1.4. Conclusion

Tous les modèles présentés sont simplement des formalismes décrivant la nature supposées des connaissances. Il ne s’agit en aucun cas de modèles de l’architecture (biologique) de la mémoire, les règles et aspects formels adoptés par chaque modèle n’étant pas biologiquement justifiés, sauf peut-être, ceux du modèle connexionniste de McClelland et Rumelhart (1986).

Les Tableaux 1 et 2 synthétisent le point de vue de chaque modèle considéré à propos des notions que nous étudions plus particulièrement. Les modèles qui envisagent l’unité mnésique comme un concept (Tableau 1) postulent que le système mnésique encode séparément des unités symboliques (e.g., mots, propositions, caractéristiques, prototypes) ainsi que des associations entre ces unités, et que ces mêmes unités peuvent être retrouvées. Selon le modèle, les associations entre unités reposent sur un principe d’organisation hiérarchique, de distance sémantique ou sur une comparaison de caractéristiques. Ces principes cherchent cependant tous à évaluer la similarité entre deux unités associées, la difficulté étant de définir le calcul le mieux approprié.

D’autre part, ces modèles mettent principalement l’accent sur l’aspect conceptuel des connaissances et font l’hypothèse qu’elles sont localisées dans une mémoire sémantique. Mais qu’en est-il des autres aspects des connaissances ? Nous conservons aussi en mémoire des connaissances motrices, perceptives, émotionnelles (par exemple). Ces modèles ne font pas d’hypothèse sur les relations entre les différentes formes de connaissances. De plus, ils décrivent des connaissances totalement acontextualisées, ne conservant aucune information sur les épisodes pendant lesquels la mise en mémoire a lieu. Les modèles pour lesquels l’unité mnésique est une trace (Tableau 2) tentent de répondre à ces principales critiques.

Ce qui est commun aux modèles “à traces” est que toute expérience avec un objet ou événement peut être conservée en mémoire sous la forme d’une trace multidimensionnelle. Ces traces sont vues comme des exemplaires spécifiques, contextuels, des points dans un espace multidimensionnel ou des vecteurs de traits. Ces modèles sont aussi plus complets et plus précis quant aux processus impliqués dans les phénomènes mnésiques. Une trace peut être activée par l’apparition d’un item approprié et peut à son tour en activer d’autres. Cette activation repose sur une relation de similarité entre traces, une distance dans un espace cognitif ou sur une force des liens associatifs. Quelle que soit l’interprétation choisie, la mesure de l’association entre deux traces peut être convertie dans l’une des autres interprétations, par une simple transformation (e.g., la similarité est une fonction exponentielle de la distance, Nosofsky, 1991). Ces mesures ne permettent donc pas vraiment de différencier les modèles. La différence réside plutôt au niveau des processus d’encodage et de récupération et des conséquences sur le format de l’information conservée en mémoire et sur le type d’informations retrouvées. L’intérêt de ces modèles, par rapport à ceux qui se basent sur la notion de concept, est aussi que leur structure mnésique est plus souple, dans le sens où une trace ne contraint pas la forme du stockage (i.e., exclusivement sémantique pour les modèles basés sur la notion de concept) et offre de plus larges possibilités pour décrire l’évolution des connaissances en mémoire, la construction de nouvelles connaissances et l’influence de l’épisode de traitement. Il s’agit d’une approche dynamique de la mémoire. Un autre avantage est qu’il n’est plus nécessaire de distinguer un système mnésique sémantique d’un autre système dit épisodique. En effet, ces modèles offrent deux possibilités. Soit l’aspect sémantique d’une information est codé dans une trace au même titre que les autres aspects. Soit il s’agit d’une “tendance” qui émerge de l’activation de multiples traces épisodiques.

Tableau 1 Comparaison des modèles pour lesquels l'unité mnésique est un concept
Collins & Quillian, 1969 Collins & Loftus, 1975 Anderson,1983 Smith, Shoben, & Rips, 1974 Rosch, 1978
Représentation de l'information en mémoire Unités lexicales et sémantiques (noeuds) organisés hiérarchiquement Noeuds organisés selon un principe de distance sémantique Propositions (“unités cognitives”) Listes de traits essentiels et caractéristiques Prototype basé sur la moyenne de tous les exemplaires d'une catégorie donnée
Format sous lequel l'information est conservée en mémoire Unités séparées et localisées, stables et permanentes
Processus d'encodage Non spécifié Plusieurs confrontations à un exemplaire
Processus de récupération Activation et diffusion de l'activation Comparaison de deux ensembles de traits.
Similarité évaluée selon une règle additive
Comparaison item en cours de traitement / prototype.
Similarité évaluée selon une règle additive
Type d'informations retrouvées Concepts (informations générales, abstraites)
Tableau 2 Comparaison des modèles pour lesquels l'unité mnésique est une trace
Medin & Schaffer, 1978 Nosofsky, 1988, 1991 Estes, 1986, 1991 Hintzman, 1986 Whittlesea, 1987 Logan, 1988, 1991 Murdock, 1982 McClelland & Rumelhart, 1986
Représentation de l'information en mémoire Exemplaires (informations contextualisées, spécifiques) définis par un ensemble de traits Points dans un espace multidimensionnel Vecteurs d'attributs Vecteurs de valeurs des primitives (traits) Traces Traces Vecteurs Patrons d'activité sur une série de modules (vides de sens) interconnectés
Aspect multidimensionnel de l'unité mnésique Les traits représentent les multiples composantes d'un exemplaire et sont indépendants Traits indépendants Les traits ne sont pas forcément indépendants, leur poids dans la trace varie selon leur degré d'intégration Traits indépendants et non corrélés Un module traite un type d'information (modules moteurs, perceptifs...) et ne sont pas indépendants
Format sous lequel l’information est conservée Plusieurs traces individuelles, séparées et localisées Une unique trace composite et distribuée
en mémoire Une trace = un exemplaire, représenté une seule fois en mémoire Une trace = un vecteur pouvant être représenté plusieurs fois en mémoire
Processus d'encodage Influence du contexte (aspect épisodique de l'unité mnésique) Influence du contexte mais aussi, des buts, des traitements effectués, rôle primordial de l'attention Convolution Modification des poids des unités du patron d'activation selon les entrées externes et internes
Processus de récupération Comparaison item en cours de traitement / exemplaires stockés.
Similarité évaluée selon une règle multiplicative des traits
Activation en parallèle de toutes les traces stockées. Similarité évaluée selon une règle additive Activation en parallèle des traces stockées Corrélation Rétablissement d'un patron d'activité antérieur
Type d'informations retrouvées Exemplaires spécifiques Echo = trace composite Traces spécifiques (plus ou moins intégrées) Traces spécifiques Trace composite