Si le professeur semblait apparemment exclu du cadre d’auto-apprentissage, sa présence reste cependant indispensable pour assurer la continuité de l’apprentissage, c’est-à-dire pour instaurer un lien entre la classe de langue et l’apprentissage autonome. A la suite des expériences menées dans divers centres d’auto-apprentissage, on a constaté que les apprenants ne maîtrisaient que rarement la culture d’apprentissage et qu’il leur était difficile de l’acquérir seuls. Un moyen d’aider l’apprenant à apprendre est de créer des liens entre les deux situations d’apprentissage, et d’intégrer l’apprentissage de l’autonomie dans le cursus. Le rôle que peuvent jouer les médias ici, nous pensons en priorité à la télévision, n’est encore qu’en partie reconnu. Pourtant son intégration sur une longue durée (plusieurs semestres) peut faire évoluer l’idée chez l’apprenant que l’apprentissage peut être pensé en d’autres termes que ceux de réussite ou d’échec. En effet, l’utilisation de la télévision dans une perspective autonomisante a montré que l’apprenant doit franchir plusieurs étapes, allant d’un travail imposé à un travail choisi - nous nous référons notamment à l’enseignement du français à l’université de Strathclyde572- . L’apprentissage consiste en premier en une période de découverte de la spécificité du média qui n’est pas considéré “naturellement” comme un moyen d’apprendre. Cela renvoie principalement à l’idée de maîtriser le matériel, notamment en développant une compétence d’écoute. Dans un deuxième temps, l’apprenant doit choisir et expérimenter des modes d’apprendre avec le média, en reliant par exemple le média avec des activités d’un autre type (mode oral ou écrit). En dernier lieu, il s’agit pour l’apprenant d’avoir une emprise sur le matériel télévisuel comme sur toute autre source de langue, en ayant notamment le droit de l’évaluer. Il applique ses compétences et connaissances dans un cadre réel pour choisir et analyser lui-même des programmes télévisés pour d’autres apprenants. Il est évident que l’apprenant n’apprend pas “seul”, mais qu’il est guidé et formé pendant les deux premières années par l’enseignant. Ce n’est que peu à peu qu’il gagne en autonomie.
Cet apprentissage peut se faire de manière intégrée, mais aussi de façon plus sporadique comme nous l’avons montré avec l’utilisation du matériel vidéo (chapitre 3.2.) où phases d’autonomie et d’apprentissage en présentiel alternent. L’enseignant est donc avant tout un formateur, il a pour tâche de développer chez l’apprenant des compétences (savoirs, savoir-faire et savoir-être) que celui-ci pourra réinvestir dans une situation d’autonomie. Pour parvenir à cet objectif, l’approche sémiotique de documents audiovisuels, telle qu’elle a été développée dans la deuxième partie, montre ici sa validité. La sensibilisation de l’apprenant aux signes de l’image et du son d’une part, la médiation de ces spécificités par l’enseignant d’autre part lui permettent de développer des compétences d’apprentissage avec ce média. Le face à face apprenant - média peut conduire à une situation d’autonomie si l’apprenant a reçu une formation préalable, en d’autres termes, s’il possède déjà la “culture langagière”, il pourra réinvestir ses acquis dans un autre contexte. Pour ce qui relève de la “culture d’apprentissage”, l’enseignant reste le spécialiste de l’apprentissage qui propose des méthodes à l’apprenant. Celui-ci pourra les expérimenter dans un contexte autonome et adopter un comportement réellement individuel.
L’enseignant assume un deuxième rôle essentiel à l’apprentissage, celui d’évaluateur, car, comme cela a déjà été dit, la personne conseiller n’a pas fonction d’évaluateur. Ceci semble d’autant plus important à propos du matériel multimédia qui n’a pas la capacité à évaluer les productions complexes de l’apprenant. Le retour vers la classe permet à la fois à l’enseignant d’avoir un suivi plus individualisé, mais surtout de compenser le manque de communication. Dans la perspective d’une meilleure liaison entre la classe et le centre d’auto-apprentissage, le Centre de langues de Brême envisage d’utiliser une “fiche navette” qui circule entre l’apprenant, l’enseignant et le conseiller573. Cela a pour première conséquence une implication plus importante de l’enseignant dans la situation d’autoapprentissage, car il prend connaissance du suivi de l’apprenant par le conseiller. L’enseignant peut alors intervenir dans l’apprentissage présentiel ou conseiller individuellement l’apprenant sur un point méthodologique. On peut voir également l’avantage pour l’apprenant de gagner en indépendance vis à vis de l’enseignant et du groupe-classe. De plus, le conseiller peut jouer le rôle de médiateur entre les deux situations d’apprentissage et faciliter le rapport à l’apprenant ; une meilleure connaissance de soi sécurise l’apprenant et lui fait prendre conscience du processus d’apprentissage. C’est la concrétisation du lien entre autoapprentissage et cours en présentiel.
“Télévision et Autonomie”, M. Dickson, Université de Strathclyde, Écosse. Le Français dans le Monde, n°266, pp. 48-51.
Le Centre de Langue à l’université de Brême intègre la fréquentation du CAA dans le cursus ce qui crée une dynamique entre la classe et l’apprentissage en autonomie.