1.2.2. Le concept vu comme une combinaison de traits

Les propositions qui apparaissent franchement comme des anomalies sémantiques, (e.g., “un éléphant est un oiseau”) sont toujours très rapidement rejetées. Ces temps très rapides s’accordent mal à une théorie de recherche dans un réseau hiérarchisé : les parcours dans un tel réseau peuvent converger au niveau du noeud “animal” par exemple, mais cela ne valide pas pour autant la relation proposée par la phrase entre les concepts “éléphant” et “oiseau”. Les temps de vérification devraient donc être longs. D’autre part, la vérification d’un énoncé utilisant un atténuant, par exemple “une chauve-souris est presque un oiseau” entraîne, dans la plupart des cas, une réponse affirmative. Pourtant, les deux noeuds-clés n’appartiennent pas à la même catégorie. Cette affirmation paraît possible parce que les “chauves-souris” et les “oiseaux” partagent une caractéristique essentielle, très distinctive de la catégorie des oiseaux : le fait qu’ils aient des ailes. Ces observations ont conduit certains chercheurs à proposer un autre type de modèle : les modèles componentiels postulent qu’un concept est défini par une collection de traits, un ensemble de caractéristiques.

Ainsi, Smith, Shoben et Rips (1974) envisagent un concept comme une liste de dimensions (traits) qui le caractérise : des traits essentiels ou déterminants, c’est-à-dire des caractéristiques nécessaires et suffisantes pour attribuer une catégorie à un exemplaire, et des traits caractéristiques ou accidentels, c’est-à-dire typiques d’une catégorie sémantique. Par exemple, le concept “oiseau” est encodé en mémoire comme l’ensemble des traits “a des ailes”, “peut voler”, “a des plumes”... Le trait “a des plumes” est essentiel au concept “oiseau” alors que d’autres traits comme ceux pouvant décrire la taille par exemple, sont considérés comme des traits caractéristiques, propres à l’exemplaire en question. Les auteurs proposent que, lors d’une vérification d’énoncés, les traits de chaque concept sont examinés et comparés. Dans ce modèle, la vérification d’un énoncé n’est donc plus une recherche dans un réseau, mais une tâche de comparaison entre deux ensembles de traits. Les auteurs postulent que pour répondre à une vérification d’énoncés, l’individu doit effectuer deux stades de comparaison (notons que ces deux étapes seraient réalisées de façon non délibérée et en très peu de temps) :

Un premier stade global où le sujet évalue la typicalité de l’exemplaire. Ce stade inclut trois processus :

Les listes de caractéristiques pour les deux termes sont retrouvées.

Les deux listes sont comparées de façon à déterminer jusqu’à quel point les termes sont similaires. Un indice de similarité globale entre les deux termes, d’une valeur x, est produit par le sujet.

L’indice x est situé par rapport à des critères c0 et c1 établis par le sujet. Si les deux termes sont très similaires (x supérieur à c1), il y a appariement et une réponse positive peut être fournie. C’est le cas par exemple, lorsqu’il s’agit de vérifier qu’“un oiseau est un animal”. Si les deux termes sont très dissemblables (x inférieur à c0), une réponse négative, par exemple à l’énoncé “un moineau est un poisson” peut aussi être donnée immédiatement. En d’autres termes, il existe un certain seuil (c0) au-delà duquel deux choses peuvent nous paraître tellement différentes qu’il est possible de répondre très vite. Ce seuil est une valeur critère qui nous est très personnelle.

Si la valeur de x est intermédiaire (entre c0 et c1), l’individu doit entreprendre une analyse plus approfondie. Dans le second stade du modèle, le sujet examine les caractéristiques essentielles des deux exemplaires. Ce peut être le cas dans la vérification de l’énoncé “une chauve-souris est un oiseau”. Pour cet exemple, un premier stade de comparaison doit mener à établir un indice de similarité situé entre c0 et c1 ; les chauves-souris et les oiseaux partagent certaines caractéristiques générales, mais il existe aussi d’importantes différences. Ce résultat mitigé doit conduire à examiner plus attentivement les caractéristiques essentielles dans la définition des termes de l’énoncé, et permettre de fournir une réponse négative.

Conclusion

Dans ce modèle de comparaison de traits, à l’inverse d’un modèle en réseau par niveaux, la décision par rapport à une anomalie sémantique est d’autant plus rapide que les traits très dissemblables sont nombreux. Mais les deux modèles ne sont pas incompatibles si l’on considère que la recherche en mémoire se fait parallèlement dans un réseau et dans les listes de traits pouvant être stockées au niveau des noeuds de chaque concept du réseau. Ainsi, le point de vue d’un modèle componentiel à propos de la notion de concept est compatible avec une interprétation en termes de réseau. C’est pourquoi, les modèles componentiels sont souvent considérés comme des cas particuliers de réseau sémantique. D’ailleurs, dans leur article sur les réseaux sémantiques, Costermans et Elosùa (1988) les introduisent en termes de “formulation componentielle” des réseaux.