Chapitre 3
Etude des effets de fréquence sur l’amorçage de répétition masqué : activation lexicale ou pré-lexicale ?

De nombreuses recherches ont montré qu’une amorce difficilement perceptible (i.e., masquée) pouvaient néanmoins faciliter le traitement de la cible (se reporter au Chapitre 2, paragraphe 2.1.3.1). Comme Forster et Davis (1984), nous supposons que ces effets d’amorçage masqués sont dus à un mécanisme d’activation (plutôt qu’à une composante épisodique impliquant un mécanisme que nous désignons sous le terme de “construction”), ceci parce que l’activation est décrite comme un mécanisme (1) automatique, intervenant sans qu’il y ait nécessairement une prise de conscience de l’information, (2) immédiat, émergeant quel que soit le type d’information à traiter, et (3) temporaire, c’est-à-dire ayant un effet dans le temps relativement bref (alors que nous supposons que le mécanisme de “construction” a besoin de temps et d’une prise de conscience des informations pour se mettre en place). Dans le cadre du modèle dans lequel nous nous situons, nous proposons que :

Ces postulats permettent de rendre compte des effets d’amorçage de répétition et des effets de fréquence sur l’amorçage. Comme l’ont énoncé McClelland et Rumelhart (1981), nous supposons que les effets d’amorçage de répétition correspondent au gain d’activation résultant de la présentation de l’amorce, c’est-à-dire à un niveau résiduel d’activation (voir Figure 11). Cependant, contrairement à ces auteurs, nous proposons que les effets d’amorçage sont équivalents au temps nécessaire pour atteindre le niveau résiduel d’activation à partir du niveau d’activation initial (voir Figure 12, ci-après). En d’autres termes, nous postulons que les effets d’amorçage  de répétition peuvent être expliqués non seulement par le niveau résiduel d’activation, mais aussi par la pente de la courbe d’activation.

Précisément, d’après les postulats 3 et 4, la pente et le maximum des courbes d’activation doivent être plus importants pour les informations fréquentes que pour les informations rares. De ce fait, lorsque les informations en question sont consciemment perçues, le seuil d’identification est atteint plus vite lorsque les informations traitées sont fréquentes que lorsqu’il s’agit d’informations rares, ce qui rend compte du fait bien établi selon lequel les mots fréquents sont identifiés plus vite que les mots rares. Lorsque les informations ne sont pas consciemment perçues, le seuil d’identification n’est pas atteint lors de la présentation de l’amorce, mais peut l’être lorsque la cible est présentée (Burton, Bruce, & Johnston, 1990). En outre, puisque le niveau résiduel d’une activation fréquente doit être supérieur à celui d’une information rare (McClelland & Rumelhart, 1981) et que nous postulons que la pente d’une courbe d’activation d’une information fréquente doit être plus abrupte que celle d’une courbe d’activation d’une information rare, le temps mis pour atteindre le niveau résiduel doit varier selon la fréquence de l’information (i.e., la pente) et selon la “hauteur” du niveau résiduel (dépendant du délai amorce/cible). Plus simplement, les effets de fréquence sur l’amorçage de répétition masqué devraient varier avec le SOA.

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Figure 12 - Evolution hypothétique des courbes d’activation des informations fréquentes et rares et effets d’amorçage de répétition correspondants.

Ainsi, la principale différence entre la conception de ces auteurs et la notre, réside dans le fait que nous avons la possibilité de rendre compte d’effets d’amorçage de répétition variant selon le délai amorce/cible et selon la fréquence des informations traitées, même dans le cas où l’activation n’atteint pas le seuil d’identification (i.e., lorsque l’amorce est masquée). Les prédictions quant aux effets de fréquence sur l’amorçage de répétition masqué sont les suivantes :

Les expériences présentées dans ce chapitre ont pour objet commun de chercher à valider les principes énoncés à propos des effets de fréquence sur l’amorçage  de répétition masqué d’une part, et du mécanisme d’activation d’autre part. L’objectif est donc double : il s’agit (1) de mettre en évidence des effets d’amorçage de répétition masqués variables selon la fréquence des informations. Si une variable censée intervenir au niveau lexical, telle que la fréquence des mots utilisés (i.e., fréquence d’usage ou fréquence “lexicale”) produit des effets sur l’amorçage  de répétition masqué, alors il sera possible de conclure que les effets d’amorçage de répétition masqués s’expliquent par une composante lexicale,  c’est-à-dire que la trace de l’information traitée, en l’occurrence ici, un mot, est de nature lexicale ; (2) de rendre compte de la dynamique du mécanisme d’activation. Si l’activation est un mécanisme automatique, intervenant sans prise de conscience “obligatoire” de l’amorce, alors des effets d’amorçage devraient exister avec des amorces masquées. Si l’activation est immédiate, alors les effets d’amorçage devraient émerger très précocement. Enfin, si l’activation est un processus temporaire, les effets d’amorçage devraient avoir un effet dans le temps assez court.

Pour atteindre ces objectifs, les expériences présentées dans ce chapitre se placent dans des conditions favorables à l’étude du mécanisme d’activation seulement, à l’exception de la première expérience réalisée avec des amorces non masquées, afin de tester le matériel expérimental  utilisé.