1.3.1.4 Compétences et Valeurs

Reprenons la notion d'avantage concurrentiel appelé encore facteur clé de Succès (Atamer T., Calori R., 1993 178 ). Il peut prendre la forme d'une offre identique, voire inférieure, à celle des concurrents mais proposée à un prix moindre, où bien d'une offre supérieure dont le supplément d'attrait compense largement le surprix éventuellement exigé.

Ces options sont associées aux deux grandes stratégies concurrentielles que la littérature distingue, la domination par les coûts et par la maîtrise de la différenciation. Ainsi, si l'on voulait synthétiser cette notion d'avantage concurrentiel, ce serait en reconnaissant qu'elle se définit au regard du couple (valeur, prix) de la prestation. Le prix apparaît comme une variable relativement simple à définir; la valeur reflète l'attrait pour le consommateur du panier de caractéristiques que recouvre la prestation.

La capacité d'une entreprise de proposer une offre attractive au regard du couple valeur / prix dépend ainsi de ses capacités de se différencier et / où de maîtriser les coûts de façon compétitive. On retrouve là le lien logique entre les avantages concurrentiels et leurs sources.

La logique du MOU est quelque peu différente puisqu'il intervient généralement sur le marché comme acheteur de biens et de prestations. Elle se rapproche par certains aspect d’une démarche de marketing industriel* proposée par F. Blanc (1988 179 ).

Toutefois une démarche parallèle nous semble pouvoir être utilisée pour peu que l'on remplace l'avantage concurrentiel par l'intention stratégique qui est l'obtention des valeurs-exigences élémentaires requises et attendues jugées essentielles.

Figure 20 : Activités élémentaires, compétences de base et distinctives
Figure 20 : Activités élémentaires, compétences de base et distinctives

Comme le soulignent J-P. Bréchet et P. Mevellec (1999 180 ), nous dirons que la capacité d'un MOU à obtenir les valeurs élémentaires requises et attendues dépend ainsi des capacités de différenciation et / où de maîtrise des coûts proposées par sa propre organisation où par le marché.

De façon plus précise, cette capacité dépend de la nature des ressources et compétences de base, des ressources et compétences distinctives et de la qualité de la régulation de leur combinaisons au niveau des activités élémentaires.

Cette articulation est illustrée par la figure ci dessus.

Selon M.Porter (1982 181 ), R-E. Miles et C-C. Snow (1986 182 ); D. Miller (1986 183 ), la capacité de différenciation par le haut et la capacité de dominer par les coûts ne seraient guère compatibles 184 .

On doit sans doute remettre en cause cette dichotomie par trop radicale, tant la vie des affaires montre que des entreprises maîtrisent simultanément les coûts et la différenciation, de par les choix organisationnels (recours à l'externalisation*, organisation de la production ... ) où technologiques par exemple 185 .

S'agissant des opérations de construction, les capacité organisationnelles pour ne citer qu'elles ne sont pratiquement jamais évoquées ex ante voire ex post. Le Mou dont la raison d'être est de finaliser les activités élémentaires attendues doit d'abord rechercher les organisations pouvant apporter les compétences et ressources clés.

Il s'avère alors intéressant de distinguer les ressources et compétences de base, distinctives et émergentes comme nous y invitent T.Atamer T. et R. Calori, (1993 186 ). Sont considérées comme ressources et compétences de base celles qu'il faut maîtriser pour prétendre se développer dans le secteur. Celles-ci, loin d'être banales, peuvent être difficilement accessibles et constituer de véritables barrières à l'entrée (automobile, informatique). Elles correspondent logiquement aux attributs minimaux attendus de la prestation (caractéristiques et prix) que l'on retrouve généralement bien formalisés dans les contrats de construction.

Les ressources où compétences distinctives (où différenciatrices où clés) sont celles qui assurent la supériorité de l'offre au regard du couple (valeur, prix). Elles contribuent à former les barrières à la mobilité entre les groupes stratégiques (Porter M.,1982 187 ) que constituent les entreprises ayant opéré des choix stratégiques proches. S'agissant des opérations de construction, on retrouve là l'ensemble des compétences liées aux valeurs-exigences institutionnalisantes et où organisationnelles 188 .

Les ressources et compétences évoluent dans le temps et leur diffusion implique parfois banalisation pour peu que le stratège porte soit tout particulièrement attentif au renouvellement des compétences et ressources clés susceptibles de porter les développements futurs (Doz Y.,1994 189 ). Ainsi, toute démarche de diagnostic stratégique, en particulier pour les opérations de construction, exige de repérer les ressources et les compétences de base, les ressources et les compétences distinctives susceptibles d'assurer la détention d'avantages concurrentiels et les compétences émergentes qui constitueront les compétences différenciatrices de demain.

La réalité des contextes concurrentiels montre toutefois la grande difficulté de toute démarche analytique. Ce constat nous incite à privilégier le regard sur le métier et les compétences de la firme que l'on cherche à renforcer et valoriser, ce que privilégie la littérature actuelle en stratégie comme le courant "resources-based-view" prôné par exemple par G. Hamel et C-K. Prahalad (1989 190 ). En définitive, la sélection d’offres attractives en terme de valeurs pour un MOU dépend de ses capacités à identifier les activités élémentaires engageant des compétences distinctives (institutionnelles et organisationnelles) comme forces motrices des activités élémentaires requises à l’obtention du produit fini.

Certaines compétences sont vérifiables et peuvent être formalisées ex ante (contrats). Il s'agit généralement de compétences techniques, financières, liées au produit final, mais très rarement de compétences humaines et organisationnelles. La formalisation des compétences-ressources requises pour la mise en œuvre des capacités annoncées est encore plus rare, puisque le MOU ne connaît pas forcément les organisations qu'il sélectionne et ne peut éventuellement les apprécier qu'à travers des réalisations antérieures, des qualifications professionnelles voire des dispositifs de certification encore peu développés dans le BTP.

Naturellement, la sélection des activités élémentaires et des compétences liées imposent au MOU des arbitrages. Obtenir la valeur ajoutée* attendue certes, mais en maîtrisant les effets et risques indésirables de toute nature. L’analyse du lien danger-valeur peut contribuer à donner du sens à ces arbitrages.

Notes
178.

Atamer T., Calori R., "Diagnostic et décisions stratégiques", Dunod, 1993. On retient parfois, et l'on pourrait considérer qu'il s'agit là de l'acception traditionnelle, qu'un facteur clé de succès est une caractéristique propre au domaine d'activité. Cette acception reste le plus souvent très générale (la différenciation, la maîtrise des coûts, en référence par exemple au modèle du cycle de vie) et, outre qu'elle n'évite pas l'ambiguïté (parle-t-on d'attributs des produits ou de compétences des firmes ?). Tout cela montre bien qu'il s'agit, pour les entreprises, de construire intellectuellement et concrètement la compétitivité en situation de tension créative avec le marché.

179.

Blanc F., "Marketing industriel" , Vibert entreprise, Paris, 1988.

180.

Brechet J-P. Mevellec, " Pour une articulation dynamique entre stratégie et gestion ", Revue Française de Gestion n° 124, Août 1999, p 24. Observons que l'amélioration du rapport qualité / prix, souvent évoquée, peut correspondre à l'amélioration de l'offre de référence dans un domaine d'activité, sans qu'il faille forcément y voir l'expression de stratégies combinées de différenciation ou de domination par les coûts. De la même façon, un stratégie de différenciation n'exclut nullement la maîtrise des coûts (des coûts correspondants aux attributs différenciateurs, mais aussi des coûts des attributs basiques).

181.

Porter M., "Choix stratégique et concurrence", Economica, 1982.

182.

Miles R-E., Snow C-C., " Organizations : New Concepts for New Forrns ", Califomia Management Review, vol. 28, nO 3, 1986.

183.

Miller D., " Configurations of Strategy and Structure : Toward a Synthesis ", Strategic Management Journal, mai-juin 1986.

184.

Selon Bréchet J-P. (op. cit) Des éléments d'explication à cette incompatibilité peuvent sans doute relever du marché et des comportements des consommateurs. Mais, pour l'essentiel, ce sont plutôt les compétences requises pour se différencier ou dominer par les coûts, durablement dans les deux cas, qui fondent cette incompatibilité dans le temps au regard, notamment, de la compétitivité des concurrents ayant opté pour un des termes de l'alternative.

185.

Au terme aussi de cycles vertueux de traitements de volumes importants, de progrès dans la maîtrise des coûts, porteurs in fine d'une capacité de remonter en gamme (exemple des constructeurs automobiles généralistes).

186.

Atamer T., Calori R., "Diagnostic et décisions stratégiques", Dunod, 1993, op. cit.

187.

Porter M., "Choix stratégique et concurrence", Economica, 1982, op. cit.

188.

Les ressources et compétences émergentes qui devraient représenter les sources d'avantages concurrentiels dans l'avenir sont inclues dans cette catégorie.

189.

Doz Y., " Les dilemmes de la gestion du renouvellement des compétences clés ", Revue Française de Gestion, n° 97, janvier-février 1994.

190.

Hamel G.,. Prahalad C- K, " The Cote Competence of the Corporation ", Harvard Business Review, mai-juin 1989.