1.2.3. Le concept vu comme un prototype

Rosch et ses collaborateurs (Rosch, 1973 ; 1978 ; Rosch & Mervis, 1975 ; Rosch, Simpson, & Miller, 1976) cherchent entre autre, à rendre compte de certains résultats discordants avec l’organisation hiérarchique des concepts proposée par Collins et Quillian (1969). Par exemple, la proposition “un pingouin est un oiseau” demande un temps de vérification plus long que “un canari est un oiseau”. Or, dans une organisation hiérarchique, le temps nécessaire pour traiter les items situés à un même niveau devraient être identiques. Tous les concepts-exemplaires d’une même catégorie ne sont donc pas équivalents. Rosch et al. (1975, 1976) soutiennent que le degré avec lequel les membres d’une catégorie sont jugés comme étant typiques varie : certains membres sont évoqués beaucoup plus facilement que d’autres, car plus représentatifs (plus typiques) de leur catégorie. Tous les traits, aussi bien les traits essentiels, propres à la catégorie, que les traits caractéristiques, propres à l’exemplaire, participent au jugement catégoriel. En ce sens, les travaux sur la typicalité de Rosch et Mervis (1975) et Rosch, Simpson et Miller (1976) confortent plutôt l’approche selon laquelle le concept est vu comme un ensemble de caractéristiques : un membre d’une catégorie est jugé typique en fonction du nombre de traits qu’il partage avec les autres membres de sa catégorie.

Ceci implique alors de définir tous les traits, de toutes les catégories et de chaque exemplaire ! Or les traits qui composent un concept sont eux aussi des concepts et peuvent être décomposés en traits consécutifs. Le problème est de déterminer la fin de la décomposition, c’est-à-dire de déterminer la nature des attributs les plus élémentaires qui ne peuvent plus être décomposés. Autrement dit, la plupart des catégories n’ont pas de règle bien définie, ni de frontière bien fixe séparant les catégories entre elles. Rosch (1973) suppose que, à partir d’expériences avec des exemplaires, se forme et se développe une “tendance centrale” d’une catégorie, et que le jugement d’appartenance à une catégorie se base sur cette “tendance centrale” ou “prototype”. Le prototype est ainsi défini comme une représentation abstraite possédant les caractéristiques moyennes des exemplaires pouvant appartenir à une catégorie donnée. Le prototype de la catégorie “chien” est un chien moyen, c’est-à-dire qui représente une moyenne des chiens que nous avons pu rencontrer. Ce n’est ni un très gros, ni un petit chien, il n’a ni de très longues, ni de très courtes oreilles..., il représente une moyenne de ces caractéristiques. Pour des éléments protéthiques (e.g., une intensité), la tendance centrale est définie par une valeur moyenne. Pour des éléments métatéthiques (e.g., une couleur), le prototype est défini de façon plus appropriée par une valeur modale. En effet, les sujets à qui l’on présente des stimuli bleus puis rouges n’agissent pas comme si ils avaient vu des stimuli pourpres (Hirschfeld, Bart & Hirschfeld, 1975).

La catégorisation s’effectue en comparant les objets (les exemplaires) à des prototypes, sur la base de leur similarité. Si un objet à classer est similaire au prototype d’une catégorie donnée, il est inclus dans cette catégorie ; sinon, il est classé dans une autre catégorie, celle où se trouve le prototype qui lui ressemble le plus. En d’autres termes, la règle de décision pour répondre à de nouveaux stimuli est d’évaluer les distances entre le stimulus et le prototype (valeur moyenne ou modale) de la catégorie A puis, entre le stimulus et le prototype de la catégorie B, de les comparer, et d’assigner le stimulus à la catégorie pour laquelle la distance stimulus-prototype est la plus faible. Cette distance (globale) est dérivée de la somme des distances calculées sur chaque trait des éléments pris en compte. Les traits d’un élément peuvent être pondérés différentiellement en fonction de l’attention accordée à certains traits distinctifs (Reed, 1972).

Conclusion

La théorie d’une mémoire basée sur la notion de prototype suppose que, lorsque les sujets apprennent à catégoriser, ils forment (par des processus d’abstraction non spécifiés), une représentation mentale des prototypes des catégories. Ainsi, lors d’une tâche de catégorisation constituée d’une phase d’apprentissage et d’une phase test, cette théorie postule que les prototypes, n’ayant jamais été présentés lors de la phase d’apprentissage et apparaissant lors de la phase test, sont catégorisés plus efficacement que les exemplaires qui eux, ont été présentés pendant la phase d’apprentissage. Le fait que des données expérimentales confirment cette hypothèse a conforté les “modèles prototypiques”. Toutefois, ceux-ci sont affaiblis lorsque, quelques années plus tard, apparaissent d’autres modèles permettant de rendre compte des mêmes résultats : les modèles de mémoire basés sur la similarité des exemplaires (Estes, 1986a ; 1986b ; Medin & Schaffer, 1978 ; Nosofsky, 1984).