2.2.2.1 Confiance, rationalité et opportunisme

Parmi de nombreuses définitions de la confiance retenons celle de C. Koenig et G. Van Wîjk., (1992 278 ) qui définissent la confiance comme "une anticipation d'un comportement acceptable que le partenaire, celui en qui la confiance est placée, se sent contraint d'adopter". Dans cette acception, la confiance est une hypothèse sur une conduite future (Koenig C. et al., 1992 279 ) du partenaire.

La notion de comportement acceptable renvoie à la présomption que l'autre partie est dépourvue d'opportunisme (Williamson O-E., 1985 280 ), c'est à dire qu'elle aura un comportement "honnête" dans la transaction en cours. Williamson considère, comme H-A. Simon (1991 281 ), que le réalisme des hypothèses de comportement est essentiel. Il place deux hypothèses de comportement à la base de l'économie des coûts de transaction, relatives à la capacité cognitive des individus pour la première et à leur mode de recherche de l'avantage personnel pour la seconde.

La rationalité et la recherche de l'efficience restent le fondement de la compréhension des comportements et des organisations. Mais la rationalité est reformulée dans la lignée de H-A. Simon.

La limite des capacités et des connaissances individuelles est précisément ce qui justifie l'existence des organisations, marchandes et non marchandes, et en particulier de la firme. La conséquence essentielle de la rationalité limitée est donc l'incomplétude inévitable des contrats. Dans leurs relations, les agents ne peuvent pas prévoir à l'avance l'ensemble des éventualités qui agiront sur les résultats de leur transaction. Le contrat ne peut donc pas définir à l'avance l'ensemble des obligations des partenaires pour les différents "états du monde" possibles.

De ce fait, les conditions du déroulement ex post d'une relation contractuelle prennent une grande importance. L'étude des systèmes qui organisent ce déroulement (appréciation des résultats, mode de règlement des conflits, procédures d'adaptation du contrat aux aléas* ... ) doit être une composante de l'analyse des organisations économiques. Le degré d'adaptabilité d'une organisation et la manière dont elle gère un processus de décision et d'interaction entre les agents, deviennent essentiels (Williamson O-E.,1991 282 ).

Plus largement, la reprise du principe de rationalité limitée, où encore de rationalité procédurale, fait que les formes d'organisation influent sur le processus de prise de décision et sur les conditions et donc les coûts des transactions. Cela conduit notamment à donner un sens économique à l'organisation interne de l'entreprise. L'incomplétude des contrats conduit par ailleurs à la possibilité des comportements "opportunistes".

L'opportunisme occupe une place centrale dans la reformulation actuelle de l'analyse des comportements individuels qui vise à considérer les hommes "tels qu'ils sont", dans un contexte d'information imparfaite. Un comportement opportuniste consiste à rechercher son intérêt personnel en recourant à la ruse et à diverses formes de tricherie. L'opportunisme repose sur une révélation incomplète, déformée où falsifiée de l'information par un agent, notamment sur ses capacités, ses préférences où ses intentions, et donc sur l'existence d'asymétries d'information entre les agents (par exemple, sur la qualité d'un produit où sur les aléas de sa production). Il peut aller jusqu'au manquement pur et simple à ses engagements 283 .

Face au risque moral, aux risques liés à l'opportunisme où à la sélection adverse (incomplétude des contrats et à l'asymétrie de l'information) chacun comprendra l'intérêt d'un type de pilotage (intégrant un dispositif de décision) pouvant développer la confiance. Si nous faisons abstraction des règles institutionnalisantes externes, c'est aux règles institutionnalisantes internes de la faire éclore. Cette émergence nous semble fortement liée aux stratégies de coopération engagées par les décideurs des opérations de construction.

Pour le dictionnaire le Robert, la coopération inter-entreprises se résume à "l'action de participer à une œuvre commune". Une opération de construction peut donc tout naturellement faire partie ce vaste champ, vocable d'utilisation commode, qui reste très vaste car il recouvre une multitude de situations. Notre objectif est d'abord de nous intéresser aux stratégies de coopération les plus courantes et de positionner les opérations de construction dans ce champ. Nous examinerons ensuite les supports utilisés pour les mettre en œuvre.

Notes
278.

Koenig C., Van Wijk G., "Alliances interentreprises : le rôle de la confiance", in Alain Noël, Perspectives en management stratégique, Tome 1, Economica, 1992.

279.

Koenig C., Van Wijk G., OP . CIT., p. 313.

280.

WILLIAMSON 0-E., "The Economic Institutions of Capitalism", The Free Press, 1985.

281.

Simon H-A "Sciences des systèmes - Sciences de l'artificiel", AFCET Systèmes / Dunod, 1991.

282.

WILLIAMSON 0-E., WINTER S-G., "The Nature of the Firm : Origins, Evolution, and Development", Oxford University Press, in Coriat B., "Penser à l'Envers - Travail et Organisation dans la firme japonaise", 1991, op. cit., p. 65.

283.

On peut distinguer deux formes d'opportunisme :

L'opportunisme ex ante se présente quand il y a tricherie avant passation d'un contrat (par exemple, si un vendeur fournit des informations tronquées ou fausses sur la qualité de son produit). Cet opportunisme est rendu possible par l'asymétrie d'information entre les parties, ce qui conduit au problème dit de sélection adverse : les transactions risquent de se réaliser essentiellement sur les produits de mauvaise qualité, comme le montre Akerlof [1970] dans son analyse célèbre du marché de la voiture d'occasion.

L'opportunisme ex post (ou " opportunisme post-contractuel ", cf. Alchian A-A.et Woodward (1988) se présente quand il y a tricherie dans la phase d'exécution du contrat, ce qui est en particulier rendu possible par l'incomplétude d'un contrat et la difficulté à déterminer si les parties ont bien respecté les termes du contrat. Cela conduit au problème dit du risque moral (moral hazard) : il y a risque moral quand un agent peut ne pas respecter ses engagements et qu'il est impossible ou coûteux pour son partenaire dans la transaction de savoir s'il en a été ainsi ou non.