Un deuxième groupe de documents, non pédagogiques, d’origine télévisuelle sur support vidéo580, tel que cela a été développé dans la deuxième partie (chapitre 2.2.), ou sur CD-Rom de type grand public, offre un contraste évident. Ces documents que l’on qualifie de “bruts”, parce qu’ils sont non destinés à l’enseignement, vont cependant être adaptés à des fins didactiques. Par l’enregistrement d’un document télévisuel, l’enseignant sélectionne une émission de télévision, se l’approprie et en fait un document didactique (DTV). Car, en tant que spécialiste de l’apprentissage, il va en faire un usage didactique : d’une part, par le choix du genre, de la longueur, du thème, et des objectifs d’apprentissage, il est le premier récepteur et donne une nouvelle dimension au document télévisuel (R1). D’autre part, comme nous allons le voir ci-après, le cadre de réception (la classe de langue) fait de l’enseignant l’émetteur principal, (E1).
Par ailleurs, le message médiatique (télévisuel ou multimédia) est composé de spécificités visuelles, scripto-visuelles et sonores qui - comme cela a été montré dans la deuxième partie de ce travail -, relèvent de la communication médiatique et de ce que Patrick Charaudeau appelle le “contrat de communication”581. Le message est un acte de construction et d’interaction entre les instances de production et de réception ; il est en ce sens apte à provoquer la communication chez le récepteur téléspectateur, c’est le premier niveau de médiation. Cependant, le message télévisuel, introduit dans un cadre d’apprentissage, diffère quelque peu du message d’origine puisque des contraintes d’ordre didactique viennent le modifier : la plus évidente est que le mode de communication de la télévision de flux est interrompu par l’enregistrement vidéo. L’évolution de la situation de communication dépend entièrement de la capacité de l’enseignant à intégrer le matériel d’origine médiatique dans son enseignement. En effet, l’adaptation du matériel peut varier en fonction du projet didactique et de l’autonomie de l’enseignant par rapport au média. L’enseignant est d’abord récepteur du message brut (R1), et il peut le décoder en investissant ses capacités et ses connaissances linguistiques et culturelles de téléspectateur. C’est à partir de ce premier niveau de lecture et d’analyse que l’enseignant définit les objectifs d’apprentissage et qu’il organise la réception plus ou moins interactive des apprenants.
En situation d’apprentissage, les récepteurs sont des apprenants (R2) sur lesquels pèsent de nombreuses contraintes didactiques imposées par le cours de langue et l’enseignant. Si pour les apprenants, l’enseignant est l’émetteur principal, il n’est en fait qu’un des émetteurs ; car le DTV est émetteur principal des signes linguistiques et culturels sur lesquels est basé l’apprentissage. Le message vidéo contient des éléments de médiation médiatique auxquels viennent s’ajouter les éléments de médiation didactique : l’enseignant devient intermédiaire de la communication médiatique. Deux niveaux de communication se superposent donc : on distingue à un premier niveau, le contrat de communication médiatique et le message, propice aux interactions cognitives, linguistiques et culturelles. A un deuxième niveau, dans le cadre du contrat didactique, l’enseignant destine ce message aux apprenants et utilise des stratégies d’apprentissage spécifiques, en ce sens, on parlera de double médiation. C’est dans cette situation que les interactions seront les plus nombreuses, le niveau 2 venant renforcer et stimuler l’interactivité avec le niveau 1 et les échanges entre R1 et R2.
La situation de réception en direct apparaît comme l’étape suivante qui témoigne à première vue de l’autonomie de l’apprenant face au média. Cette situation d’apprentissage a parfois été évoquée par les enseignants de langue (chapitre 1.3.4.) pour les avantages qu’elle présente tant d’un point de vue technique que didactique. Il est vrai que le fait de recevoir la télévision en direct permet de contourner la question des droits d’enregistrement, même si le problème est aujourd’hui quasiment résolu582 . Par contre, l’aspect didactique a souvent été mal évalué par les utilisateurs. A la différence de la situation précédemment décrite où le DTV est enregistré et le visionnement répété, le visionnement en direct par le fait qu’il est unique devrait augmenter la motivation de l’apprenant, ce qui est vrai avec des apprenants avancés, mais il ne peut en même temps accroître ses capacités perceptives. La question se pose en terme d’objectifs cognitifs qui semblent avoir été mal définis : on cherche à faire acquérir des savoirs sans développer chez l’apprenant des capacités opératoires de lecture, d’organisation, de décodage visuel et d’écoute. En refusant le cadre d’apprentissage donné par l’enseignement présentiel, on signifie que l’apprenant est un récepteur autonome, c’est-à-dire qu’il est passé de l’apprentissage à l’acquisition, à notre sens, la situation de réception est faussement authentique. En effet, l’interactivité est réduite aux capacités des apprenants, l’enseignant est associé aux récepteurs et n’est pas l’intermédiaire de la situation d’apprentissage décrite ci-dessus, l’enseignant oscille entre le rôle de “super apprenant” et d’évaluateur, situation non communicative que nous avons schématisée ainsi :
Schéma 2 bis : La situation de réception «en direct»
Le visionnement en direct est une situation où l’on cherche à associer l’apprenant au statut du récepteur natif, bien que les cadres de réception n’aient rien de commun (lieu et durée imposés par l’institution, émission choisie par l’enseignant). Les activités menées dans ce cadre de réception semi-authentique sont beaucoup plus réduites que celles avec un DTV parce qu’elles sont limitées par les capacités des apprenants à mémoriser le message. Pour tirer profit du document, des grilles d’écoute et un support écrit sont nécessaires pour orienter l’attention pendant le visionnement et permettre l’appropriation après le visionnement. Cela exige donc de l’enseignant une préparation minutieuse, et plus qu’un visionnement attentif. Si l’on veut donner les moyens à l’apprenant d’analyser et de comprendre les messages authentiques, il nous semble plus efficace de le former d’abord dans un cadre d’enseignement/apprentissage. Il pourra ensuite affronter seul, de manière autonome, le média.
Nous dissocions volontairement la situation de réception de la télévision “en direct” ainsi que les réseaux en ligne comme internet sur lesquels nous reviendrons ci-après.
Patrick Charaudeau, Langage et discours, Paris, Hachette Université, 1983, p. 91.
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