B- La documentation seigneuriale laïque

La documentation du second quart du XIIIè siècle est caractérisée par l’essor des chartriers seigneuriaux ( 65 ). Néanmoins, ces derniers sont victimes d’un éparpillement extrême, né des évolutions lignagières, l’état de la sous-série 1E « titres de familles » des Archives départementales de l’Ardèche étant symptomatique de cette situation. Elle ne renferme en effet aucun chartrier digne de ce nom, mais seulement quelques épaves très limitées ( 66 ). Ces fonds constituent toutefois une richesse essentielle des archives vivaroises.

Les principaux chartriers vivarois subsistants sont ceux de Chambonas, Crussol et Pierregourde. Le noyau central du fonds de Chambonas ( 67 ) est constitué des archives de la famille de La Garde de Chambonas, dont les possessions et seigneuries étaient centrées sur les confins du Vivarais et de l’Uzège, dans le sud des Cévennes vivaroises. Les pièces les plus anciennes remontent au milieu du XIIIè siècle et se comptent par centaines à partir des XIVè et XVè siècles. Ce chartrier renferme aussi les archives de la famille de Chanaleilles, intégrées au XVIIè siècle, dont les possessions s’étendent au nord des Cévennes vivaroises, principalement dans la région de Montpezat, du Roux et de Jaujac. C’est là que se trouvent les pièces les plus importantes sur le péage de Montpezat. Pour sa part, le lignage de Crussol nous a légué l’un des plus beaux chartriers d’origine vivaroise ( 68 ). L’alliance entre les familles de Crussol et d’Uzès, conclue au XVIè siècle, a en effet permis sa préservation pratiquement intégrale. L’ensemble du fonds nous a apporté de multiples documents concernant le sillon rhodanien, de Saint-Péray à Charmes, et se signale principalement par plusieurs terriers des XIVè et XVè siècles. Pour finir, le chartrier de Pierregourde ( 69 ), intégré en 1637 à celui de la famille lyonnaise de Maugiron ( 70 ), est un fonds majeur pour l’histoire du plateau de Vernoux, de la vallée de l’Eyrieux, des Boutières et de la moyenne vallée du Rhône, renfermant des pièces à compter du début du XIIIè siècle, mais surtout, de nombreuses transactions réglant de multiples différends survenus avec les seigneurs voisins.

Ces trois ensembles documentaires sont à compléter avec des fonds moins conséquents, épaves de chartriers de l’aristocratie châtelaine vivaroise ou de lignages de moindre niveau, comme le chartrier de Barjac ( 71 ), ou ceux de Blou ( 72 ), du Bourg de Bosas ( 73 ), de Burzet ( 74 ), de Lagorce ( 75 ), de Latour ( 76 ), de Ligonnès ( 77 ), de Malbosc ( 78 ), de Mézilhac, Montagut et Don ( 79 ), des Pagan ( 80 ), des Peloux ( 81 ) ou de Vaussèche ( 82 ).

Aux chartriers proprement vivarois, il faut ajouter ceux de lignages extérieurs à la région, mais qui y possèdent parfois de nombreux biens et droits. Le plus important d’entre eux est incontestablement celui des comtes de Valentinois. Il a été intégré aux archives de la Chambre des Comptes de Grenoble en 1419 lors de l’annexion du Valentinois par le Dauphiné. L’essentiel de ce chartrier est donc aujourd’hui conservé aux archives de l’Isère ( 83 ) mais le comté de Valentinois ayant été dévolu au duc de Savoie au début du XVè siècle, des archives valentinoises se trouvent encore dans les fonds savoyards. Quelques pièces sont donc à Chambéry ( 84 ), mais plus encore à l’Archivio dello stato à Turin ( 85 ). Très largement possessionnés en Vivarais, les domaines de comtes de Valentinois s’étendent de la vallée du Rhône au Velay d’est en ouest, et du Doux à l’Ardèche du nord au sud, ce qui rend ce chartrier incontournable pour toute étude sur le Vivarais médiéval.

Il en est de même avec d’autres fonds extérieurs, comme le chartrier des ducs de Bourbons ( 86 ), bien implantés en Vivarais, dans la région annonéenne ou sur le Plateau, ou celui du Champ, renfermant les archives de la famille cévenole d’Altier ( 87 ). D’autres encore, bien que moins importants par le nombre de pièces concernant le Vivarais, nous ont aussi fourni plusieurs documents. Ce sont les chartriers des Adhémar, seigneurs de Montélimar et de Grignan ( 88 ), de la famille gévaudanaise de Châteauneuf ( 89 ), des comtes de Forez ( 90 ) ou des Dauphins de Viennois ( 91 ).

Les chartriers laïcs constituent une source globalement plus riche que les archives ecclésiastiques pour les deux derniers siècles du Moyen Age, mais ils ne renferment le plus souvent pas ou peu de pièces antérieures à la seconde moitié du XIIIè siècle, les chartriers de la petite aristocratie ne débutant même souvent qu’avec les années 1280-1290. Bien que d’un intérêt remarquable, leur dispersion, tout comme le manque de publication, voire même d’inventaire, ne facilitent pas un accès rapide et une consultation exhaustive. Pour l’essentiel, ils se composent d’hommages et de dénombrements de fiefs, qui nous intéressent directement par les droits pouvant être mentionnés (péages, droit de leyde par exemple), d’instruments de gestion de la seigneurie (terriers, lièves, censiers, pouvant mentionner des routes), de multiples actes de vente, de donation et d’échange de biens, nous apportant le même type de renseignements que les instruments de gestion, ou encore de testaments et de contrats de mariage, d’un intérêt moindre pour nous.

Notes
65.

) Pour une première tentative de synthèse sur l’apparition et l’essor de la documentation seigneuriale dans le nord du Languedoc, cf. Laffont (P.-Y.) : « Les chartriers seigneuriaux du XIIIè siècle : quelques réflexions sur une source méconnue, au travers d’exemples du Haut-Languedoc », art. cité.

66.

) Cavois (M.-F.) : Répertoire dactylographié de la sous-série 1E familles, de 1E 1 à 1E 1953, op. cit.

67.

) AD 07, 39J. Cf. Chassin du Guerny (Y.) : Répertoire numérique dactylographié du chartrier de Chambonas, op. cit.

68.

) Encore conservé par la famille d’Uzès, le chartrier a toutefois été classé et coté par les Archives Nationales où il constitue la série 265AP. Il a en outre été intégralement microfilmé (AN, 219Mi). Cf. d’Huart (S.) : Le chartrier dUzès, op. cit., p. 107-125.

69.

) AD 69, EP 119 à EP 139 : fonds coté mais non inventorié. Il est toutefois possible, dans la mesure où les liasses anciennes n’ont pas été trop démembrées, d’utiliser l’inventaire du XVIIè siècle [AD 07, 1E 1497] publié par Benoit-d’Entrevaux (F.) : Pierregourde et ses seigneurs du XIII è au XVIII è siècle, op. cit.].

Cf. aussi AD 26, E 1897 à E 1900.

70.

) Benoit-d’Entrevaux (F.) : Pierregourde et ses seigneurs du XIII è au XVIII è siècle, op. cit., p. 5.

71.

) Nous remercions M. Guy de Barjac, propriétaire actuel du chartrier, de nous en avoir permis et facilité l’accès.

72.

) AD 07, 42J. Aucun répertoire moderne du fonds n’existe, mais il est accessible grâce à un inventaire du début du XVIIIè siècle non coté.

73.

) AD 58, 2F 41 à 2F 71 et 2F 806 à 2F 825. Cf. Destray (P.) et Biver (A.) : Archives départementales de la Nièvre, inventaire sommaire de la série 2F, fonds Du Bourg de Bozas, op. cit., t. I, p. 16-40 et t. III, p. 79-86.

74.

) AD 41, F 104 à F 144.

75.

) AD 12, E 495-702.

76.

) AD 07, 19J. Cf. Nathan-Tilloy (M.) et Tourvielle (B.) : Répertoire numérique dactylographié de la sous-série 19J, Chartrier de Latour à Saint-Pierreville, op. cit.

77.

) Fonds privé, AD 07, 1Mi 30, r2.

78.

) Fonds privé, AD 07, 1Mi 29, r1.

79.

) AD 07, 3J 23.

80.

) Il n’en subsiste que deux fragments. Le premier referme 24 pièces du XIIIè au XVIè siècle [AD 07, 29J 3, « Epaves du chartrier des Pagan de Mahun »]. Le second était conservé dans les archives municipales de Tournon, mais il semble avoir été égaré lors de la conversion générale de la série 3E en E dépôt ! [AD 07, ancien 3E 204]. Cf. aussi AD 07, 1E1439 « Pagan » où quelques pièces complètent utilement ces deux ensembles.

81.

) Fonds privé, AD 07, 1Mi 33 à 1Mi 55.

82.

) Fonds privé, AD 07, 1Mi 603.

83.

) AD 38, série B. Cf. Pilot de Thorey (E.), Prudhomme (A.) : Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790, Isère, archives civiles, série B, op. cit.

84.

) AD 73, série SA.

85.

) Sur les archives savoyardes et leur répartition entre les dépôts français et Turin, Cf. Massabo-Ricci (I.): « Sources pour l’histoire de la Savoie aux archives d’état de Turin », art cité. Les fonds concernant le Valentinois conservés à Turin ne sont ni classés ni inventoriés, ce qui n’en facilite pas l’accès.

86.

) AN, P 13551 à P 14023. Huillard-Breholles (J.-L.-A.) et Lecoy de la Marche : Titres de la maison ducale de Bourbon, op. cit.

87.

) AD 48, 3J.

88.

) B.N.F., Ms. latins 9239-9241 ; B.M. de Lyon, fonds Morin-Pons.

89.

) AD 48, E 197-E 314. Cf. Porée, Dreux, Fages, Brunel, Rohmer et Barroux : Inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790, Lozère, Archives civiles, série E, op. cit.

90.

) Rappelons que les chartes foréziennes antérieures à 1300 sont maintenant entièrement publiées ou presque [Guigue (G.), de Neufbourg et alii : Chartes du Forez antérieures au XIV è siècle, op. cit]. Seules les pièces postérieures n’ont pas fait l’objet d’une publication, dont les terriers et les comptes de châtellenies exploités [AD 42, B 1057, B 1058 et B 2056-B 2058]. Cf. aussi AD 07, 1J 215 : terrier de la châtellenie comtale de Rochebloine et quelques pièces éparses dans AD 07, 1E 1589.

91.

) AD 38, série B. Cf. Pilot de Thorey (E.), Prudhomme (A.) : Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790, Isère, archives civiles, série B, op. cit. Ce chartrier a connu plusieurs destructions successives. La première date de 1219, lorsqu’une crue de l’Isère a emporté une large partie du fonds. Cette perte peut en partie être comblée par les nombreux hommages reçus dans les années qui suivirent pour tenter de suppléer aux titres disparus. Ils ont pour l’essentiel été inventoriés en 1277 puis en 1345, mais les analyses de ces deux inventaires posent de nombreux problèmes de datation [Chevalier (U.) : Inventaire des archives des Dauphins de Viennois à Saint-André de Grenoble en 1277, op. cit. et Chevalier (U.) : Inventaire des archives des Dauphins de Viennois à Saint-André de Grenoble en 1346, op. cit.]. Les destructions majeures sont toutefois imputables à la Révolution. Heureusement, l’Inventaire des archives de la chambre de comptes, dit « Inventaire Marcellier », dressé entre 1688 et 1706 permet de combler quelques lacunes. Un volume spécifique concerne le Vivarais, copié avec de nombreuses erreurs au XVIIIè siècle [AD 07, C 196].