4.1 Processus général de la recherche

‘"Obligée de reconnaître et d'assumer la contingence irréductible du phénomène qu'elle cherche à étudier, l'analyse stratégique ne peut qu'adopter une démarche hypothético-inductive par laquelle elle constitue et cerne son objet d'études par étapes successives à travers l'observation, la comparaison et l'interprétation des multiples processus d'interaction et d'échanges qui composent la toile de fond de la vie à l'intérieur du système d'action qu'elle cherche à analyser. Une démarche en somme qui se sert de l'expérience vécue des participants pour proposer et vérifier des hypothèses de plus en plus générales sur les caractéristiques de l'ensemble". ’

Cette volonté de relativiser par l'analyse stratégique "tous les déterminismes du contexte, de l'environnement, de la structure objective des problèmes" mise en avant par M. Crozier et E. Friedberg (1977 477 ) dans leur présentation de la démarche de recherche, se retrouve parfaitement dans la méthodologie développée par H. Savall, qui favorise l'observation de l'entreprise "de l'intérieur" et le recueil le plus direct possible de l'information.

La littérature souligne souvent les effets pervers de la seule observation exogène : "Observer un système, c'est déjà en modifier le comportement habituel" ainsi que l'indique D.Cru (1994 478 ). H. Savall (1991 479 ) réduit ces biais en balayant le champ par un processus alternativement empirique-inductif et logico-déductif propre à l’approche clinique et en s'appuyant sur des méthodes de travail et des outils structurés et validés par l'effet d'expérience par lesquelles le sujet intervenant est aussi objet.

Notre recherche s'inscrit dans ce type de va-et-vient entre la littérature, le "laboratoire" et un ensemble de "terrains" qui ressemble à un processus triphasé spiralé. Les hypothèses que nous avons avancées tout au long de notre recherche résultent d'observations sur le terrain, de recherches bibliographiques et de la confrontation de nos perceptions à celles d'autres acteurs de notre centre de recherches.

L'hypothèse est un instrument de recherche, au sens de Claude Bernard, c'est un guide et un référentiel souple qui facilite le cheminement laborieux du chercheur. Si les conventions scientifiques permettent de considérer que l'hypothèse est validée, celle-ci prend le statut de règle et de connaissance, et sera considérée comme un résultat de recherche scientifique étayé (Savall H. et Zardet V., 1995 480 ).

Suivant la méthodologie de recherche développée depuis 1974 par H. Savall, nous avons construit nos travaux en élaborant, par cette démarche interactive de va-et-vient entre l'observé et le théorique, des hypothèses de trois ordres : des hypothèses descriptives, explicatives puis prescriptives.

Sans atteindre le purisme des idéaux platoniciens et en nous gardant d'une logique formelle aristotélicienne, l'idée de base du processus hypothétique choisi par l'équipe de recherche du Professeur H. Savall s'apparente de façon lointaine à celui-ci : on part d'images quelles qu'elles soient (images d'idées cueillies dans la littérature, collectées lors d'un entretien ou d'objets observés sur un terrain) que l'on pose comme hypothèses et on essaie de valider ces hypothèses par leurs confrontations à plusieurs terrains expérimentaux et par le raisonnement induit 481 . Notre corps d'hypothèses présenté en introduction reprend cette structure.

Selon Umberto Eco (1977 482 ), la scientificité d'une recherche repose sur quatre conditions :

  • la recherche doit porter sur un objet reconnaissable et défini,
  • sur un tel objet, la recherche doit dire des choses qui n'ont pas été dites, ou le considérer dans une optique nouvelle,
  • la recherche doit fournir les éléments qui permettent de vérifier ou d'invalider les hypothèses qu'elle présente, elle doit fournir les éléments qui permettent sa discussion publique,
  • la recherche doit être utile aux autres.

La figure suivante propose une présentation de notre processus général de recherche articulé selon ces quatre conditions.

Figure 87 : Les quatre étapes du processus de recherche
Figure 87 : Les quatre étapes du processus de recherche Adapté de notre soutenance de notre mémoire de DEA, le 18 décembre 1995.

Ces quatre étapes du processus général de notre recherche peuvent être exprimées à partir de deux types de travaux liés :

  • une recherche dont la finalité est l'obtention de résultats substantiels, portée par un fil conducteur qui se déroule à partir de la délimitation de l'objet de recherche (situation problème, objectifs, motivations, enjeux, leviers d'action..),
  • l'élaboration des construits méthodologiques nécessaires à l'articulation des quatre étapes dans l'espace et le temps.

Ces résultats de type méthodologiques et substantiels sont présentés aux chapitres cinq et six.

Pour reprendre la logique de la pyramide de recherche déjà évoquée (voir §0.1) nous précisons maintenant notre méthodologie de recherche ainsi que nos bases et matériaux de recherche.

Notes
477.

Crozier M., Friedberg E., "L'acteur et le système, les contraintes de l'action collective", Editions du Seuil, 1977.

478.

Cru Damien, "Travail représentation du risque et prévention", Education permanente N° 117, 1994.

479.

Savall H., Zardet V., "Maîtriser les coûts et performances cachés", Prix de management stratégique Harvard-l'Expansion, Paris, Economica, 1ere édition 1987, 2 ieme édition 1991, 3ieme édition 1995., p. 317.

480.

SAVALL H., ZARDET V. : "La dimension cognitive de la recherche-intervention : la production de connaissances par interactivité cognitive", Revue Internationale de Systémique, décembre 1995, 24 p., pp. 2-7.

481.

FAURE C., "Le transfert de savoir-faire d'ingénierie en management des cabinets conseil aux entreprises; l'apprentissage organisationnel dans les entreprises - cas d'expérimentations", Thèse de doctorat, Université Lumière Lyon 2, 1996, 492 p.

482.

ECO U., "Come si fa una tesa di laurea?", Bompiani, Milano, 1977, pp. 33-56.

483.

Adapté de notre soutenance de notre mémoire de DEA, le 18 décembre 1995.