3.3.3.2. Pendant l’auto-apprentissage : la personne-ressource

Après l’organisation du matériel de Centre de ressources, un autre volet concerne l’encadrement des apprenants, car apprentissage autonome ne veut pas dire non plus apprentissage isolé. En plus du personnel présent pour la maintenance du matériel vidéo et informatique, la présence en nombre suffisant de personnes-ressource est indispensable pour répondre aux divers rôles qui lui sont assignés. Le conseiller, ou le tuteur, doit créer les conditions qui rendent la “prise en charge” de l’apprentissage par l’apprenant possible, car cette responsabilisation de l’apprentissage ne va pas de soi et tous ne sont pas prêts à la prendre. En effet, au-delà de conseils pour expliquer le fonctionnement du Centre, ou pour l’utilisation du matériel spécifique qui est à la disposition des apprenants, un encadrement particulier est nécessaire. Le rôle du conseiller consiste à réaliser des entretiens pour connaître le passé de l’apprenant, c’est-à-dire ses habitudes d’apprentissage, ses priorités en fonction de sa discipline, et aussi ses motivations dans le Centre d’auto-apprentissage. Mais le conseiller peut rencontrer des réticences chez l’apprenant à suivre des conseils méthodologiques, ou face à l’évaluation. Cependant, à la différence de l’enseignant, il ne prend aucune décision concernant le programme d’apprentissage linguistique.

Il est important d’insister sur la différence de rôle entre l’enseignant et le conseiller qui est le noyau dur de la “structure de soutien” à l’apprentissage. Pour reprendre l’expression de Marie-José Gremmo, “conseiller n’est pas enseigner”, car le conseiller a pour tâche “d’aider l’apprenant à développer sa compétence d’apprentissage”.566 L’apprenant qui ne possède généralement aucune culture d’apprentissage attend de l’enseignant que celui-ci lui livre les clés sur le pourquoi et le comment apprendre. Dans le cadre d’un apprentissage en autonomie, l’apprenant doit prendre en main la responsabilité de son apprentissage linguistique, mais aussi méthodologique. Pour cela, le conseiller suit le développement de l’apprenant notamment au travers des entretiens de conseil, en début et en cours d’apprentissage : il aide l’apprenant à définir des objectifs à travers des activités et des documents, il explique le bien fondé des choix méthodologiques, il sert d’expert en informant ou en suggérant. Mais à la différence de l’enseignant, le conseiller n’exerce pas de contrôle sur l’apprentissage linguistique ; l’entretien de conseil n’est pas un moment d’évaluation de l’apprenant - celui-ci peut d’ailleurs se dérouler dans la langue de l’apprenant pour marquer la différence -. Car, “‘l’objectif central du conseiller est de faire évoluer les représentations et les techniques méthodologiques des apprenants’.”567

Cependant, cela n’exclut pas toute évaluation ou auto-évaluation de l’apprentissage. Il est d’ailleurs probable que l’apprenant ait choisi de venir au Centre de Ressources suite à une évaluation en classe, ou qu’il ait procédé à une auto-évaluation même inconsciente. Mais, là aussi, le conseiller pourra l’aider à apprendre à s’évaluer, et à ajuster ses représentations sur son propre apprentissage. Il peut y avoir individualisation de l’évaluation et pour l’apprenant meilleure connaissance de soi. L’auto-évaluation mène certainement à un plus grand engagement de l’apprenant dans l’apprentissage, en lui montrant sa part de responsabilité dans la réussite de l’apprentissage de la langue. Le conseiller suit donc régulièrement le parcours de chaque apprenant au travers des entretiens avec une feuille de suivi par exemple, et une relation personnalisée doit pouvoir s’instaurer. L’aspect psychologique est en effet important pour soutenir l’apprenant dans son apprentissage. Il peut rencontrer des difficultés qui, comme la solitude mise en évidence par certains apprenants, entraînent aussi un manque de motivation. On peut se reporter au constat établi auprès d’étudiants du CRAPEL ayant fréquenté le SAAS, “Système d’Apprentissage Autodirigé avec Soutien”568. Le processus d’accompagnement de l’apprenant doit tenir compte des paramètres psychologiques et méthodologiques, le plus important étant d’apprendre à structurer son apprentissage. Le conseiller saura lui indiquer le cas échéant le matériel pour compléter et poursuivre son apprentissage : “‘les matériels de soutien à l’autodirection peuvent prendre la forme de fiches écrites, d’affiches murales, d’enregistrements sonores, de vidéos, de logiciels informatiques et de conseils apportés viva voce par un conseiller disponible sur place.’”569

Cela suppose que le conseiller ait d’une part une bonne connaissance des ressources offertes dans le Centre d’auto-apprentissage ; d’autre part, qu’il possède des compétences spécifiques en sciences du langage, qu’il soit davantage un spécialiste de l’apprentissage qu’enseignant : il ne doit pas “faire apprendre”, mais “apporter à l’apprenant des connaissances qui l’aident à comprendre comment il apprend.”570 On n’attend, en effet, pas tant de sa part une bonne connaissance de la langue cible de l’apprenant qu’une compétence de communication dans la langue maternelle de celui-ci. Cette nouvelle situation requiert une formation de l’enseignant au rôle de conseiller.

Cet apprentissage demande enfin un changement d’état d’esprit de l’apprenant qui doit mesurer l’importance accordée au processus d’apprentissage lui-même, alors que beaucoup d’apprenants y sont indifférents. La définition des rôles de conseiller et d’apprenant est encore à clarifier pour chacune des parties, on associe encore trop souvent le fait d’apprendre avec l’idée de transmission, alors que “‘c’est le formé seul qui peut s’approprier la formation, l’incorporer.’”571

Notes
566.

Marie-José Gremmo, “Conseiller n’est pas enseigner : le rôle du conseiller dans l’entretien de conseil”, Mélanges CRAPEL n°22, 1995, p. 34.

567.

ibidem, p. 37.

568.

On se reportera au compte-rendu du fonctionnement du SAAS, “Autonomie dans l’apprentissage : l’évaluation par les apprenants d’un système autodirigé”, Marie-José Gremmo, in Autonomie et apprentissage autodirigé, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1988, pp. 107-120.

569.

Emmanuelle Carette et Henri Holec, “Quels matériels pour les Centres de ressources ?”, Mélanges CRAPEL n°22, 1995, p. 93.

570.

Marie-José Gremmo, “Conseiller n’est pas enseigner : le rôle du conseiller dans l’entretien de conseil”, op. cit., p. 52.

571.

Louis Porcher, “Formation de formateurs en Français Langue Étrangère : Autonomies et technologies”, in Autonomie et apprentissage autodirigé, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1988, p. 130.