1.2.1.1 Les limites de la théorie économique de la firme

A travers la plupart des théories de la firme connues, nombre de réponses ont été apportées sur notamment le pourquoi de l’existence des firmes, leurs objectifs, le degré de rationalité* de leurs acteurs, l’importance de la dimension comportementale ou du facteur X organisationnel (Liebenstein H., 1976 71 ). Pouvons-nous pour autant affirmer que nous disposons désormais d'une représentation de la firme qui serait à la fois robuste théoriquement, capable de rendre compte des faits réels, et universellement admise ?

Force est de constater que non, même si les avancées sont considérables. De contributions en contributions, des précisions essentielles ont certes été apportées et des déterminations nouvelles mises en évidence, mais la théorie de la firme reste confrontée, dans son état actuel, au moins à trois limites nettement identifiables.

La première vient de ce que chaque théorie, si elle fait avancer la réflexion sur la caractérisation de la firme, procède par mise en avant exclusive d'une ou deux déterminations centrales, à l'exclusion de toute autre. En s'interdisant ainsi la prise en compte de déterminations pourtant fondamentales, chaque théorie ne peut prétendre à une compréhension complète de la firme.

La seconde, qui résulte directement de la première, provient de ce que les différentes théories connues semblent plus souvent être rivales que complémentaires, si bien que nous ne disposons pas vraiment d'une théorie cohérente de la firme, intégrant les différentes dimensions dans lesquelles l'analyse s'est développée.

La troisième tient à ce que, pour la plupart des théories évoquées, la dimension espace-temps n’est jamais réellement pré-déterminée et si elle existe elle reste secondaire. On peut comprendre l’apparition des firmes, leur raison d’être, elles sont entreprise-structure ou entreprise-projet, et quand elles existent, elles luttent généralement pour leur survie et sont sensées être là pour l’éternité. Pourtant, il est possible de considérer à priori que toutes les organisations humaines sont éphémères à l'aune de l'histoire même si pour la grande majorité leur raison d'être est justement de durer (certaines existent depuis plusieurs siècles).

De faite, il n’y a pas à proprement parler de théorie des organisations éphémères de type "projet" pensées dès le départ hors de toute structure porteuse existante pour un objet précis et une durée de vie limitée (cadre espace-temps prédéterminé). Les opérations de construction qui rentrent dans ce cadre nous invitent à réfléchir à une grille de lecture particulière des théories existantes.

A travers une lecture centrée de théories reconnues de la firme nous nous proposons en premier lieu d'identifier les attributs les plus significatifs susceptibles de borner au plan diachronique les trois étapes essentielles de l'existence d'une firme par rapport à son environnement pertinent (objectivation des finalités, formalisation des finalités et réalisation des finalités).

Enfin par une contraction du temps (du temps historique au temps humain) nous replacerons les récurrences ou les singularités observées dans les différentes théories dans le cadre des organisations volontairement éphémères telles que les opérations de constructions pour en faire émerger les spécificités en matière de régulation.

Pour identifier les questions auxquelles devrait répondre une théorie globale et unifiée de la firme, il nous est possible de faire référence à un article de A-D. Chandler (1992 72 ), dans lequel il fait observer que quatre attributs de la firme, mis en évidence dans différentes recherches, paraissent essentiels et doivent simultanément être pris en compte si l'on veut parvenir à une théorie complète de la firme.

Notes
71.

LIEBENSTEIN H., "Beyond Economic Man", Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1976. In Coriat B. , op. cit.

72.

CHANDLER A-D., "Organizational Capabilities and the Economic History of the Industrial Enterprise", Journal of Economic Perspectives, vol. 6, n° 3, 1992.