Si l’unité du Vivarais n’est pas géographique, elle s’explique par son évolution politique et administrative, qui lui en forge une. Elle est toutefois tardive, la situation médiévale tendant au contraire à dissoudre le Vivarais dans des ensembles qui lui sont extérieurs.
En effet, trois diocèses se partagent la région étudiée. Le Haut-Vivarais, au nord du Doux, dépend du diocèse de Vienne, qui s’étend largement en rive droite du Rhône. Les régions comprises entre Doux et Eyrieux sont intégrées à celui de Valence qui, à l’image de celui de Vienne, possède une extension en rive droite du Rhône. Seuls les deux tiers sud de la région, constituant le diocèse de Viviers, forment le Vivarais au sens strict du terme. Ce n’est que par une extension sémantique tardive que le diocèse civil de Viviers, issu des découpages de l’administration royal et intégrant les parties des diocèses de Vienne et de Valence situées outre Rhône, sera qualifié de Vivarais à partir de la fin du Moyen Age.
Les circonscriptions publiques altimédiévales n’apportent pas non plus d’unité puisqu’elles sont calquées sur les limites des diocèses, le Vivarais, au sens large, se trouvant partagé entre les pagi de Vienne au nord, de Valence au centre et de Viviers au sud.
Par la suite, aucune famille aristocratique vivaroise ne possède la puissance nécessaire pour parvenir à s’imposer sur la totalité de la région aux XIIè et XIIIè siècles et esquisser un embryon d’unité territoriale. Ainsi, le nord du Vivarais, dépendant du diocèse de Vienne, est sous la domination des Dauphins de Viennois. Celle-ci demeure toutefois peu marquée, ces derniers n’étant que faiblement intéressés par leurs possessions ultrarhodaniennes : leur position très marginale dans la principauté qu’ils constituent alors n’en fait pas l’une de leur préoccupation principale. Sur la partie centrale du Vivarais, les comtes de Valentinois sont très présents, puisqu’ils ont des possessions du Rhône au Velay, négociant même des droits sur les mines d’argent de Largentière à la fin du XIIè siècle, pourtant très méridionales.
Au sud, dans le diocèse de Viviers, aucun lignage autochtone n’a une puissance lui permettant de structurer des domaines vastes, cohérents et étendus à l’échelle du diocèse.
Seule l’intégration au royaume de France des régions formant, à terme, le Vivarais, leur procure une unité. Intégré nominalement à l’Empire jusqu’au début du XIVè siècle, le Vivarais échappe alors théoriquement au pouvoir capétien. Néanmoins, loin d’être une intégration unitaire et rapide, la prise de possession du Vivarais par les rois de France est une politique de petites touches, jouant avant tout sur l’absence de lignage local puissant pouvant assurer une hégémonie sur la région, mais aussi sur le manque d’intérêt manifeste des Empereurs pour ces terres lointaines. Plus qu’une annexion, il faut considérer ce mouvement comme un long glissement. Nous n’en retracerons pas l’histoire, ce qui serait hors de propos ici, mais nous retiendrons l’évolution d’ensemble aboutissant à la constitution du bailliage de Vivarais ( 18 ).
Le premier acte de la pénétration capétienne est l’hommage rendu à Philippe Auguste en 1188 par Odon, seigneur de Tournon, suivi en 1226 de l’hommage d’Héracle de Montlaur pour Aubenas, alors que parallèlement, la suzeraineté de nombreux châteaux appartenant aux comtes de Toulouse échoit au roi après la mort de Raymond VII. Tout au long du XIIIè siècle, l’intervention des rois de France et de leurs sénéchaux de Beaucaire se fait de plus en plus fréquente sur la rive droite du Rhône, en terre relevant tout au moins théoriquement de l’Empire. Les litiges de souveraineté entre l’évêque de Viviers et le sénéchal de Beaucaire se multiplient alors. Un pas supplémentaire, décisif, est franchi en 1284 par la conclusion d’un paréage entre Philippe le Hardi et l’abbé de Mazan aboutissant à la fondation de la bastide de Villeneuve-de-Berg, coseigneurie royale et abbatiale, qui implante solidement le roi en Bas-Vivarais. En 1291, un autre paréage entre Philippe le Bel et Gérenton de Saint-Romain aboutit à la création de la bourgade de Boucieu-le-Roi, dans la vallée du Doux, en Haut-Vivarais. Finalement, en deux temps, en 1305 et 1308, l’évêque de Viviers Aldebert de Peyre reconnaît la souveraineté capétienne sur son diocèse entérinant définitivement le lent glissement des terres vivaroises de l’Empire au royaume de France. Mis en place progressivement après plusieurs décennies de tâtonnements, qui unissent d’abord le Vivarais au bailliage de Velay, puis démembrent le Haut-Vivarais de la sénéchaussée de Beaucaire entre 1313 et 1320 pour le rattacher à celle de Lyon, le bailliage de Vivarais est définitivement constitué au milieu du XIVè siècle, scellant ainsi l’unité vivaroise. Immédiatement intégré à la sénéchaussée de Beaucaire, il forme l’un des vingt-trois diocèses civils du Languedoc. Le diocèse civil de Viviers n’évoluera plus dans ses limites et deviendra, pour l’essentiel, le département de l’Ardèche( 19 ).
Même si a priori, rien ne rapprochait des régions aux reliefs, aux climats et aux milieux naturels si différents que celles que nous avons présentées, leur unité réside négativement dans le fait qu’elles n’appartiennent pleinement à aucun des ensembles constitués qui les bordent, et qu’elles sont marginales pour tous, Bas-Languedoc, Auvergne, Dauphiné et Lyonnais. Seule la royauté agrège finalement en une entité solide des territoires délaissés qui n’avaient jamais encore jusqu’à présent connu d’unité. Cette situation marginale, en position de frontière entre des espaces si dissemblables a été, nous l’expliquerons par la suite, l’un des moteurs essentiels du développement routier et commercial du Vivarais.
) Sur l’histoire de l’intégration du Vivarais au royaume de France, cf. Régné (J.) et Rouchier (J.) : Histoire du Vivarais, t. II, p. 62-144. Nous y avons emprunté l’essentiel des éléments que nous présentons ici.
) Les paroisses de Fay-sur-Lignon, Pradelles, Saint-Etienne-du-Vigan, Saint-Clément-sous-Pradelles, Lafarre, Saint-Arcons-de-Barges, Arlempdes, Saint-Paul-de-Tartas et Vielprat ont été distraites de l’Ardèche et intégrées à la Haute-Loire, de même que Courry était intégrée au Gard. A l’inverse, les paroisses de Beaulieu, Berrias, Casteljau, Chambonas, Chassagnes, Gravières, Naves, Orgnac, Saint-André-de-Cruzières, Saint-Sauveur-de-Cruzières, Saint-Martin-d’Ardèche et les Vans ont été distraites de l’Uzège et rattachée à l’Ardèche [Molinier (A.) : Paroisses et communes d’Ardèche, op. cit., p. 20].