1.1.1. Les modèles cognitivistes

1.1.1.1. Conception modulaire de la mémoire

Par analogie aux systèmes informatiques, plusieurs modèles fonctionnels décrivent la mémoire comme un espace composé de multiples systèmes et utilisent des schémas censés refléter les processus impliqués dans le fonctionnement mnésique, ceux-ci étant représentés sous forme de modules de traitement spécialisés et autonomes (Atkinson & Shiffrin, 1968 ; Baddeley & Hitch, 1974 ; Broadbent, 1958 ; James, 1890 ; Kosslyn & Koenig, 1992 ; Lieury, 1992 ; Waugh & Norman, 1965). Par exemple, le modèle d’Atkinson et Shiffrin (1968) distingue plusieurs systèmes de mémoire (Figure 1) : un registre sensoriel, une mémoire à court-terme, correspondant à la mémoire vive des ordinateurs et une mémoire à long-terme, analogue à la mémoire centrale des ordinateurs. Ces modules de traitement possèdent des propriétés particulières qui illustrent divers phénomènes mnésiques observables.

message URL FIG001.gif
Figure 1 - Modèle d’Atkinson et Shiffrin, 1968. Les flèches noires indiquent le trajet de l’information, les flèches grises indiquent les signaux de commande.

Par exemple, la mémoire à court-terme est conçue comme un lieu de stockage transitoire des informations, ne pouvant contenir qu’une quantité limitée de données (Miller, 1956). Le temps pendant lequel les informations peuvent se maintenir en mémoire à court-terme, s’il n’y a pas de répétition mentale, est également très limité. Ceci rend compte de manifestations de la mémoire telles que l’oubli rapide d’un numéro de téléphone que l’on vient de chercher dans l’annuaire et que l’on mémorise juste le temps de recomposer le numéro. Le concept de mémoire à court-terme a évolué pour rendre compte du fait que les informations en mémoire à court-terme peuvent être manipulées et traitées (et non plus “simplement”, stockées). Ainsi, les partisans d’une mémoire à systèmes multiples décomposent la mémoire à court-terme en deux autres sous-systèmes fonctionnels : une mémoire sensorielle et une mémoire de travail, cette dernière correspondant à la mémoire à court-terme, non plus en tant que lieu de stockage, mais en tant que lieu de traitement.

La mémoire à long-terme est décrite comme une mémoire qui conserve les informations de manière quasi permanente. Elle est également divisée en plusieurs sous-systèmes fonctionnels : une mémoire implicite et une mémoire explicite (Graf & Schacter, 1985 ; Schacter, 1987). La mémoire implicite (Bowers & Schacter, 1990 ; Perruchet & Baveux, 1989 ; Perruchet & Gallego, 1997 ; Perruchet & Vinter, 1998 et pour une revue voir Nicolas, 1993 ; 1994) ou “memory without awareness” (Jacoby & Witherspoon, 1982) est définie comme une récupération sans souvenir conscient ou intentionnel d’une connaissance antérieure. Elle peut contenir des connaissances de nature variée, procédurale mais aussi, sémantique, épisodique. Au contraire, la mémoire explicite permet le rappel conscient, intentionnel et verbalisable d’expériences antérieures, de faits, d’informations préalablement apprises. Elle contient des connaissances de nature épisodique et sémantique. Certains auteurs supposent que ces deux formes de représentations sont aussi stockées dans des systèmes de mémoire séparées (Tulving, 1972, 1984, 1985a, 1985b ; Sherry & Schacter, 1987). La mémoire épisodique, parfois appelée mémoire autobiographique, contient des informations concernant les expériences ponctuelles du vécu d’un individu, inscrites dans un contexte spatio-temporel. En effet, afin de se remémorer correctement un souvenir, il est nécessaire de tenir compte de l’endroit et du moment de l’événement (Fortin & Rousseau, 1989 ; Tiberghien, 1991 ; Tulving, 1972, 1984 ; van der Linden, 1994). A l’opposé, la mémoire sémantique contient essentiellement l’information nécessaire à l’utilisation du langage. Il s’agit d’un répertoire structuré des connaissances qu’un individu possède, notamment sur les mots et la signification des symboles verbaux. Ce contenu est abstrait et relationnel, et il est associé à la connaissance générale de concepts (Tulving, 1984 ; Fortin & Rousseau, 1989). Les connaissances stockées en mémoire sémantique sont acontextualisées, vraies quel que soit l’espace ou le temps.