Chapitre trois : ACTIVITES ELEMENTAIRES ET CONSTRUCTION : IDENTIFICATION HISTORIQUE ET CONTEXTUELLE AU MACRONIVEAU DES SYSTEMES DE REGULATION, ENJEUX ET LEVIERS D'ACTION

Comme production matérielle, mais aussi comme art 352 investi d’une finalité expressive, l’architecture 353 entretient de nombreux rapports avec les sciences et les techniques. Selon J. Lucan (1989 354 ), de tels rapports peuvent être rangés sous deux rubriques.

L’architecture fait tout d’abord appel à des savoirs et à des procédés scientifiques et techniques qui interviennent directement dans la conception et la réalisation des édifices comme par exemple la résistance des matériaux, les procédés de fabrication et d’assemblage des éléments constructifs. Ce premier ensemble de savoirs et de procédés est communément désigné par le terme de construction. La construction fait partie intégrante de l’architecture, ainsi que l’ont rappelé d’âge en âge de nombreux théoriciens et praticiens.

Les relations entre la discipline architecturale et le contexte scientifique et technique ne s’arrêtent pas là pour autant. Si l’architecture est solidaire de la culture au sens large du terme, la vision du monde dont sont porteuses les sciences et les techniques, les interrogations qu’elles suscitent participent également de la culture. L’architecture s’en inspire fréquemment, selon des modalités extrêmement variables, il est vrai. L’architecte, plus que tout autre créateur artistique, est solidaire du milieu où il vit, de la société dont il exprime le caractère, qu’il travaille en conformité avec elle ou en opposition avec son temps. La création architecturale a ses exigences qui limitent les possibilités infinies de l’imagination. Elle ne peut négliger les structures politiques, sociales et économiques dont elle n’est souvent que l’interprète pour définir et créer, en rapport avec elles, le cadre de vie adapté aux membres de la communauté. Elle n’est pas moins tributaire, sur le plan esthétique, des techniques et des matériaux.

Toute l’histoire de l’architecture tend à prouver combien les formes et les décors sont liés aux matériaux et combien grandes sont les pesanteurs qui retardent l’adaptation de l’esthétique architecturale à des matériaux nouveaux, eux-mêmes liés aux ressources, aux techniques, aux croyances et aux formes de pensée d’une société ou d’un moment de civilisation. L’architecte, en ce sens, est d’abord "l’homme de son temps", l’homme d’une situation politique, d’un moment historique, même s'il subit le plus souvent les événements générateurs de changement qu'il ne les conduits. Même si les liens entre construction et architecture sont toujours plus étroits que ceux qu’entretient cette dernière avec la culture scientifique et technique, ils présentent une diversité tout aussi remarquable. La construction peut être mise en scène ou au contraire masquée, elle peut relever d’une logique de la performance dont l’édifice tout entier porte la marque ou se trouver soumise à des impératifs formels qui lui sont étrangers.

Seule l’histoire permet d’ordonner quelque peu la diversité des types de relations entre architecture, sciences et techniques. Plus précisément, cette histoire semble placée sous le signe de tensions croissantes entre la discipline architecturale, la construction et la culture scientifique et technique. Semblables tensions sont à la fois riches de potentialités et porteuses de menaces pour l’architecture. Elles revêtent à partir d’un certain moment une portée institutionnelle et professionnelle, avec la dissociation des figures de l’architecte et de l’ingénieur qui s’amorce dès la fin du Moyen Âge pour se révéler dans toute son ampleur par la suite. Ce sont certains moments de cette évolution que nous voudrions évoquer en nous bornant à l’architecture occidentale, de l’Antiquité gréco-romaine à nos jours. Nous abordons successivement dans ce chapitre l'analyse historique des grandes ruptures historiques en matière de management des processus de construction jusqu'au début du XXe siècle (§ 3.1), l'analyse du contexte actuel (§ 3.2), les enjeux de notre recherche (§ 3.3) pour conclure sur le contexte global au macroniveau du management des processus de construction (§ 3.4).

Notes
352.

Art - 1. aptitude à faire - 2. ensemble des règles et techniques d'une activité - 3. expression de la création artistique, esthétique - 4. ensemble des réalisations artistiques d'une civilisation, d'une époque, d'une société, d'une mode - 5. au pluriel, ensemble de disciplines artistiques (Larousse).

353.

Architecture vient du grec archè , le commencement, le commandement, ou le principe, et de tektonikos , le charpentier ou le bâtisseur; et, comme il advient souvent, la rencontre des deux mots infléchit le sens de chacun pour susciter une acception d’ensemble inattendue: l’archè fait de la "tecture" plus qu’une simple bâtisse

354.

LUCAN J. , "France- Architecture 1965-1988 ", Éd. du Moniteur, Paris, 1989.