4.5. Discussion générale

Les Expériences 4, 5 et 6 fournissent des données intéressantes à propos des deux questions évoquées en début de chapitre, concernant les conditions nécessaires à l’émergence de la composante épisodique des effets d’amorçage de répétition et la nature de ce qui est activé par l’amorce selon les conditions dans lesquelles elle apparaît. Les résultats principaux sont les suivants. (1) Avec des amorces présentées pendant 50 ms et une tâche interférente qui interrompait le traitement de l’amorce, l’effet d’amorçage  de répétition ne dépendait pas de la fréquence et déclinait avec l’augmentation du ISI. Avec une tâche interférente qui interrompait effectivement le traitement de l’amorce, aucun effet d’amorçage de répétition n’apparaissait avec un ISI de 3000 ms, quelle que soit la fréquence de la cible. Ces résultats peuvent être comparés à ceux obtenus dans l’Expérience 3 du chapitre précédent, dans laquelle les amorces étaient masquées. Ainsi, ce n’est pas la procédure de masquage qui explique réellement l’absence d’effet de fréquence sur l’amorçage  mais plus précisément, le temps trop court dévolu au traitement de l’amorce. (2) Avec des amorces présentées pendant 700 ms, l’amorçage de répétition était systématiquement plus important pour les mots rares que pour les mots fréquents et restait significatif même avec un ISI de 3000 ms.

Un des objectifs était d’étudier les conditions nécessaires à l’émergence de la composante épisodique des effets d’amorçage de répétition. Si l’on considère que la persistance à long terme des effets d’amorçage de répétition est un bon indicateur de l’origine épisodique de ces effets, alors cette étude a clairement mis en évidence qu’un temps de traitement minimum était nécessaire pour que cette composante épisodique des effets d’amorçage  apparaisse. Ainsi, le fait d’activer “simplement” des traces mnésiques n’est pas suffisant pour que de nouvelles traces se construisent en mémoire. Des conditions spécifiques sont nécessaires afin que l’activation engendrée par l’amorce persiste à plus long terme. Ainsi, ces études ont montré que ce que nous désignons sous le terme de “construction” est la conséquence à long terme du processus d’activation.

Mais que se passe-t-il pendant la présentation de l’amorce qui permette la construction de nouvelles traces épisodiques en mémoire ? L’atténuation de l’effet de fréquence observée dans cette étude et dans d’autres (voir Chapitre 4 et les auteurs déjà cités à ce propos) est associée, semble-t-il, à l’apparition des effets d’amorçage à long terme. Etant donné que la fréquence “lexicale” réfère à la fréquence “globale” du mot (i.e., à la fréquence d’apparition ou d’usage du mot dans le langage courant, et non pas à la fréquence de ses constituants), le fait que les effets d’amorçage à long terme soient concomitants avec l’atténuation de l’effet de fréquence semble signifier que les effets à long terme nécessitent un traitement de l’amorce au-delà du niveau pré-lexical. Si l’effet de fréquence sur l’amorçage ne se manifeste qu’à long terme, c’est peut-être qu’il faut du temps pour que les composantes de la trace soient intégrées. L’hypothèse est que les composantes activées doivent être intégrées pour que les effets d’amorçage se maintiennent à long terme et que l’effet de fréquence sur l’amorçage apparaisse. Une telle intégration d’activations perceptuelles ne devrait pas être possible si le temps de présentation de l’amorce est trop bref. De plus, l’intégration d’activations perceptuelles est aussi probablement nécessaire pour identifier consciemment un mot. Ceci répond à la question centrale de cette thèse. Sans un traitement de l’amorce suffisant, la présentation de l’amorce peut produire des activations à des niveaux pré-lexicaux (i.e., des niveaux orthographiques ou phonologiques) pouvant donner lieu à des effets d’amorçage orthographiques ou phonologiques à court terme (e.g., Colombo, 1986 ; Ferrand et al., 1993 ; Forster et al., 1987 ; Lukatela et al., 1994 ; Segui et al., 1990a ; 1990b ; Sereno, 1991 ; Versace, 1998). Lorsque l’amorce a été traitée “complètement”, cela se traduit par le fait que les éléments pré-lexicaux activés ont été intégrés en un tout, ce qui détermine la nature lexicale de la trace construite.