En matière d’hodographie, plus encore qu’en bien d’autres domaines, le manque de précision des textes et le silence quasi absolu de l’archéologie imposent de multiplier les sources apportant des renseignements complémentaires. En s’étayant mutuellement, elles permettent d’établir une carte routière assez complète et précise. Néanmoins, chacune d’elles demande à être exploitée avec précaution si l’on ne veut risquer de confondre les axes des XVIIè et XVIIIè siècles avec les chemins médiévaux, et les modestes sentiers locaux avec les grands axes. La méthode la plus souvent employée est une méthode strictement régressive qui consiste à partir de la documentation contemporaine, généralement les cadastres, puis de la compléter successivement par l’étude des compoix d’Ancien Régime et enfin de la documentation médiévale elle-même. Elle débouche toutefois fréquemment sur des travaux imprécis d’un point de vue chronologique et sur de nombreuses fausses pistes. Pour notre part, nous sommes partis à l’inverse, commençant par la documentation médiévale, complétée ensuite par l’étude du cadastre napoléonien et, dans une moindre mesure, par l’examen de la documentation technique et cartographique du XVIIIè siècle.
En outre, une mise au point sémantique préalable s’impose pour bien comprendre la démarche dans laquelle nous nous sommes engagés et la méthode que nous tentons d’appliquer. Il est impératif de bien différencier l’itinéraire de la route elle-même. L’itinéraire correspond au flux de circulation, à la liaison qui unit deux régions, un point de départ et un point d’arrivée. Ainsi définit, l’itinéraire est avant tout le reflet des nécessités de circulation à une période donnée, et il peut emprunter des routes différentes, si elles desservent les mêmes points. Par contre, la route correspond à une réalité matérielle précise, inscrite dans le paysage, support d’un itinéraire donné. Ainsi, une route pourra connaître un essor particulier pendant quelques siècles, car elle correspond alors à un itinéraire précis, mais elle pourra aussi être ramenée au rang de simple chemin local si les itinéraires se déplacent. C’est par exemple le cas, dans la région, de la route de Régordane. Elle est empruntée par un itinéraire commercial majeur aux XIIè-XIIIè siècles, alors que, sans changer de place, la route perdurant donc, elle est ensuite réduite au rôle d’axe de desserte du sud du Velay et des Cévennes : la route n’a pas changé, mais les itinéraires commerciaux se sont déplacés ( 137 ). Il importe donc pour nous d’identifier distinctement les itinéraires, qu’ils soient commerciaux, pérégrinants ou autres, des routes par lesquels ils passent ( 138 ).
) Sur le chemin de Régordane, cf. t. II, p. 553-597.
) Pour une mise au point fondamentale en matière de méthode d’identification des itinéraires anciens et des tracés routiers, de laquelle nous nous sommes très largement inspirés, cf. Vion (E.) : « Itinéraires et lieux habités : les deux pôles de l’analyse archéologique des réseaux routiers », art. cité, p. 236-246. Bien que portant sur une autre période, de nombreux de points de méthode sont très intelligemment développés tout au long de Denimal (P.) : La voie aquitaine d’Agrippa de Lyon à Saintes, thèse université de Paris, 1995, 3 vol.