0.4.3 Le chercheur catalyseur du processus d'interactivité cognitive* à vocation transformatrice

Aujourd'hui, l'intrusion en sciences de gestion de nouveaux référents épistémologiques, issus d'autres champs de savoir, ouvre de nouvelles perspectives et propose de nouveaux repères de nouvelles méthodes aux chercheurs (Martinet A-C., 1990 31 ; Tapia C., 1991 32 ). Ce changement de vision concerne en particulier les démarches d'investigation dites "de terrain", à savoir l'observation in situ de la gestion des entreprises 33 . Depuis quelque dix ans, en effet, les fondements de cette approche sont à la fois critiqués et régénérés par la montée en puissance du paradigme constructiviste* (Piaget J, 1950 34 ) dans les sciences sociales et de gestion, ainsi que par divers autres apports (Arnaud, 1996 35 ).

Cette logique exclut toute approche de nature ethnologique et contemplative. L'intervenant est partenaire dans l'action et coproducteur de connaissances avec les acteurs de l'entreprise, dans le cadre d' un processus d'interactivité cognitive (Savall H. Zardet, V., 1995 36 ) ayant pour perspective la transformation de l'objet de recherche à partir d'hypothèses explicites au démarrage de la recherche de terrain.

Le chercheur est aussi à la fois sujet et objet, dans et hors de l'entreprise. La recherche expérimentation nécessite une alternance des prises de positions du chercheur (d'immersion et de distanciation) et une qualité de l'information suffisante. La méthodologie et les outils de la démarche socio-économique favorisent la mise en œuvre de ces principes.

Ceci étant, l'observation-participante nécessite, chez le "chercheur-observateur", une vigilance particulière. En effet, "dans la démarche de l'observation in situ , les variables s'enchevêtrent et se parasitent mutuellement" (Aktouf O., 1987 37 )

La validation scientifique des hypothèses que l'on aura formulées préalablement à l'expérimentation, nécessite donc de renforcer l'observation par d'autres techniques comme les questionnaires, les entretiens et l'analyse de documents (Jameux C., Meschi P-X., Moscarola J., 1996 38 ).

Le compromis que nous avons du faire entre notre projet de recherche (logique de connaissance) et les problèmes de terrain identifiés par certains décideurs des organisations supports (logique d'action) (Berry M., 1984 39 , Girin J., 1987 40 ), nous a conduit à tenter de réduire, dans la mesure du possible, les risques liés à l'utilisation des discours d'acteurs plus ou moins informés (Moisdon J-C., 1984 41 ).

Raison pour laquelle nous avons construit, borné notre problématique avec la plus grande vigilance possible 42 , pour donner à notre objet de recherche une visibilité acceptable (Droz R., 1984 43 ). Malgré tout il faut bien avoir conscience des faiblesses et des limites de nos travaux et de notre position d'intervenant chercheur.

Notes
31.

MARTINET A-C. (coordonné par), "Epistémologies et sciences de gestion", Economica, 1990, 249 p., pp. 9-29.

32.

TAPIA C., "Management et sciences humaines", Editions d'Organisation, 1991.

33.

Etymologiquement, le verbe observer est dérivé du latin "observare", la racine "servare" ayant à la fois le sens de "faire attention à" et de "conserver", le préfixe "ob" signifiant "devant". Observer, c'est littéralement porter son attention perceptive (c'est-à-dire principalement visuelle bien sûr mais aussi auditive) sur quelque chose devant soi, afin d'en conserver l'empreinte. FOULQUIE P., "Dictionnaire de la langue philosophique", Presses Universitaires de France, 1962 ; GOGUELIN P., "Le penser efficace, la problémation", SEES, 1967. "In situ", signifie en milieu "naturel".

34.

Issu, à l'origine, des travaux du psychologue et épistémologue PIAGET J., "Introduction à l'épistémologie génétique", 3 tomes, Presses Universitaires de France, 1950.

35.

Apports convergents de l'ethnologie ou de l'ethnopsychanalyse, de la psychologie sociale ou de la micro-sociologie. ARNAUD G., "Quelle stratégie d'observation pour le chercheur en gestion, Prolégomènes à toute recherche in situ", Collection Economies et Sociétés, Revue Sciences de Gestion n°22, octobre 1996, pp. 235-264.

36.

Savall H. Zardet, V. "La dimension cognitive de la recherche intervention : la production de connaissances par interactivité cognitive" ' 1995, op. cit.

37.

AKTOUF O., "Méthodologie des sciences sociales et approche qualitative des organisations", Presses de l'Université du Québec, 1987.

38.

Le recours explicite aux techniques d'échantillonnage, d'enquête et d'analyse de données est largement utilisé, il représente 40% des thèses recensées, JAMEUX C., MESCHI P.-X. et MOSCAROLA J., "La production de thèses en stratégie en France", septembre 1996, op. cit., p. 9.

39.

BERRY M., "Logique de la connaissance et logique de l'action", Ecole Polytechnique, 1984.

40.

GIRIN J., 'L'objectivation des données subjectives. Eléments pour une théorie du dispositif dans la recherche interactive", Actes du colloque "La qualité des informations scientifiques en gestion : méthodologies fondamentales en gestion", organisé par I'ISEOR avec la participation de la FNEGE les 18 et 19 novembre 1986, pp. 170-186.

41.

MOISDON J.-C., "Recherche en gestion et intervention", op. cit., septembre -octobre 1984, pp. 61-73.

42.

Rappelons la notion de "filtre épistémique" développée par MORIN E., "La méthode (Tome 4): Les idées, leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisation", Seuil, 1991, 261 P.

43.

DROZ R., "Observations sur l'observation", in l'observation, 1984, pp. 7-29.