2.1.4. Conclusions

Les modèles d’activation peuvent prédire des effets d’amorçage dans des situations où les modèles épisodiques n’en prévoient pas et inversement, pourtant aucune de ces théories ne peut à elle seule rendre compte de l’ensemble des résultats observés dans les études utilisant le paradigme d’amorçage. En effet, l’existence des effets d’amorçage masqués est incompatible avec une explication épisodique. De même, les effets d’amorçage de répétition à long terme et les effets d’amorçage observés sur les pseudomots nécessitent vraisemblablement l’intervention d’autres mécanismes qui semblent exclure le point de vue des modèles d’activation. Aussi, plusieurs auteurs développent une position alternative en supposant que les effets d’amorçage de répétition résultent de plus d’un mécanisme (e.g., Durgunoglu & Neely, 1987 ; Forster et al., 1984 ; 1990 ; Feustel, Shiffrin, & Salasoo, 1983 ; Humphreys et al., 1988 ; McKone, 1995 ; Nevers & Versace, 1996 ; 1998a ; Salasoo et al., 1985 ; Schacter & Graf, 1996 ; Weldon, 1991 ; Whitlow, 1990 ; Whitlow et al., 1989 ; Woltz, 1990).

Dans la perspective d’une théorie de la mémoire telle que celle décrite à la fin du Chapitre 1, les connaissances résulteraient d’une part, de l’activation simultanée de multiples traces épisodiques et multidimensionnelles  et d’autre part, de la construction de nouvelles traces de ce type. Notre objectif est de tenter de valider cette conception d’une mémoire à traces en étudiant la nature des traces mnésiques activées et/ou construites selon le processus en cause, ce qui implique de déterminer les conditions nécessaires aux processus d’activation et de construction. Nos recherches se situent donc clairement dans le cadre d’un modèle mixte : les effets d’amorçage sont supposés provenir soit d’une activation de traces préexistantes, soit d’une construction de traces nouvelles, soit des deux à la fois (ces mécanismes étant tous deux consécutifs au traitement de l’amorce). En d’autres termes, il est supposé que le traitement du stimulus amorce se traduit par une activation en mémoire de toutes les traces mnésiques reliées à ce stimulus et peut être aussi, lorsque les conditions le permettent, par une construction de nouvelles traces mnésiques. Les données de la littérature ont précédemment montré que les effets d’amorçage pouvaient avoir différents effets dans le temps, selon le paradigme utilisé et selon les conditions de présentation des amorces. Il apparaît donc que le paradigme d’amorçage est un outil intéressant pour étudier les conditions nécessaires à l’activation, et surtout à la construction d’une trace. En effet, les conditions nécessaires à l’émergence de ce dernier mécanisme manquent singulièrement de précisions.

D’autre part, la composition des traces activées et des traces construites doit dépendre de la nature des informations traitées. Le traitement ultérieur du stimulus cible sera donc plus ou moins efficace  selon qu’il met en jeu ou non des traces en rapport avec celles impliquées par l’amorce. D’où l’idée selon laquelle  il est possible d’évaluer la nature des traces mnésiques à partir de la variation des effets d’amorçage en fonction des conditions dans lesquelles les stimuli sont présentés et des dimensions des stimuli impliquées dans le traitement. Les recherches utilisant le paradigme d’amorçage  auxquelles nous nous sommes intéressés utilisaient principalement un matériel verbal. Lors du traitement d’un tel matériel, la trace activée ou construite est-elle de nature lexicale ?  Cette question rejoint celle à laquelle se trouvent confrontés les modèles théoriques de l’origine des effets d’amorçage. Les modèles mixtes (que nous adoptons) émettent l’hypothèse selon laquelle les effets d’amorçage proviennent, du moins partiellement, de représentations stockées dans le lexique et de “représentations” reconstruites lors du traitement de l’amorce, propres à l’épisode de traitement (e.g., Feustel et al., 1983 ; Forster et al., 1984 ; 1990 ; Whitlow, 1990). La deuxième partie de ce chapitre expose quelques unes des recherches en faveur de ce point de vue.