Introduction

Les recherches présentées dans cette thèse se situent dans le cadre des travaux réalisés en psychologie cognitive sur la mémoire. La question qui motive principalement ce travail est celle du format de l’information mémorisée. Ainsi, le Chapitre 1 présente différents points de vue quant à la notion d’unité mnésique. Une vue d’ensemble sur les modèles envisageant la mémoire de façon globale introduit les deux parties principales de ce chapitre. La première partie est centrée sur les modèles utilisant la notion de “concept” pour décrire la forme de l’information stockée en mémoire (e.g., Collins & Quillian, 1969 ; Collins & Loftus, 1975 ; Anderson, 1983) et la seconde présente plusieurs modèles basés sur la notion de “trace” (e.g., Hintzman, 1986 ; Whittlesea, 1987 ; Murdock, 1982 ; McClelland & Rumelhart, 1986). Tous les aspects théoriques des modèles que nous avons choisi de présenter ne sont pas décrits de manière exhaustive. Nous avons plutôt tenté de dégager les éléments pertinents de ces modèles théoriques par rapport aux deux objectifs centraux de cette thèse : (1) préciser la nature d’une “représentation” mnésique ; (2) rendre compte des processus liés à l’accès et à la formation des informations en mémoire. Quelques éléments de réflexion permettent de clore ce chapitre et de situer plus particulièrement nos recherches dans le cadre d’un modèle de mémoire à traces épisodiques et multidimensionnelles. Il s’agit alors de préciser davantage la notion de trace.

Le Chapitre 2 a pour objet de montrer que le paradigme d’amorçage est un outil tout à fait adéquat pour étudier à la fois la nature d’une trace et la dynamique des processus mnésiques. Les effets d’amorçage ont largement été étudiés à travers un matériel de type verbal, aussi un autre indicateur de la nature d’une trace peut provenir de l’observation des effets de fréquence (fréquence lexicale) sur l’amorçage.  L’objet de la première partie de ce chapitre est donc de préciser les caractéristiques de l’amorçage  et de présenter les modèles qui tentent de rendre compte de l’origine de ces effets. Deux types de modèles apparaissent dans la littérature : les modèles d’activation (e.g., Morton, 1969 ; McClelland & Rumelhart, 1981) et les modèles épisodiques (e.g., Jacoby, 1983 ; Roediger & Blaxton, 1987 ; Ratcliff & McKoon, 1988). Le débat entre ces modèles oppose deux points de vue. Le premier considère que les effets d’amorçage sont médiatisés par des représentations préexistantes en mémoire et qu’ils reposent sur un mécanisme d’activation. Le second suppose que les effets d’amorçage résultent de représentations épisodiques et font référence à un mécanisme de “construction”. De plus en plus d’auteurs (e.g., Feustel, Shiffrin, & Salasoo, 1983 ; Forster & Davis, 1984 ; Humphreys, Besner, & Quinlan, 1988 ; Whitlow, 1990 ; Whitlow & Cebollero, 1989) cherchent à concilier les deux points de vue en postulant que les effets d’amorçage proviennent de représentations préexistantes en mémoire et de représentations épisodiques. Par conséquent, ils impliquent à la fois des mécanismes d’activation et de “construction”, ce qui rejoint précisément les questions posées précédemment. Etant donné que nous nous situons dans le cadre de ces modèles mixtes, l’observation de l’influence du temps de présentation des informations et du délai entre la présentation d’informations consécutives sur les effets d’amorçage peut permettre de préciser les aspects temporaux des mécanismes d’activation et de “construction” et de répondre ainsi à notre deuxième objectif. La deuxième partie du Chapitre 2 met en évidence le fait que l’observation de l’influence de la fréquence des informations (fréquence lexicale des mots) sur les effets d’amorçage peut aussi apporter des éléments de réponses quant à la nature des représentations. Cette partie expose plusieurs recherches adoptant les idées des modèles mixtes, qui utilisent le paradigme d’amorçage avec un matériel verbal et manipulent la fréquence des mots. Forster et Davis (1984) ont notamment proposé que les représentations pouvaient être de nature lexicale et épisodique. Plus précisément, ils ont obtenu des effets d’amorçage à court terme insensibles à la fréquence, qu’ils ont interprété (paradoxalement) par l’intervention de représentations de nature lexicale et ont attribué les effets d’amorçage à long terme, sensibles à la fréquence, aux représentations épisodiques.

Les trois expériences du Chapitre 3 s’inscrivent dans la lignée de ces travaux. Dans le cadre du modèle de mémoire que nous adoptons, une trace est épisodique. Simplement, nous avons voulu, dans un premier temps, vérifier l’hypothèse de Forster et Davis (1984) selon laquelle l’activation d’une représentation préexistante d’un mot est bien de nature lexicale. En d’autres termes, il s’agissait de vérifier qu’un épisode de traitement d’un mot, ne favorisant que l’intervention du mécanisme d’activation 1, peut donner lieu à une trace lexicale. Cette problématique fournissait aussi l’occasion de valider les aspects dynamiques du mécanisme d’activation. Notre hypothèse était que si une amorce masquée est capable d’induire une activation à un niveau lexical, alors les effets d’amorçage de répétition masqués devraient aussi dépendre de la fréquence lexicale du stimulus. Contrairement à nos attentes, il est apparu qu’une amorce masquée ne peut pas engendrer d’effet de fréquence sur l’amorçage. Nous en avons déduit que les effets d’amorçage obtenus dans des conditions favorables au mécanisme d’activation seulement, ne peuvent être que pré-lexicaux. D’autres conditions semblent nécessaires pour atteindre le niveau lexical.

L’objectif des Expériences 4, 5 et 6 du Chapitre 4 était donc d’étudier les conditions nécessaires permettant d’atteindre ce niveau de représentation. Ceci implique de définir plus précisément ce que nous entendons par niveau “lexical”. Etant donné que des effets d’amorçage pré-lexicaux émergent dans certaines situations et que des effets d’amorçage lexicaux apparaissent dans d’autres, il nous semble que les caractéristiques de l’épisode de traitement impliquent soit certaines propriétés du mot (orthographiques, phonologiques...) seulement, soit le mot dans sa globalité. Hock, Malcus, & Hasher (1986) ont précisément mis en évidence l’existence d’unités mnésiques globales versus élémentaires (global-level vs. element-level units in memory). L’idée est alors que le niveau lexical reflète le niveau du mot dans sa globalité, c’est-à-dire un niveau intégrant l’ensemble des niveaux pré-lexicaux. Par conséquent, nous supposons que pour atteindre le mot dans sa globalité et obtenir des effets de fréquence sur l’amorçage (whole-word frequency effect) les multiples dimensions constitutives d’une trace d’un mot doivent être intégrées, recombinées. Cette notion d’intégration trouve son origine dans les travaux réalisés dans le domaine de la perception visuelle et de l’attention et a largement été développée par Treisman et ses collaborateurs (e.g., Treisman & Gelade, 1980 ; Treisman & Paterson, 1984). De plus, elle existe dans plusieurs modèles de mémoire décrits au premier chapitre (Nosofsky & Palmeri, 1997 ; Whittlesea, 1987). L’intérêt pour nous est que cette théorie nous permet d’expliciter le mécanisme de construction : l’intégration des dimensions élémentaires d’une trace fait que la trace se maintient à long terme. Une trace intégrée serait donc une trace construite et durable.

Les expériences du quatrième chapitre ont permis d’étudier les conditions nécessaires à la construction d’une trace et son maintien à long terme. De plus, elles semblent confirmer nos interprétations concernant le processus d’intégration sous-jacent. Les Expériences 7, 8 et 9 du Chapitre 5 ont été conçues pour vérifier la validité des interprétations concernant la notion d’intégration, et étudier de façon plus détaillée cet aspect. L’objectif était double. Il s’agissait dans un premier temps, de généraliser les résultats obtenus avec des mots en essayant de les répliquer sur un matériel non verbal et “fabriqué” de façon à contrôler parfaitement les dimensions perceptives impliquées et l’interaction de ces dimensions. D’autre part, il consistait à observer l’influence du type de tâche demandée dans la mise en cause des dimensions seulement ou de la totalité de l’information traitée. Ainsi, il est apparu qu’une trace peut ne concerner qu’une seule dimension et se maintenir à long terme. La notion de trace construite ne se réduit donc pas à celle de trace intégrée.

Suite à la description des expériences réalisées, une conclusion générale clôt ce manuscrit.

Notes
1.

Dans le cadre d’un modèle mixte, l’étude de représentations préexistantes en mémoire implique de se placer dans des conditions favorables au mécanisme d’activation seulement, c’est-à-dire dans des conditions où les amorces sont masquées, présentées brièvement et avec des délais amorce/cible courts.