Destiné à la fois à des apprenants autonomes et aux instituts de formation, le système multimédia Vifax 530 s’adresse à tous ceux qui désirent perfectionner leur compréhension orale. A partir de journaux télévisés enregistrés quotidiennement des télévisions par satellite, Vifax propose des matériels d’accompagnement, élaborés par des universités en vue d’une utilisation en auto-apprentissage. Il est possible à un ou plusieurs apprenants de langue en auto-formation de recevoir deux à trois fois par semaine des exercices écrits pour développer la compétence de compréhension. Un abonnement permet de recevoir dans la journée, par fax ou par courrier électronique, les exercices ainsi que le corrigé portant sur l’enregistrement vidéo en langue étrangère effectué quelques heures auparavant. Comme l’explique Michel Perrin, le concepteur de Vifax, il s’agit pour l’apprenant de se confronter individuellement à la langue dans sa globalité et son authenticité. Mais une médiation didactique est nécessaire sous peine d’être submergé par cette globalité : le matériel d’apprentissage est donc pré-construit. Cependant, les instructions méthodologiques données à l’apprenant concernent seulement les activités de compréhension et pas du tout la “culture d’apprentissage”531. Le document d’accompagnement que nous reproduisons ci-dessous sert de guidage, il est à lire par l’apprenant avant tout visionnement de l’enregistrement vidéo ; mais il concerne surtout les consignes de travail, l’ordre des exercices à respecter ou l’utilisation du corrigé à la fin du travail, et reste insuffisant.
Les concepteurs semblent oublier que la plupart des apprenants ont des habitudes spectatorielles en langue maternelle et ont donc rarement pu acquérir des compétences de lecture/compréhension en langue étrangère. Le guide méthodologique nous semble pourtant un point essentiel pour développer chez l’apprenant une autonomie de l’apprentissage : pour éviter primo que l’apprenant ne considère la lecture des images comme évidente, pour que secundo il prenne conscience de l’aide à la compréhension que peut apporter le canal visuel et qu’il apprenne à repérer les difficultés sonores du document (en pratiquant l’écoute active que nous allons développer ci-dessous) ; pour que tertio il tire profit des corrigés, notamment de la transcription, et soit capable d’une auto-correction au moins partielle.
Le premier point que toute démarche d’apprentissage doit prendre en compte est la préparation de l’apprenant à la réception du message oral et visuel. La psycholinguistique a mis en évidence le rôle et le poids des connaissances linguistiques et des habitudes en langue maternelle sur l’attente perceptive. Ceci est d’autant plus important dans le cadre d’un apprentissage autonome où l’apprenant pourra décider du sujet sur lequel il va travailler, ou choisir un type d’énoncé plutôt qu’un autre. Par exemple, un cours enregistré dans sa discipline éveillera d’autres attentes qu’un sujet économique ou sportif du Journal Télévisé. L’apprenant a toute latitude pour choisir un thème qui lui est proche, qui fera appel à ses connaissances antérieures, ou bien un sujet moins familier impliquant une préparation à une réception particulière. Pour aider l’apprenant dans le choix d’un document, c’est la lecture de la fiche d’identification qui va lui apporter des informations. Il ne s’agit pas tant de donner des renseignements thématiques que d’établir des repères valables pour tout document, qu’il soit sonore, vidéo, informatique. Certains critères sont déterminants comme l’origine du document (pédagogique /authentique), la durée de celui-ci ou la présence/absence d’images car ils vont influencer les activités de lecture et de compréhension : l’apprenant ne réalisera pas le même travail avec un extrait de Journal Télévisé de cinq minutes ou avec son intégralité. Voici les critères qui nous paraissent significatifs lors d’une utilisation dans un cadre d’auto-apprentissage :
SUPPORT ORIGINE |
sonore/vidéo/CD-Rom, titre du document pédagogique/authentique, source, date de diffusion, durée /extrait |
GENRE |
émission avec/sans public, journaliste ou présentateur, invités documentaire, information, fiction, variétés, apprentissage |
THÉMATIQUE |
informations internationales/ nationales/ locales société, littérature, histoire, géographie, arts, chanson, sport exercices de phonétique, grammaire |
MOTS-CLEF |
vocabulaire spécifique selon document titres à l’écran |
DIFFICULTÉ |
complexité sonore : nombre de locuteurs, débit rapide (+++), commentaire, aides didactiques complexité visuelle : textes et/ou images, scripto-visuel, soutien de la compréhension (+++), aides didactiques |
La lecture de la fiche de présentation du document permet à l’apprenant d’effectuer les premiers repérages en croisant les spécificités du document, contenues dans la fiche, avec ses objectifs d’apprentissage. Ainsi il confrontera sa motivation et ses intentions didactiques (s’informer sur, s’entraîner à...) à la complexité du document, grâce aux indications sur la situation de communication médiatique (le genre télévisuel, le nombre de locuteurs, la durée), le contexte thématique (social, historique, culturel).
Une fois le document choisi, la préparation au visionnement s’effectue de façon très individuelle ; elle est marquée d’une part par l’absence du professeur qui donne habituellement des repères linguistiques et culturels à l’apprenant. D’autre part, par les savoir-faire et savoir-être de celui-ci : sa fréquentation ou non des médias français, ses habitudes d’apprentissage en autonomie. On mesure ici toute la portée d’un enseignement/ apprentissage avec les médias tel qu’il a été développé dans la deuxième partie. Pour l’apprenant qui a reçu une formation sémiologique, qui est déjà familiarisé avec les médias de la langue cible, la situation en autonomie ne sera pas déstabilisante. En effet, s’il a appris à apprendre, il pourra réutiliser ses compétences méthodologiques de décodage, de lecture et de compréhension des messages, et réinvestir ses savoirs et savoir-faire dans chaque nouvelle situation. Pour l’apprenant qui au contraire n’a pas d’expérience avec les médias en situation d’apprentissage, on peut craindre que le vide méthodologique soit un handicap à ses débuts et ne conduise au découragement. La nécessité d’une formation apparaît, elle ne peut être qu’en partie compensée par les aides méthodologiques, intégrées aux documents sous forme de consignes, car l’apprenant est alors soumis à des contraintes d’apprentissage plus grandes. On voit donc la difficulté de proposer des parcours d’utilisation individuels qui prennent en compte les acquis et les expériences audiovisuelles et télévisuelles de l’apprenant pour tous les types de documents, surtout pour le matériel brut qui reste privilégié.
- Les activités de compréhension. L’apprenant entre dans la phase d’apprentissage à proprement parler et les activités de compréhension sont largement dominantes parmi les objectifs choisis. Nous allons voir à travers l’analyse d’une séquence de Vifax dans quelle mesure les activités proposées développent une compétence communicative en réception/compréhension.
Comme cela a été précisé par les auteurs, les activités présentées dans Vifax sont basées sur la progression de la compréhension : globale, approfondie et détaillée. Dans la séquence de JT proposée par Vifax intitulée “Cocorico”532, le reportage montre des extraits du championnat du monde de judo : on voit dans un premier temps David Douillet et son adversaire japonais combattre, les applaudissements et les félicitations de l’équipe française ; puis, dans une deuxième partie, une championne française face à une judoka japonaise, la séquence se termine sur le geste de victoire de la Française. Cette séquence brute est présentée au spectateur-apprenant sans aucune mise en contexte ou référence culturelle, sous la forme que nous reproduisons ci-dessous :
Le premier exercice est de visionner la séquence sans le son, l’apprenant a pour tâche de lui donner un titre en choisissant parmi quatre propositions : “Au théâtre ce soir” ; “Un championnat de judo” ; “Le plus rapide des cyclistes” ; “Les hommes au vestiaire”. Il s’agit de mettre en relation le signifiant visuel avec un groupe nominal et de déterminer la thématique du document. Cependant, si la démarche du visionnement sans le son est souvent utilisée en groupe, un apprenant seul sera moins motivé pour l’employer. Le deuxième exercice repose sur la compréhension globale du document, c’est-à-dire surtout sonore, l’image n’apportant que peu d’informations temporelles. Pour le spectateur-apprenant qui découvre le document - et ne pratique pas le judo - on peut supposer qu’il lui sera difficile de dépasser le premier degré de compréhension du message. L’apprenant qui ne vit pas en France aura par exemple des difficultés à identifier le “héros national” et à saisir l’enjeu sportif, mais aussi culturel du match. Il déduira sans doute du message visuel que les deux Français ont gagné le match, et que la rencontre avait lieu à Paris (affichage image), mais les explications nécessaires à la compréhension générale vont lui manquer. Il ne pourra pas faire appel à ses connaissances référentielles en matière d’image, et seul le commentaire apportera des informations sur la rencontre sportive. On constate que très peu d’aides sont données à l’apprenant pour faciliter la réception, que ce soit sous forme de consignes d’exploration (thématique du sport, caractérisation du héros), ou de parcours de lecture (mise en parallèle/opposition des champions français et japonais)533. Il est par exemple rarement tenu compte dans l’exploitation d’un Journal télévisé des éléments de médiation que sont les lancements de reportage, où les informations essentielles sont généralement dites en quelques phrases par le présentateur. La transcription partielle de celles-ci ou l’indication de mots clé peuvent être une façon d’introduire le document. Il faut aider l’apprenant à mobiliser ses connaissances passives et ses capacités d’anticipation pour faire face à l’abondance d’informations contenues dans le message linguistique qui risquent de submerger l’apprenant et ne font qu’augmenter la difficulté de réception. A notre avis, les activités d’écoute qui ont pour fonction d’aider l’apprenant à mieux percevoir le message avant d’aborder la compréhension à proprement parler sont absentes de la démarche méthodologique. Comme l’a bien montré Elisabeth Lhote,
‘“Une écoute active est une écoute consciente qui met en jeu le double fonctionnement de la perception de la parole, c’est-à-dire un traitement en parallèle selon deux modes, l’un de type global, l’autre de type analytique.”534 ’Chaque apprenant développe des capacités d’écoute individuelle qui seront plutôt du premier type ou du second : certains apprenants construisent leur écoute sur le principe de la globalité et ne comprennent que le sens général du message, mais ils sont incapables de structurer linguistiquement le message en unités (phrases, mots, phonèmes) ; d’autres au contraire vont s’attacher au sens, celui d’un mot perçu qui va interrompre le processus d’écoute dans son ensemble, cela renvoie à la situation “perdre le fil” du message. Très peu d’apprenants sont conscients que leurs problèmes de compréhension sont liés à l’écoute, et un document vidéo peut les aider à résoudre cette difficulté. L’enregistrement du message sonore sur bande audio rend par exemple possible l’individualisation de l’activité d’écoute. Les exercices d’entraînement feront appel à l’encadrement de l’apprenant par un tuteur pour repérer les difficultés de compréhension ou proposer des activités différenciées. En effet, la seule exposition au message et au document brut ne permet pas à l’apprenant de prendre conscience de ses problèmes et encore moins de les résoudre.
Les activités se résument dans la méthode Vifax à des exercices de compréhension linguistique (globale et détaillée), et ne tiennent pas compte des spécificités du document, de sa bicanalité. En effet, la notion de difficulté ne repose pas sur la seule compréhension linguistique du document ; comme cela a été montré dans la deuxième partie de ce travail, le canal visuel est, au même titre que le canal sonore, porteur d’informations et ils comportent autant d’éléments de signification à décoder par l’apprenant. D’autre part, aucune attention n’est portée à la structure du reportage qui, par sa logique interne, sert à soutenir l’attention de l’apprenant, à lui donner des points d’ancrage. En ce qui concerne l’écrit, il peut jouer le rôle de soutien dans la perception/ compréhension du message, mais il n’est généralement pas développé dans cette perspective. Il est par exemple utile à l’apprenant d’allier perception visuelle et sonore afin de faciliter la reconnaissance des mêmes lexèmes ou expressions dans le contexte sonore. On remarque enfin que les documents bruts ne font plus référence à la catégorie habituelle de progression et au classement en fonction du degré de difficulté linguistique. Comme le souligne également Thierry Lancien, on voit que les difficultés sont davantage d’ordre référentiel, sémiotique ou linguistique :
‘“Ainsi une information, au contenu linguistique pourtant difficile, pourra être d’accès relativement aisé pour le TA (téléspectateur apprenant), si celui-ci connaît déjà l’information ou son contexte (niveau référentiel), si son traitement discursif correspond à des catégories qu’il connaît bien et si des éléments, dans la mise en forme télévisuelle de l’information, viennent l’aider (niveau sémiotique).535 ’Un dernier élément qui est une aide pour le travail autonome et devrait accompagner chaque document vidéo est la transcription 536 du texte verbal. Mais on peut aussi s’appuyer sur la partie visuelle pour découper le document en séquences d’images, car c’est souvent à partir du montage des images que l’ensemble se structure. La mise en relation des séquences d’images avec des séquences textuelles permet à l’apprenant d’accéder plus rapidement à la compréhension linguistique et culturelle. La transcription du texte intégral est une aide précieuse pour l’apprenant si quelques conseils méthodologiques l’accompagnent. C’est d’une part le moyen de travailler l’écoute (les aspects phonétiques et prosodiques du message) et de mettre en rapport la langue écrite et orale. D’autre part, la transcription donne le moyen à l’apprenant de trouver dans le texte la justification de ses réponses. C’est en effet la dimension évaluatrice - qui passe par la vérification - qui va compléter le processus d’apprentissage. Mais il manque à une méthode comme Vifax la possibilité pour l’apprenant de s’entraîner à l’oral et de s’évaluer. La feuille de corrigé apporte certes les bonnes réponses, mais elle n’explique pas à l’apprenant ses erreurs et ne dit rien sur la façon d’améliorer sa performance. L’évaluation doit porter sur le “quoi” évaluer, mais aussi sur le “comment” évaluer qui relève de la culture d’apprentissage. Il faut amener l’apprenant à prendre conscience de ses propres moyens (capacité à repérer les causes des difficultés d’apprentissage, à résoudre ses problèmes, seul ou avec l’aide de quelqu’un) pour mesurer ses capacités et améliorer ses compétences.
Vifax, “Système multimédia pour l’apprentissage des langues” propose à partir d’extraits de Journaux Télévisés de la langue choisie des exercices écrits que l’on reçoit par fax, courrier électronique ou internet. Vifax est réalisé par plusieurs équipes de didacticiens-linguistes basées à Bordeaux, Strasbourg et Berne et fonctionne depuis 1990 pour l’anglais, 1995 pour l’allemand et depuis 1997 pour le français.
La culture d’apprentissage telle que l’a définie Henri Holec concerne “les décisions relatives à la méthodologie d’apprentissage (comment apprendre) et à une partie de son évaluation (comment évaluer)”, in “Quels matériels pour les Centres de Ressources”, op. cit., p. 93.
On peut se reporter en annexe à la transcription du texte sonore ainsi qu’à l’enregistrement vidéo de TV5 (FR3) du 10 octobre 1997, “Cocorico !” (1’37”).
On peut par exemple attirer l’attention de l’apprenant sur différentes expressions : le sens figuré du mot “cocorico” dans le début du commentaire : “commençons par un triple cocorico !”, ou encore sur des locutions à propos du champion français qu’il ne pourra seul décoder : “sortir de ce mauvais pas”, “réussir un tour de force”, “ses nerfs seront passés à dure épreuve” etc.
Elisabeth Lhote, Enseigner l’oral en interaction, Hachette, Paris, 1995, p.51.
Thierry Lancien, “Problématique actuelle de l’usage des médias audiovisuels dans l’apprentissage d’une langue étrangère”, ÉLA 94, p. 59.
On peut se reporter au développement fait dans la deuxième partie sur le message sonore (2.2.2.1.3.) à propos de l’importance de la transcription dans l’apprentissage par la fixation du son et sa mise en relation avec le code écrit.