1.2.1.2 Quels attributs pour la firme?

Pour A-D. Chandler, " La firme est une entité légale (legal entity) habilitée à signer des contrats avec ses fournisseurs et distributeurs, ses employés et souvent avec ses clients. C'est aussi une entité administrative, qui permet à l'équipe des dirigeants de coordonner et piloter (monitor) ses différentes activités. Une fois établie, une firme devient un pool de ressources physiques (physical capabilities), de compétences ou savoir-faire acquis (leanrned skills) et de capital liquide".

L'auteur précise les choses en ajoutant que dans l'analyse des dimensions institutionnelles (entité légale) ou organisationnelles (entité administrative), certaines déterminations doivent explicitement faire l'objet de développements.

A ce propos il cite tout spécialement la nature des contrats passés avec les clients, fournisseurs et employés, les formes de la coordination et du pilotage interne, ainsi que la nature des compétences spécifiques dont la firme est le lieu.

Notons encore que la dimension des rapports contractuels avec les salariés est essentielle, puisque c'est là que se décide le partage du surplus produit par les agents qui composent la firme. A-D. Chandler conclut ce développement en notant : " Je pense que la plupart des économistes seraient d'accord pour ce qui concerne au moins les trois premiers attributs de la firme ", laissant entendre que le quatrième point est plus problématique.

Considérer la firme comme institution soulève nombre de difficultés. Il faut tout d'abord prendre en compte le fait que la firme doit être analysée comme saisie dans et exprimée par une structure des droits de propriété, qui engage sur la manière dont le surplus est partagé entre les acteurs qui concourent à sa formation.

Au- delà encore, la prise en compte de l'existence d'une structure des droits de propriété amène à prendre en considération la nature du "système légal 73 " d'ensemble qui réglemente et formalise les conditions générales d'échange au sein comme entre unités économiques.

Par le biais du système légal, il faut faire tenir toute leur place à la formation des règles et aux conditions de passation des contrats, de leur validité, et de sanctions en cas de non-respect des règles. La dimension "sociale" de l'entreprise comme institution apparaît alors comme un point de passage obligé de toute caractérisation de la firme. Cela, dans la mesure où toute structure des droits de propriété, comme plus généralement tout système légal dont ces droits sont une manifestation et une expression, obéit à des déterminations sociales et historiques, le statut des personnes et des biens correspondant à des visions sociales, que matérialisent et que garantissent un ensemble d'institutions.

Considérer la firme comme une organisation signifie prendre en compte la complexité dont elle est le lieu, c'est à dire encore la considérer comme composée d'agents multiples, situés différemment dans la hiérarchie qu'exprime l'organisation, et dont les intérêts à priori ne coïncident pas nécessairement.

La prise en compte de ces dimensions (pluralité des agents qui la composent, diversité des intérêts en jeu ... ) fait surgir une série de difficiles problèmes de coordination et de compatibilité dans les décisions.

Pour A-D. Chandler, la firme ne peut devenir un pool de mise en œuvre de ressources (humaines, techniques, financières) que si les attributs de firme institution et de firme organisation sont correctement fondés et déterminés.

Il rejoint H. Liebenstein (1976 74 ) pour qui il existe un facteur " X " (distinct des facteurs traditionnels de la théorie standard : le capital et le travail) qui explique l'efficience* ou l'inefficience des firmes.

Après avoir émis plusieurs hypothèses pour expliquer l'origine de ce facteur " X ", H. Liebenstein conclura que le rôle central est tenu par la qualité de l'organisation interne de la firme.

C'est l'objet de l'organisation, soutiendra-t-il en effet, que d'obtenir la plus grande intensité possible d'utilisation des facteurs, et notamment des " unités de travail " achetées, pour parvenir à la plus grande efficience possible de la firme 75 .

La grille de lecture de quelques théories des organisations qui va suivre a pour objet de rechercher leurs convergences et leurs spécificités en matière d’attributs de type institutionnels (étape d'objectivation) , contractuels (étape de formalisation) et organisationnels (étape de réalisation). Cette présentation "orientée" par notre recherche n'est en rien exhaustive. Que le lecteur veuille bien nous en excuser.

Notes
73.

L'expression de " système légal " utilisée ici est à dessein directement tirée de Coase, qui dans son adresse à l'American Economic Association Coase a fortement insisté sur l'importance de ce point pour comprendre et apprécier les conditions de fonctionnement de la firme et son efficience. COASE R. " The Institutional Structures of Production ", in The American Economic Review, Sepot; 1992,

74.

LIEBENSTEIN H. ,1976, op. cit.

75.

Liebenstein est tout à fait clair sur ce point. Il écrit notamment : " La théorie traditionnelle de la production traite des inputs humains et non humains de la même façon : notre théorie lève cette hypothèse. Une distinction est évidente : ce qui est acheté ce sont des unités de temps de travail, mais ce ne sont pas ces unités qui comptent pour la production. Ce qui importe ici, c'est l'intensité et l'effort. " (Liebenstein ( 1976 op. cit.) On ne peut que noter ici la manière dont - à partir de ses outils et de sa vision propre - Liebenstein retrouve une intuition fondamentale de Marx et de sa distinction classique entre travail et force de travail. Chez Liebenstein comme chez Marx, en effet, l'intensité avec laquelle on saura faire travailler les unités de temps achetés constitue un élément central de la productivité d'ensemble qui pourra être obtenue de la firme.