Le nombre de CD-Rom destinés à l’apprentissage de la langue croît rapidement, et parmi les produits d’éditeur, les méthodes de langue visant directement un large public d’apprenants ont retenu notre attention. Ces matériels qui s’adressent principalement à des faux débutants ont développé un système d’apprentissage dit “interactif”, ce terme remplace celui de communicatif, et renvoie à l’échange apprenant-machine décrit dans le chapitre 3.1.. Pour faciliter la navigation dans les CD-Rom, certains proposent des parcours balisés où l’apprenant est guidé à l’intérieur du système (par un retour automatique au sommaire ou au document de départ) ; les CD-Rom qui laissent une plus grande liberté de navigation sont notamment destinés au grand public. En ce qui concerne les CD-Rom d’apprentissage de langue, leur mode de circulation est de type linéaire et laisse peu (ou pas) de place à l’autonomie de l’apprenant, au sens de liberté d’agir : c’est par exemple le cas de Je vous ai compris 1, Echolangues, ou de LTV-français538. Leur structure rappelle celle des méthodes audiovisuelles : un document de base constitué de vidéogrammes non authentiques, suivi d’activités de pratique de la langue ; des données nouvelles sont parfois fournies à l’apprenant à l’occasion de certaines activités, mais plus généralement en arrière-plan. D’une manière générale, les concepteurs n’attachent pas assez d’importance à la spatialité, aspect que nous avions abordé avec l’espace télévisuel. Dans le multimédia, l’usager pénètre dans un “autre” espace, différent de celui de l’écran de télévision, puisqu’il s’y déplace, choisit des itinéraires, et explore des lieux. Cette dimension souvent au centre des CD-Rom de jeux semble quasiment absente des CD-Rom d’apprentissage, comme si la dimension ludique avait été écartée une fois pour toutes. L’interactivité technique est donc limitée par le déroulement linéaire du programme, il est parfois impossible à l’apprenant d’interrompre celui-ci pour choisir un autre parcours.
La méthode LTV a une présentation visuelle différente et exploite les possibilités vidéographiques du multimédia et propose une mise en écran originale.
Les images vidéo sont encadrées par six types d’aides que l’apprenant peut utiliser pour la compréhension du vidéogramme : répétition, autre formulation, dictionnaire (la langue d’interface est choisie en début de parcours, douze possibilités sont offertes), sous-titrage, mots clés et aide personnalisée. Il y a facilitation pour l’apprenant qui peut revenir à sa demande sur une partie du dialogue, l’interactivité technique permet ici de résoudre des problèmes langagiers liés à la compréhension539. Dans des activités de grammaire, l’automatisation de certaines parties de l’apprentissage est intéressante, mais peut entraîner la séparation langue et communication. On constate que la seule participation de l’apprenant ne suffit pas pour qu’il y ait appropriation des messages, c’est l’interaction avec la langue qui doit être privilégiée et facilitée. Comme pour le matériel vidéo, la question qui se pose est de savoir dans quelle mesure le média prend en charge l’apprentissage. L’analyse de matériels vidéo pédagogiques dans la première partie de ce travail a montré que lorsque la médiation du savoir est au centre du document, la communication est de l’ordre de la transmission, et il n’est donc pas interactif. Il s’agit pour les matériels multimédias de ne pas commettre la même erreur, et d’impliquer l’usager-apprenant dans des activités éducatives et pas seulement technologiques. Cela nécessite une réflexion particulière au moment de la conception des applications/programmes :
‘“Dans un contexte d’apprentissage, pour qu’un programme interactif favorise la construction de la connaissance, il est indispensable que l’interactivité technologique soit asservie à une intention d’apprentissage de la part de l’apprenant.”540 ’Un autre aspect qui fait l’originalité de l’outil est la pluralité des canaux de transmission du multimédia : on mise sur cette multicanalité pour mobiliser les facultés perceptives et cognitives de l’apprenant. En effet, celui-ci a accès à des messages à dominante visuelle ou sonore, et il doit apprendre à manipuler ces données, se servir d’un canal pour l’aider à la compréhension d’un autre canal etc. Une nouvelle génération de CD-Rom apparaît où le choix des images authentiques est à remarquer, ainsi que la complémentarité entre les images vidéo, l’enregistrement sonore et l’écrit. Funambule témoigne par exemple d’un souci d’utiliser les possibilités du multimédia : l’accès à la langue étrangère est facilité par la transcription et par le recours à une aide en langue maternelle (trois langues sont proposées). L’ergonomie du CD-Rom est également à souligner : l’apprenant peut choisir à sa guise parmi les activités, répéter à volonté les enregistrements vidéo et sonores, et a accès facilement aux compléments de nature lexicale et grammaticale. L’interactivité entre la langue et l’apprenant est ici plus grande, même si le CD-Rom ne s’adresse qu’à des débutants. On constate que, selon les produits multimédias, un canal est privilégié par rapport aux autres, le texte par rapport à l’image ou au son, les images fixes, moins coûteuses que les images vidéo. On assiste par ailleurs, à travers l’hypertexte, à un retour de l’écrit, et les applications sont nombreuses dans les ouvrages de référence tels les dictionnaires et les encyclopédies541. L’apprenant est confronté à plusieurs types de textes allant des indications de l’interface (paratexte du CD-Rom) aux textes linguistiques (définitions du dictionnaire, articles encyclopédiques, de journaux ...). La navigation dans ces matériels sera non seulement liée aux capacités linguistiques de l’apprenant, mais aussi facilitée par ses habitudes en langue maternelle.
La littérature générée par ordinateur offre un bon exemple des ressources de la multicanalité. Des CD-Rom littéraires proposent la découverte des grands auteurs comme Chateaubriand542 ou Balzac à travers le texte intégral, mais aussi par l’image : film sur la vie de l’auteur, documentation iconographique sur l’époque, ou les lieux. Le CD-Rom offre au lecteur à la fois des activités de découverte et une source documentaire sur la vie de l’auteur et les textes. Différentes fonctions lui permettent d’avoir accès à des informations spécialisées et de les réutiliser pour un travail personnel. On remarque que ce support fait principalement appel à l’écrit et que l’innovation réside surtout dans la présentation hypertextuelle. Un exemple de CD-Rom misant beaucoup sur l’image mérite d’être cité, il s’agit du roman d’Alexandre Dumas Le Comte de Monte-Cristo 543. Ce CD-Rom allie par une présentation attrayante à la fois la découverte de l’oeuvre écrite et de l’oeuvre télévisuelle ; il propose une rencontre originale de la littérature (à travers le roman et la version écrite pour le théâtre) et du cinéma (vidéo sur le tournage, les acteurs, les adaptations internationales). Ce CD-Rom conçu pour un large public est attrayant, mais face à l’abondance de documents, l’utilisation de ce matériel par un apprenant de langue demandera une construction méthodologique : tant par rapport au support technique qu’à des objectifs précis d’enseignement/apprentissage, l’intervention pédagogique est ici nécessaire.
On constate que la multicanalité se traduit surtout par l’utilisation de l’hypertexte dont on retiendra deux principaux avantages : le premier est de fournir des informations fiables car constituées à partir de sources reconnues ; le deuxième est dû à leur présentation variée sous forme d’images, de schémas, d’histogrammes et de textes explicatifs qui est ouverte à plusieurs styles d’apprentissage. Cela rejoint les avantages décrits à propos des signes scripto-visuels dans la deuxième partie de ce travail. Pour l’apprenant, l’accès à l’information est simple : les mots déclenchent une relation hypertextuelle qui facilite la démarche cognitive ; ils donnent accès à des fenêtres et à différentes pages, l’information peut être textuelle, mais aussi visuelle (dessins ou vidéo) et apporte des informations sur l’oeuvre, le courant littéraire etc. La multiplicité des niveaux d’information n’est cependant pas toujours une aide pour l’apprenant, c’est au didacticien de juger de la pertinence et de la richesse des liens entre les médias. Comme le fait remarquer Thierry Lancien544, trop nombreux ils peuvent nuire à la cohérence, ou distraire (voix commentaire, transcription, fenêtres nombreuses).
En ce qui concerne le rôle des images dans les CD-Rom, elles renvoient soit au document de base, soit aux ressources (données nouvelles) du CD-Rom ; on distingue ici les images vidéo (extraits de films, reportages télévisuels), les images fixes, les photos et les dessins, et les images virtuelles, conçues pour le multimédia, qui présentent une forme nouvelle de visualisation. Du type d’images proposé dépendront beaucoup les activités d’apprentissage : leur mise en forme pour un support multimédia n’est pas toujours réalisée et les images ne sont pas toujours aptes à favoriser l’interactivité, ‘“de par leur nature séquentielle et linéaire, elles risquent même d’entrer en distorsion avec les modes de consultation qui sont proposés’.”545 Les images vidéo non authentiques du document de base mettent en scène les dialogues et offrent un environnement à la situation de communication (lieu de travail, privé, public ...). Certaines images comme celles de LTV ne sont pas sans rappeler celles des méthodes vidéo par leur principe narratif et leur forme empruntée au feuilleton. Leur fonction reste essentiellement de l’ordre de la contextualisation et de la simulation, de plus, la qualité des images comparée à celle d’un document vidéo est parfois décevante (manque de netteté, taille de l’image), la mise en écran est plus ou moins bien réussie. Dans LTV-français, présenté auparavant, le document vidéo est entouré à droite et à gauche des aides, et en dessous des boutons de commande, ce qui réduit d’autant la place des images. La présentation visuelle manque souvent de clarté car l’environnement de navigation et l’environnement d’apprentissage se confondent ; on a des difficultés à distinguer ce qui relève des aides, des consignes et des activités d’apprentissage.546 Les images vidéo sont reprises pour accompagner les exercices de compréhension ce qui est un avantage pour la mémorisation des structures ; mais on trouve aussi une image appauvrie sous forme de dessins qui sert de fond à des exercices de type structuraux, par exemple dans Je vous ai compris :
On remarque le manque de contextualisation, de teneur civilisationnelle de l’image. Les exercices de Je vous ai compris 1 ne sont pas sans rappeler ceux de méthodes audiovisuelles structuro-globales : le surcodage de vignettes doit faire produire un énoncé type. Quant aux exercices d’application et aux QCM de compréhension, ils n’apportent pas toujours la nouveauté attendue : ce type d’activité pouvait déjà être menée dans le laboratoire de langue audio ou vidéo. Il y a encore beaucoup à attendre des images de synthèse pour développer l’interactivité avec l’apprenant. L’attrait de ces images réside principalement dans la dimension ludique créée par la rencontre du réel et du virtuel ; mais ces images n’ont pas encore leur place dans les CD-Rom d’apprentissage qui n’offrent qu’un pâle reflet des possibilités multimodales offertes sur les écrans TV, de cinéma ou d’ordinateur547.
Du point de vue de l’entraînement à l’oral, les activités de production et d’enregistrement de l’apprenant sont peu convaincantes, car c’est au niveau de l’analyse des réponses que l’échange pêche. Les réponses étant fixées à l’avance, l’apprenant a soit le choix entre deux ou trois phrases imposées à l’écran, soit une liberté de production, mais qui reste sans évaluation.
Les CD-Rom de langue font par ailleurs peu référence au contexte d’apprentissage, et peu nombreux sont ceux qui optent clairement pour une utilisation en présentiel ou en auto-apprentissage. A l’heure actuelle, seul un produit multimédia s’est réellement préoccupé, à la conception, de l’apprenant et de la situation d’apprentissage parce qu’il a été conçu par des équipes pluridisciplinaires : il s’agit du système CAMILLE548 et des CD-Rom Travailler en France. Ce cours de français des affaires de niveau intermédiaire ou avancé est “utilisable en autonomie par des professionnels ou des étudiants amenés à être en relation avec des Français dans leur travail”. Les auteurs549 soulignent que la conception du logiciel a été basée sur une volonté d’autonomisation de l’apprenant en l’amenant lui-même à construire son savoir. On remarque que les objectifs apparaissent clairement pour l’apprenant : être capable de chercher un emploi en France, et donc apprendre à “rédiger des lettres et CV”, ou à “maîtriser une situation d’entretien”. Il y a un lien explicite entre les activités et les compétences visées. Les activités proposées sont par exemple basées sur la simulation, terme qui renvoie généralement à la ressemblance de situation entre le personnage et l’utilisateur550. Dans le cas de CAMILLE, le scénario vidéo - que l’on peut qualifier de semi-authentique puisque les scènes sont jouées par des acteurs professionnels - sert à la simulation, c’est-à-dire à construire une interaction avec l’apprenant. Celui-ci doit par exemple réagir à l’interlocuteur qui est à l’écran et qui s’adresse à lui, le choix des réponses est certes précontraint, mais celles-ci vont entraîner des réactions différentes à l’écran. L’apprenant a également la possibilité de s’enregistrer, ce qui permet de constituer un dialogue et une interaction avec la machine. L’intérêt réside ici dans la situation nouvelle, simulée, qui permet justement à l’apprenant une réflexion sur la validité de ses choix. Enfin, des activités écrites sont intégrées dès le premier niveau dans A la recherche d’un emploi, par exemple rédiger un CV à partir d’une interview : elles permettent de réinvestir les acquis des activités précédentes et de passer d’une communication orale à une communication écrite. L’association de la dimension écrite au visuel offre quelques pistes plus spécifiques du multimédia : dans A la recherche d’un emploi l’apport d’éléments de civilisation, de documents et données textuelles semi-authentiques va élargir l’environnement d’apprentissage de l’apprenant, et lui offrir des ressources langagières et culturelles. Des activités d’observation, de transfert et d’évaluation sont alors possibles, dans la mesure où le logiciel le prévoit. Mais, comme le constate François Mangenot, le principal reproche que l’on peut faire aux cours de langue du marché est “‘de ne pas utiliser de données assez riches, et de ne pas assez lier les tâches demandées aux apprenants à ces données’”551.
Le deuxième CD-Rom L’acte de vente, davantage axé sur la vie professionnelle, va plus loin dans la recherche de l’autonomie de l’apprenant ; les activités sont plus complexes, de type résolution de problèmes et l’apport d’aides est important. L’interactivité dépasse la simple participation, l’apprenant doit s’engager sur le contenu et la validité de ses choix. En proposant par exemple un travail autour de l’argumentation, il est demandé à l’apprenant une réflexion et une prise de décision, les auteurs concluent :
‘“Nous avons fait l’hypothèse que ce va-et-vient entre la réflexion et la prise de décision ou entre le ‘méta’ et l’action - qu’on n’a pas le temps d’analyser dans la réalité des échanges - est susceptible de préparer à un transfert en situation réelle en construisant du savoir.”552 ’Je vous ai compris1 et 2, Lille 3, Neuroconcept, 1995.
LTV-français, Jériko. On pourra se reporter à la synthèse de ces méthodes dans l’article de François Mangenot : “Synthèse de trois cours de FLE” in Les Cahiers de l’Asdifle n°9, pp. 79-87.
Echolangues/Labo, Paris, Jériko. Version grand public : Écoutez et parlez.
Il est à remarquer que LTV-français donne une place à la culture en proposant des explications lexicales liées au contexte (registre, situation).
Claire Bélisle, “Enjeux et limites du multimédia en formation et en éducation”, op. cit., p. 18.
Plus récemment sont apparus les hyperlivres qui mettent des oeuvres littéraires sur disquette et offrent une grande lisibilité et une simplicité d’utilisation. En plus de la lecture, le lecteur a la possibilité de copier ou d’imprimer des pages et des commentaires en vue d’une aide à la rédaction.
CD-Rom : François René de Chateaubriand, Les itinéraires du romantisme, Acamedia, Paris, 1997.
CD-Rom : Honoré de Balzac, Explorer la Comédie humaine, Acamedia.
CD-Rom : Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, par Didier Decoin, Acamedia, 1998.
Thierry Lancien, Le multimédia, CLE International, 1998.
ibidem, p.61.
Comme cela a été montré ailleurs, les CD-Rom offrent peu de variété dans la présentation et semblent être réservés aux apprenants de niveau 1, alors que les environnements virtuels, par le biais d’Internet, offrent d’autres alternatives où motivation et simulation sont au centre des préoccupations. Virginie Viallon, “De l’image fixe à l’image virtuelle en didactique des langues : rupture et continuité” in Actes du Colloque Usage des Nouvelles Technologies dans l’Enseignement des langues, Université Technologique de Compiègne, mars 2000. On peut également se reporter aux travaux de Carol Chapelle sur l’apprentissage et les environnements virtuels, notamment “Second language acquisition through virtual environments”, Iowa State University, ibidem.
On peut citer ici un produit multimédia qui exploite le genre fictionnel et où l’image a été fortement travaillée. L’accent est mis sur l’exploration et la découverte d’un espace culturel : A la rencontre de Philippe, Presses Universitaires de Yale, in Multimédia, réseaux et formation, le Français dans le Monde, 1997, pp. 64-75.
CAMILLE : Computer Assisted Multimedia Interactive Language Learning Environment. CD-Rom 1 “A la recherche d’un emploi”, 2 “L’acte de vente”. Réalisé à l’université de Clermont 2 dans le cadre d’un projet Lingua, CLE International.
L’article de Maguy Pothier “Problèmes de conception multimédia” présente le projet CAMILLE in Outils multimédias et stratégies d’apprentissage du FLE, Lille III, 1996, pp. 13-15.
En ce qui concerne la simulation multimédia, on peut se reporter à l’analyse des paramètres de cédéroms de langue de Thierry Lancien, op. cit., p. 60.
François Mangenot, “Multimédia et activités langagières”, in Recherches et Applications, Le Français dans le Monde, 1997, p. 81.
Maguy Pothier, “Hypermédia et Autonomie”, in Recherches et Applications, Le Français dans le Monde, 1997, p. 91.