Comme cela était le cas pour les documents pédagogiques vidéo, on constate que les méthodes multimédia et les CD-Rom de langue imposent à l’apprenant une méthodologie peu communicative et assez peu nouvelle en ce qui concerne les démarches de compréhension et d’appropriation de la langue : au niveau du visionnement et de l’écoute des dialogues aucune variante méthodologique n’est proposée. En fait, peu de produits multimédias utilisent la spécificité de la multicanalité pour donner à l’apprenant la possibilité de choisir une approche plutôt visuelle ou scripto-visuelle, ou sonore du document. Ce serait pourtant une des spécificités des outils multimédias de répondre à la multiplicité des profils d’apprenants et des formes d’intelligence telles celles décrites par Howard Gardner557. On sait par exemple l’influence que peut avoir la musique pour stimuler et développer l’attention auditive ; en mettant l’apprenant dans une situation d’écoute nouvelle, on peut ainsi faciliter la compréhension d’une situation de dialogues. Si les premiers cours multimédias se contentaient de faire répéter ou transformer des énoncés aux apprenants, la référence étant le modèle oral enregistré, la tendance actuelle est plutôt marquée par l’introduction de la dimension écrite. Par le biais d’aides à l’écran, l’apprenant peut solliciter une explication voire la traduction d’un mot, ou la répétition d’une séquence. On lui donne alors les moyens d’agir sur son apprentissage, d’évoluer à son rythme, d’apprendre à gérer son apprentissage. Comme le constate Daniel Coste en 1996 :
‘“Des produits permettant tout à la fois une relation médiatisée (préparée, facilitée) aux richesses des réseaux de type Internet (et à des apports de CD-Rom grand public) d’une part, aux éventuelles ressources de l’environnement présentiel d’autre part sont sans doute à inventer.”558 ’Comme cela a été évoqué en début de chapitre, les possibilités quasi infinies du multimédia permettent d’intégrer à la conception du matériel la dimension d’apprentissage, plus ou moins directive ou autonome selon les choix. Marie-José Barbot a soulevé à juste titre la question de l’adaptation des produits multimédias aux divers profils d’apprenants, sur le plan des stratégies socio-affectives, cognitives et métacognitives. Elle constate cependant que leur richesse n’est pas encore totalement exploitée :
‘“ils sont encore sous-utilisés, car les concepteurs des multimédias négligent le fait qu’apprendre à apprendre constitue un objectif important pour les auto-apprenants. Les processus de réception des multimédias doivent être pris en compte en amont, au moment de la création de ces outils.”559 ’La question de l’évaluation qui se pose à propos des productions de l’apprenant peut se résoudre par le contexte d’utilisation des produits multimédias. En effet, dans le cas d’un auto-apprentissage, hors institution notamment, il est nécessaire que le logiciel prévoie l’évaluation de toutes les tâches, et il a été constaté que les critères d’évaluation ne sont pas satisfaisants car trop simples. Pour une utilisation en autonomie guidée, dans un Centre de Ressources par exemple, l’apprenant pourrait trouver une aide en la personne du tuteur ou de l’enseignant (correction individuelle de l’écrit notamment) et des matériels mis à sa disposition, ce que le logiciel ne saurait lui offrir. Cette dernière tendance a pour avantage de relier le milieu de l’apprentissage en classe et de l’apprentissage en autonomie - situation évoquée en début de chapitre et réalisée dans quelques Centres de Langues -. Il y a d’une part le travail individuel effectué avec les outils multimédias, et d’autre part le retour dans le groupe-classe avec des échanges entre apprenants et enseignant.
Une autre voie est à exploiter avec l’apprentissage en tandem qui peut réunir l’apprenant natif et l’apprenant étranger : le Centre de langues est à voir comme un lieu de rencontre et de communication en situation. Mais les nouvelles technologies permettent aussi le tandem à distance, notamment par le biais du courrier électronique, et ouvrent de nouvelles perspectives pour l’apprentissage560. L’apprenant se trouve dans des situations de communication où il doit agir de manière autonome, car les besoins sont orientés vers la communication avec le partenaire. Pour acquérir son autonomie, l’apprenant s’appuie sur les stratégies proposées par l’enseignant et sur le cours de langue qui reste le pilier central de l’apprentissage de la langue. On voit là un élargissement des possibilités de communication de l’apprenant : le travail avec les outils multimédias n’étant qu’une partie individualisée de l’apprentissage qui trouve ses tenants et aboutissants dans la classe de langue. Nous voulons enfin insister sur la place à accorder à la médiation humaine dans une perspective visant l’autonomie de l’apprenant. Cela entraîne bien sûr la modification du rôle de l’enseignant qui accomplirait véritablement la tâche de médiation, c’est-à-dire de facilitation de l’apprentissage. Mais comme le remarque Maguy Pothier561, cela suppose une formation des enseignants qui ont la curieuse impression de ne rien faire s’ils n’enseignent pas, et une réflexion sur leur rôle dans une optique autonomisante.
Howard Gardner, Les intelligences multiples, Retz, Paris, 1996.
Daniel Coste, “Multimédia et Curiculum multidimensionnel”, in Outils multimédias et stratégies d’apprentissage du FLE, op. cit., p. 50.
Marie-José Barbot, “Cap sur l’autoformation : multimédias, des outils à s’approprier”, in Multimédia, réseaux et formation, Recherches et Applications, Le Français dans le Monde, juillet 1997, p. 59.
Le projet LINGUA International E-Mail Tandem Network a donné lieu à de nombreuses expériences au sein des universités européennes, on peut notamment se reporter à la publication de l’université de Bochum : Helmut Brammerts, David Little (Hrsg.) Leitfaden für das Sprachenlernen im Tandem über das Internet. Manuskripte zur Sprachlehrforschung, Bd. 52, Bochum : Universitätsverlag Dr. N. Brockmeyer, 1996.
Maguy Pothier, “Hypermédia et Autonomie”, Recherches et Applications, Le Français dans le Monde, juillet 1997, pp. 92-93