2.1. Les effets d’amorçage

2.1.1. Définitions et caractéristiques de l’amorçage

En psychologie cognitive, l’amorçage est souvent utilisé dans l’étude de la mémoire à long-terme. L’amorçage  traduit un mécanisme qui fait intervenir la mémoire de façon implicite, c’est-à-dire qu’il implique une récupération non consciente de l’information de la part du sujet. L’effet d’amorçage  est défini comme reflétant l’influence  de la présentation préalable d’un stimulus (l’amorce) sur le traitement d’un stimulus consécutif (la cible), celui-ci pouvant être identique ou associé à l’amorce. Cette influence du traitement de l’amorce sur celui de la cible est mesurée par la différence entre les performances issues de la condition où les stimuli amorce et cible n’ont aucun lien et les performances de la condition où les stimuli amorce et cible sont identiques ou associées. Elle se traduit généralement soit par une baisse de la latence nécessaire pour traiter (e.g., identifier ou catégoriser) le stimulus amorcé, soit par une augmentation de la probabilité d’identifier ou de catégoriser (par exemple) correctement le stimulus amorcé. Dans ce cas, l’amorçage  est positif. L’amorçage peut être négatif lorsque l’amorce perturbe le traitement de la cible.

Il existe plusieurs paradigmes d’amorçage. Le paradigme d’amorçage “en ligne” (“on-line” priming) consiste à présenter une amorce et une cible par couple, c’est-à-dire l’une à la suite de l’autre, avec un délai plus ou moins court entre les deux stimuli (appelé ISI ou Intervalle Inter Stimulus). Notons que le temps de présentation de l’amorce plus le ISI constitue le SOA (Stimulus Onset Asynchrony). Le paradigme d’amorçage “par phases” (“study-test” priming) procède différemment : toutes les amorces sont présentées au cours d’une phase d’étude (ou phase d’amorçage) puis les cibles sont présentées lors d’une phase test. Les buts d’une recherche utilisant la technique d’amorçage déterminent le choix du paradigme. Généralement, l’amorçage en ligne est censé pouvoir mettre en évidence des effets d’amorçage de courte durée, alors que l’amorçage par phases favoriserait plutôt l’émergence  des effets d’amorçage à long terme. Toutefois, l’amorçage  en ligne peut aussi permettre d’étudier les effets d’amorçage à plus long terme (si certaines conditions sont respectées) et se révèle être un paradigme intéressant lorsqu’il s’agit notamment d’étudier le décours temporel des effets d’amorçage.

D’autre part, deux types d’amorçage sont généralement distingués, mais le vocabulaire utilisé pour désigner un type particulier d’amorçage varie selon les auteurs. Par exemple, Cabeza et Otha (1993) et Tulving et Schacter (1990) distinguent “amorçage perceptif” (encore appelé “amorçage induit par les données” ou “data-driven priming”), et “amorçage sémantique” (souvent nommé “amorçage conceptuel” ou “conceptually-driven priming”). Pour ces auteurs, les performances des sujets à un test d’amorçage  dépendent de la façon dont les attributs des cibles ont été encodés lors de la phase d’étude. Ils supposent que lors d’un test d’amorçage dit perceptif, les représentations activées sont essentiellement perceptives. Dans ce cas, l’amorçage  est une expression d’un Système de Représentation Perceptif qui opère à un niveau pré-sémantique et stocke les aspects relatifs à la forme et à la structure des informations traitées (Schacter, 1992 ; Schacter, Chiu, & Ochsner, 1993). Par contre, dans un test d’amorçage dit sémantique, les représentations activées lors du traitement de l’amorce sont de cette nature. Ce type d’amorçage serait donc basé sur des opérations de la mémoire sémantique.

D’autres termes existent toutefois dans la littérature et différencient “amorçage de répétition” et “amorçage associatif”. L’amorçage de répétition consiste à présenter deux fois le même stimulus en amorce et en cible, alors qu’un paradigme utilisant l’amorçage associatif utilise une amorce et une cible différentes mais présentant des similitudes (e.g., chaise/table, nature/mature...). Certains auteurs développent l’idée selon laquelle l’amorçage de répétition est basé sur des phénomènes perceptifs de bas niveaux (Cave, Boste, & Cobb, 1996 ; Jacoby & Hayman, 1987 ; Masson, 1986 ; Roediger et Blaxton, 1987). Par exemple, les effets d’amorçage de répétition sont réduits ou disparaissent quand la modalité de présentation des items est modifiée entre les phases d’étude et de test (Graf, Shimamura, & Squire, 1985 ; Jacoby & Dallas, 1981 ; Roediger & Blaxton, 1987) ou lorsque les items présentés en amorces puis en cibles sont radicalement différents, par exemple, lorsque l’amorce est un mot et la cible une représentation imagée du mot (Rajaram & Roediger, 1993 ; Srinivas, 1993). Ainsi, l’amorçage de répétition est souvent assimilé à l’amorçage perceptif. Pourtant, plusieurs études ont récemment montré que certaines manipulations perceptives (e.g. des changements au niveau de la taille, de la localisation des items) ne produisent pas les effets attendus sur l’amorçage de répétition si l’on suppose que celui-ci repose sur des traitements perceptifs (Cave & Squire, 1992 ; Schacter, Cooper, & Delaney, 1990). Il semble donc que l’amorçage  de répétition soit sensible aux traitements perceptifs qu’impliquent les stimuli mais apparemment, pas seulement (ou pas complètement). En effet, il nous semble que l’amorçage de répétition peut provenir de représentations perceptives, mais aussi de représentations sémantiques (par exemple), puisque les amorces et les cibles sont, dans le cas d’un amorçage de répétition, identiques aussi bien perceptivement que sémantiquement ! Les termes “amorçage de répétition” quand l’amorce est identique à sa cible ; et “amorçage associatif” sinon (en précisant dans ce dernier cas, la nature de l’association amorce/cible, celle-ci pouvant être sémantique : chaise/table ; orthographique : maire/mer ; phonologique : mature/nature...) nous paraissent plus appropriés (que des termes tels que “perceptif” ou “sémantique”), parce que cette dichotomie est d’ordre méthodologique et n’interprète pas “d’emblée” la nature des représentations mnésiques sous-jacentes.

Bien que l’existence des effets d’amorçage soit tout à fait établie, l’explication de ses origines donne encore actuellement lieu à des controverses (pour une revue, voir Richardson-Klaven & Bjork, 1988 ; Schacter, 1987 ; Tenpenny, 1995) et fait l’objet d’un débat théorique en rapport étroit avec la problématique posée à savoir, la nature des informations en mémoire. En fait, il s’agit de savoir si les effets d’amorçage  sont médiatisés par des représentations abstraites (e.g., des unités pré-lexicales et/ou lexicales), des représentations épisodiques (e.g., des traces), ou par les deux à la fois.