Première partie : Regulation finalisée des activités élémentaires : construction mentale de la réalité

Chapitre premier Régulation finalisée : positionnement conceptuel et théorique

La littérature théorique et factuelle, en alimentant fortement notre processus de recherche, a largement contribué au développement de notre objet de recherche. La construction mentale de la réalité suppose en premier lieu un positionnement théorique présenté ci après.

La problématique de régulation d'une opération de construction est celle d'une forme organisationnelle hybride de coordination économique que l'on peut dénommer "réseau ou entreprise projet". En guise de définitions de réseau, nous proposons celles données par Boulanger et Perelman G. (1990 61 ) : "C'est un assemblage de petites unités dispersées, reliées entre elles de façon plus ou moins formelle et organisée, pour satisfaire des besoins communs", ou, dans une optique plus gestionnaire, " le réseau est un dispositif de forme éclatée permettant de mettre en œuvre simultanément, en plusieurs endroits, un ensemble d'actions, avec une adaptation souple au terrain". Il convient aussi de situer les réseaux d'entreprises par rapport aux deux formes "pures" de coordination économique connues, la hiérarchie et le marché comme le rappelle D. Weiss (1994 62 ) :

  • la coordination par le marché, " La main invisible" selon l'expression consacrée d'A. Smith (Mairet G., 1976 63 ) qui est sensée parvenir à l'équilibre du marché et à la satisfaction des intérêts de tous,
  • la hiérarchie qui s'exerce dans le cadre d'une organisation structurée, un agrégat physique qui correspond à une entité juridique.

Entre les deux, nous retrouvons selon le même auteur, toute une possibilité de formes hybrides d'organisation et de coordination dont les caractéristiques principales sont les suivantes :

  • elles modifient selon A. Camuffo (1992 64 ) substantiellement la logique des transactions de travail, dans le sens que les rapports de travail autonome prévalent sur ceux du travail subordonné, et que les relations employeur-employeur prennent le pas sur les relations traditionnelles employeur-salarié 65 ,
  • elles marquent le passage de l'entreprise propriétaire à l'entreprise organisation, de l'entreprise-structure à l'entreprise-projet, laquelle projette ses propres frontières organisationnelles en un schéma productif pouvant varier dans le temps, et devenir structurellement instable,
  • elles marquent le passage d'une Organisation Centrée Sur Son système de Contrôle en une Organisation Centrée Sur Son Système de Mémorisation (Le Moigne J-L., in Avenier M. J., 1993 66 ),
  • elles privilégient le projet sur la structure,
  • elles ont des frontières mobiles avec l'évolution du projet,
  • elles supposent un type de pilotage particulier de type procédural, le management projet qui recouvre une double action simultanée sur le produit (finalité du projet) et sur les processus de réalisation "co-pilotage de projet collectif co-conçu" (Avenier M-J., 1993 67 ),
  • elles impliquent la nomination d'un responsable projet sur la totalité de la filière,
  • elles sont fondées sur la confiance.

La confiance est, selon A. Mayère (1993 68 ) aussi sinon plus importante que le contrat classique dans un contexte évolutif et d'interdépendance forte. Elle permet de réduire les incertitudes liées à l'asymétrie et à l'incomplétude de l'information (Ménard. C., 1990 69 ). Elle contribue à rendre un peu plus prévisible les comportements d'acteurs en matière de stratégie, de relations du travail et de gestion des ressources humaines. Elle est d'une importance capitale au niveau des rapports contractuels partenariaux et des coopérations à moyen et long terme qui ont pour finalité première de concilier autonomie et interdépendance.

Si les opérations de construction rentrent bien dans ce type de forme organisationnelle intermédiaire (L'OC est une "entreprise-projet" crée par le marché (contrats) faite d'une constellation "d'entreprises-structures", il faut bien admettre que leurs systèmes de régulation que nous avons observé ne réunissent que rarement les caractéristiques minimales énoncées précédemment.

Les organisations structures et leurs systèmes de coordination internes prennent généralement le pas sur le projet pour une raison extrêmement simple : L'OC est éphémère alors qu'elles sont pérennes tout comme leur système de régulation.

Partant de la notion centrale d'activité élémentaire vue comme objet de régulation, et d'articulation de nos concepts, puisque nous l'avons retenue dans nos travaux comme unité de base et niveau d'analyse pertinent, nous nous proposons dans ce chapitre d'identifier et de développer les notions et concepts :

  • de champs d'expression des activités élémentaires (§ 1.1),
  • de régulation diachronique (§ 1.2) et synchronique des activités élémentaires (§ 1.3),
  • de régulation finalisée (§ 1.4).
Notes
61.

Boulanger et G. Perelman,"Le réseau et l'infini", Nathan,1990.

62.

Weiss D., "Nouvelles formes d'entreprise et relations de travail", RFG N°98, 1994, p. 95.

63.

SMITH A., in "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, les grands thèmes", Mairet G., Gallimard, 1976.

64.

Camuffo A., "Mercati interni del lavoro e gestione del personale", in costa (éditeur), Manuale di gestione del personale, UTET, 1992.

65.

Exemple : La loi du 31 12 1993 sécurité-santé des travailleurs engagés dans des opérations de bâtiment et de génie civil. L'exposé des motifs, en précisant que le chantier, par nature lieu de coactivité, doit être regardé comme un espace dans lequel chaque intervenant est soumis aux mêmes règles, consacre l'irruption sur la scène du travailleur indépendant, c'est à dire celui qui n'est pas lié par un contrat de travail à un employeur, et considéré, à l'égal de l'employeur qui travaille lui même sur le chantier, comme devant respecter, à l'égard des autres intervenants et vis à vis de lui-même, les règles de sécurité. Le droit français ne soumettait à cette obligation que les chefs d'établissement et leurs salariés.

66.

Le Moigne J-L., 1986 in Avenier M-J., "La problématique de l'eco-management (PEM)", Revue Française de Gestion, N° 93, 1993. L'auteur utilise la métaphore des carrefours routiers (feux et ronds points) pour illustrer son propos.

67.

Avenier M-J., "La problématique de l'eco-management (PEM)", Revue Française de Gestion, N° 93, 1993.

68.

Mayère A., Maître de conférences ENSSIB, "Sciences de gestion et sciences de l'information : fragment d'un discours inachevé", RFG N° 96, nov - Dec 1993.

69.

Menard. C., "L'économie des organisations", La Découverte, Paris, 1990.