3.4.1. Communication de la transmission

Un premier groupe de documents utilisés en classe de langue relève des documents pédagogiques : ce sont notamment les méthodes vidéo décrites dans la première partie (chapitre 1.2.3.2.), mais aussi celles sur support CD-Rom. Ce qui fait leur caractéristique est d’être “prêtes à l’emploi”, c’est-à-dire que les documents sont préparés par exemple pour un public de débutants, en vue d’un enseignement dans un contexte de classe ou pour l’auto-apprentissage. Comme cela a été vu dans la première partie de ce travail, on remarque une centration de l’approche communicative sur les actes de langage qui ne tient pas compte au niveau de l’apprentissage des conditions réelles de production et de réalisation. Les documents pédagogiques réduisent la réalité de la langue à une pratique pédagogique, où sont confondues situation d’enseignement et situation d’apprentissage. La méthodologie de nombreux documents vidéo peut se résumer en une triple fonction : la forme sonore véhicule les structures langagières ; le film (les images situationnelles) est un élément de motivation et d’implication de l’apprenant ; enfin, l’instance pédagogique s’affiche comme médiateur et prend en charge l’apprentissage (le présentateur/auteur du film ou l’interface du CD-Rom). L’apprenant se trouve donc face à une structure de communication de type linéaire, c’est-à-dire qui suit le déroulement prévu par la cassette vidéo ou le CD-Rom, d’un émetteur vers un récepteur, sans rétroaction possible. L’apprenant est davantage un spectateur qu’un acteur, car aucune activité ne lui est proposée où il puisse utiliser les compétences qu’il cherche à acquérir. De plus, ces matériels excluent généralement l’enseignant de la dimension de l’apprentissage ; celui-ci est dans certains cas (Bienvenue en France) remplacé par un médiateur. La présence à l’écran d’un médiateur signifie la mise en place d’une structure pédagogique peu nouvelle et peu apte à développer la compétence de communication de l’apprenant. En effet, les interactions mises en place sont surtout basées sur la répétition : répétition orale d’énoncés linguistiques à l’intérieur de la méthode pour permettre la compréhension et l’assimilation. On qualifiera la relation entre le message et l’apprenant de verticale par la présence frontale du professeur à l’écran - émetteur omniscient - qui s’adresse à l’apprenant - récepteur passif - : cette mise en scène relève donc d’une part d’une relation d’autorité entre celui qui sait et celui qui apprend. D’autre part, la centration sur le contenu - formes grammaticales - et non sur la dimension communicative de la langue (le contexte, la situation de communication, le langage non verbal) entraîne chez l’apprenant une attitude de lecture/compréhension passive. La méthode vidéo impose une lecture déterminée qui laisse peu de place à la variété d’interprétations. L’interaction avec l’apprenant est basée sur l’imitation et on ne lui demande qu’une reproduction. Les documents vidéo pédagogiques développent donc un modèle de communication dirigée et artificielle, et semblent vouloir éloigner l’enseignant, habituel médiateur de la langue et culture. C’est le principal reproche adressé aux matériels vidéo qui instaurent un déséquilibre dans la relation enseignant-apprenant. Ces matériels ne sont pas à notre sens “centrés” sur l’apprenant, mais surtout sur le contenu. A la suite de Henri Portine579, nous préférons d’ailleurs l’appellation de centration sur l’apprentissage qui est plus qu’une différence de terminologie : c’est un processus dans lequel sont pris l’enseignant et l’apprenant et qui doit favoriser l’apprentissage.

Plusieurs CD-Rom de langue sont construits selon un schéma d’apprentissage semblable et ne laissent aucune latitude à l’apprenant ; celui-ci peut choisir de ne pas participer au dialogue, cela n’agira pas sur le déroulement de la cassette ou du programme. Ce n’est pourtant pas le support vidéo ou multimédia qu’il faut mettre en cause - ce qui laisserait conclure qu’il est impropre à développer un apprentissage interactif -, mais plutôt la méthodologie développée.

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Schéma 1 : Communication linéaire, pédagogie de la transmission

Nous dirons que la communication mise en place par ces documents est du type de la “transmission” et fonctionne de façon linéaire : elle part d’un émetteur E1 (la méthode vidéo ou multimédia) vers R (un récepteur apprenant), sans rétroaction possible. L’apprenant est donc un récepteur apparent, mais il n’est pas acteur de la communication, il peut même rester totalement en dehors de celle-ci. Dans la mesure où ces documents prennent en charge la fonction de médiation, on remarque que l’enseignant reste en dehors du projet d’apprentissage, ce qui n’est pas sans modifier son rôle. La méthode ne lui laisse que peu de place : il semble réduit à faire fonctionner les appareils, à contrôler les réactions des apprenants. Cependant, il lui revient d’introduire la dimension interactive autour du document, de stimuler les énoncés ou de les corriger. Cela tend à prouver que les concepteurs ont proposé d’autres utilisations de la méthode (en groupe-classe ou seul) sans tenir compte des conséquences qu’apporte le changement du cadre de réception sur la communication.

Notes
579.

Henri Portine, “Le multimédia dans la méthodologie de la didactique des langues”, Cahiers de la Maison de la Recherrche T. 1, Lille 3, 1996, pp. 56-57.