1.2.3.3 Processus stratégique et système de règles

Outre la prégnance des trois champs de régulation, l'autre point central de différenciation entre organisation permanente et opération de construction porte principalement sur la finalité et la nature du champ contractuel.

Pour la firme permanente, le champ contractuel concerne d’abord l’échange de biens ou de services, quelquefois les droits de propriété ou l’utilisation des droits de propriété (attributs de la dimension institutionnelle), rarement l’organisation qui reste généralement coordonnée par la hiérarchie en interne. Le champ contractuel pour une organisation permanente reste surtout le produit des champs institutionnels et organisationnels.

Pour l'opération de construction créée hors structure existante et à durée de vie limitée (prédétermination spatio-temporelle) la régulation hiérarchique interne est très faible et les modes de régulation essentiels viennent d'abord du marché. Le champ contractuel concerne donc en priorité l’ensemble des paramètres qui vont rendre possibles les coopérations indispensables comme par exemple la mise en place d'une structure porteuse, les modalités de pilotage des activités élémentaires des processus de construction, paramètres généralement traités en interne par la firme structure permanente.

A ce titre, le champ contractuel pour une opération de construction est non seulement le produit de sa dimension institutionnelle , de sa "légalisation" au sens de A-D. Chandler; (droits de propriété, règles de passation des contrats, dimension sociale et sociétale), mais il en est également l’outil.

De la même façon Il est non seulement le produit de sa dimension organisationnelle mais il en est également l’outil, notamment par les dispositions ex post concernant la mise en œuvre et le pilotage des activités élémentaires de l’opération de construction.

Pour les organisations éphémères et en particulier les opérations de construction, les dimensions institutionnelles et organisationnelles apparaissent nettement comme des construits du champ contractuel élargi.

Notre "stratégie" en matière de régulation est fondée sur ce constat. Pourquoi stratégie ? Parce que la stratégie (Charney J-P, 1995 156 ) est aujourd'hui partout, non seulement dans la littérature spécialisée, mais aussi dans le discours des praticiens. Ce terme issu du concept militaire en est de fait indissociable.

Par ailleurs, les définitions de la stratégie utilisées en management stratégique, même si aucune ne fait l'unanimité (Desreumaux A., 1993 157 ) utilisent majoritairement l'apport du concept militaire en considérant que l'entreprise mène, contre ses concurrents, une lutte où sa survie est en jeu. Elle doit élaborer des stratégies et des tactiques pour modifier l'état de l'environnement à son profit (Gervais M., 1989 158 ).

La stratégie apparaît comme la prise de décisions remettant en cause les relations entre l'entreprise et son environnement (Ansoff I., 1965 159 ), la transposition du concept militaire à la vie des affaires nous apparaît comme pertinente.

Notre stratégie donc peut être illustrée par la figure ci-contre qui résume la spécificité des opérations de construction.

Figure 17 : Opération de construction, les étapes et objets de régulation
Figure 17 : Opération de construction, les étapes et objets de régulation

Il est possible de dire que si le système de régulation d'une opération de construction au plan diachronique structure les finalités comme pour l'ensemble des organisations, il doit également et en premier lieu prendre en charge "l'organization design" (Lorch J-W., 1977 160 ) en l'absence de structures et de hiérarchie pré existantes.

Oublier cette réalité dans la conduite d’une opération de construction, c’est s’exposer selon nous à l’émergence de déficits systémiques cindynogènes.

Le déploiement d'un système de régulation finalisée des activités élémentaires est donc en premier lieu conditionné par la qualité de son système de régulation diachronique appliqué aux variables requises et attendues.

Il constitue le squelette du processus stratégique qui est le plus souvent articulé sur quatre phases majeures (Voyant O., 1997 161 ) : une phase de diagnostic interne / externe ou analyse stratégique, une autre d'intention, une étape de formulation et enfin, la mise en œuvre stratégique.

Nous pensons avec de nombreux auteurs, que cette approche est indispensable pour assurer le couplage entre la stratégie et les opérations (Martinet A-C.,1988 162  ; Avenier M-J., 1990 163  ; Savall H. et Zardet V.1995 164 ). C'est la finalité du management stratégique pour reprendre une dénomination quasi institutionnelle (Boissin J-P. et al 1996 165 ) utilisée actuellement par les spécialistes de ce champ.

Afin de tenir compte des spécificités des opérations de construction et notamment de l'importance de la relation contractuelle, nous proposons le remplacement de la phase d'intention stratégique par l'étape d'objectivation, la phase de formulation par celle de formalisation, enfin celle de mise en œuvre stratégique par l'étape de réalisation.

Pour atteindre et maintenir cet objectif, le système de régulation doit être instrumenté par un système de règles qui est un sous-système du système de régulation d'une opération de construction. Par souci de cohérence la présentation du système de règles est intégrée à celle du système de régulation (voir § 13.1.6 et chapitre deux).

La figure suivante illustre cette architecture en articulant par le biais de l'activation des activités élémentaires requises du système de règles (P8 SRG) les trois étapes de la régulation diachronique des activités élémentaires déployées et interférentes.

Figure 18 : Régulation diachronique et processus stratégique
Figure 18 : Régulation diachronique et processus stratégique

Le déploiement du système de régulation finalisée dépend également de la qualité de son système de régulation synchronique des interférences entre variables que nous abordons maintenant.

Notes
156.

Etymologiquement, le terme "stratégie" vient du mot stratêgos, le stratège, chef d'armée élu après les archontes, magistrats suprêmes des républiques grecques. Stratêgos est composé à partir de deux mots : stratégos, armée et agein, conduire. A l'origine, le vocable stratégie fut peu utilisé, on évoque plus l'art de la guerre (Machiavel) dont l'expression a été majeure jusqu'au début du XXè siècle, CLAUSEWITZ K. V., "De la guerre", 1832, trad. D. Naville, Ed. de Minuit, 1955 , in CHARNEY J.-P.:" La stratégie", Que sais-je, Presses Universitaires de France, 1995, p .8. Correspond à l'art de conduire des forces armées en vue de la victoire : c'est l'art de réfléchir aux voies et aux moyens qui seront nécessaires pour gagner -GERVAIS M., "Contrôle de gestion et planification de l'entreprise", tome 2, Economica, 1989, p. 10. Dans cette acception, la stratégie se situe avant le combat (Cf à ce sujet CLAUSEWITZ K. V. : "De la guerre", op. cit., 1955.)

157.

DESREUMAUX A., "Stratégie", Précis Dalloz, 1993, 447 p.

158.

GERVAIS M., "Contrôle de gestion et planification de l'entreprise", 1989, op. cit.

159.

ANSOFF I., "Stratégie et développement de l'entreprise : analyse d'une politique de croissance et d'expansion", Hommes et Techniques, 1965 (3ème édition, 1974), p. 16, 165 p.

160.

Lorch J-W.," Organization design : a situational perspective", Organisational Dynamics, 1977.

161.

Voyant O., "Contribution à l'élaboration d'un système de veille intégré pour les PME PMI", Thèse pour le Doctorat en Sciences de Gestion, Université Lyon II faculté de sciences économiques et de gestion, 1997, 391 p., p. 6.

162.

. Martinet A.-C, "Diagnostic stratégique", Vuibert, 1988.

163.

Avenier M-J., "Le Pilotage stratégique de l'entreprise", Presses du CNRS, 1990.

164.

Savall H., Zardet V., "Ingénierie stratégique du roseau", Economica, 1995.

165.

Cette période d'institutionnalisation devrait connaître encore une forte évolution dans les années à venir (BOISSIN J.-P., CASTAGNOS J.-C. et GUIEU G., "Six ans d'articles sur la stratégie dans les revues scientifiques Francophones", septembre 1996. , op. cit.