compréhension de l’oral) ; des CD-Rom ludiques grand public, destinés ou non à l’apprentissage de la langue : histoire, peinture, actualité ...
Le Centre de Langues de l’Université Lyon2 conçu en 1991 a été expérimenté dès 92 lors d’une opération pilote visant à proposer aux nouveaux étudiants non-spécialistes en DEUG des enseignements intensifs de prérentrée, puis extensifs en autonomie guidée ; 1250 étudiants étaient concernés, la moitié des étudiants de première année est l’objectif à atteindre sur un effectif de 4000 environ.
Henri Holec, Autonomie et apprentissage autodirigé , op. cit., p. 10-11.
L’Université de Strasbourg est depuis 1991 Pôle Universitaire Européen et la mobilité des étudiants non linguistes entraîne de nouveaux besoins en langues.
Le Centre International d’Études Françaises de Lyon 2 offre à ses étudiants depuis février 98 un libre accès d’une salle audio et vidéo où ceux-ci viennent travailler les compétences orales en la présence de tuteurs. Un premier bilan de l’expérience montre qu’il est nécessaire de préparer les étudiants à un apprentissage autonome et ce d’un double point de vue : à propos de l’utilité/validité d’un tel apprentissage (encourager les initiatives et aider à prendre conscience de son apprentissage avec et sans professeur), et de la nécessité d’un encadrement, d’une personne ressource qui est un guide, qui instaure une relation pédagogique personnalisée (aide à l’apprentissage et à l’évaluation).
Des cours de français pour les études et la profession fonctionnent à moitié en enseignement présentiel à moitié en apprentissage auto-dirigé.